Thierry Marx s’exprime sur l’alimentation – » je crois surtout qu’on va vers la fin de grandes chaînes de fast food » … » il y a beaucoup de pipeau marketing avec des jardins installés sur un toit juste pour cueillir trois herbes «
À l’occasion de l’évènement Équip’Hôtel 2019 quoi ouvre ce week-end, retrouvez une longue interview du chef Thierry Marx ( qui en est le parrain ) pour L’OBS concernant l’alimentation de demain et l’urgence d’une prise de conscience des dangers d’une mauvaise alimentation qui s’impose.
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EXTRAITS
Le chef deux-étoiles propose des solutions actuelles pour améliorer la gastronomie de demain. Interview.
« Veille toujours au grain sans attendre demain » dit le proverbe, qui résume bien la position de Thierry Marx. Le chef multi-étoilé du Mandarin Oriental prône pour « dès aujourd’hui, mettre en place ce que nous voulons pour demain ».
Dans le cadre d’une conférence sur la gastronomie en 2050, organisée ce lundi 12 novembre au salon EquipHotel, le chef s’est associé à des étudiants des écoles Ferrandi, Essec et Ensci-Les Ateliers pour réfléchir sur l’évolution de la restauration et de l’alimentation d’ici 32 ans. De quoi soulever les problématiques écologiques, et d’envisager des solutions.
A quoi ressemblera la gastronomie en 2050 ?
– Poser cette question, c’est avant tout poser une question sur l’avenir de l’environnement. Si l’environnement n’est pas stable, alors la gastronomie est déstabilisée. Pour préserver les ressources, il faut préserver l’environnement.
Ainsi, réfléchir à 2050 pose avant tout la question de l’eau. Si nous restons sur les mêmes rythmes de consommation tout en passant à 9,7 milliards d’humains, alors la planète va cruellement manquer d’eau. Et la première problématique est l’élevage intensif. Pour réduire les besoins en eau, il faut un élevage plus raisonné, ce qui impactera l’ensemble des besoins de nourrir les bêtes, particulièrement gourmands en eau. Et chacun peut prendre part à cela en se donnant une règle de conduite simple : consommer 80% de produits d’origine végétale et seulement 20% de protéines animales.
Autre point : il faut vraiment réduire les intrants chimiques qui appauvrissent nettement les sols. Par exemple, la terre de la Beauce est passée de 2 tonnes de lombrics par hectare en 1955, à moins de 200 kg aujourd’hui ! Avec des sols vivants, la production est vivante ; alors qu’avec trop de la chimie lourde, les risques à long terme pour la santé augmentent.
Est-ce à comprendre que vous êtes pessimiste sur 2050 ?
– Si on continue comme aujourd’hui, en 2050 seuls les très riches pourront bien manger, les autres n’auront que le pire de l’alimentation, avec de la lyophilisation à outrance et autres…
Toutefois, je reste plutôt optimiste. Si on réfléchit dès maintenant à mettre en place des solutions, alors il n’y a pas de raison de s’affoler. L’homme a dans ses gênes une capacité de survive importante : il a toujours eu peur de ce qui peut le tuer. Aussi, il va faire de plus en plus attention à ce qu’il mange.
Se pose une question essentielle : comment faire pour que chaque citoyen du monde ait la capacité de mesurer l’impact social et environnemental des produits qu’il consomme. En somme, savoir dans quelles conditions ils ont été produits, aussi bien si les producteurs sont bien traités, et si des produits chimiques ont été utilisés.
Il faut inventer une échelle de valeurs, par exemple au niveau de l’ONU, pour proposer une solution de compréhension simple. Ça ne sert à rien de juste pointer du doigt un Bayer-Mosanto, il faut plutôt mesurer l’impact de tous les produits pour améliorer l’ensemble.
Faut-il en déduire que les prix vont augmenter ?
– Il est idiot de prendre le prix pour seule valeur de négociation. Le développement durable ne peut pas reposer sur une logique de prix. Il faut arrêter de voir la théorie du low cost comme une logique sociale : cela n’a jamais profité aux pauvres, mais uniquement à quelques riches.
On est tous acteurs de la consommation mondiale, et cette échelle de valeurs nous aiderait à mieux comprendre ce que nous consommons. Par exemple, une baguette de pain à 80 centimes n’a pas de sens : cela ne protège pas la santé du client, cela ne protège pas la filière agricole, et cela ne protège pas la filière artisanale. Mieux vaut consentir une baguette à 1,20 euro pour préserver tout le monde. Même [le milliardaire] Warren Buffet le dit : « Le prix est ce que vous payez, la valeur est ce que vous avez. »
Le prix n’est pas l’important en gastronomie, c’est plutôt l’impact social et environnemental. Il est essentiel pour protéger les producteurs, l’environnement et la santé. En ce sens, il y a beaucoup de choses à changer. Par exemple, il faut arrêter la déforestation en Amazonie juste pour produire plus d’avocats moins chers.
Est-ce que dans l’assiette les produits aussi vont changer d’ici 2050 ?
– Quand on regarde l’histoire, la gastronomie a toujours été basée sur une cuisine fantasmée. On pense toujours que la cuisine de sa grand-mère est la meilleure, alors que c’est faux. La cuisine évolue et continuera à évoluer.
Que pensez-vous de l’idée de certains de se tourner vers la consommation d’insectes ?
– Ce n’est pas pour demain en Occident. Et même en 2050, je ne pense pas qu’on sera dans cette logique. Malgré tous leurs bienfaits et leurs apports en protéines, manger des insectes n’est pas dans les habitudes de consommations des Occidentaux. Cela fait trop peur. Après, peut-être qu’on trouvera plus de farines et poudres.
Et la viande créée in vitro ?
– C’est vrai que ça a été développé pour palier à l’élevage intensif. Seul problème : le goût n’est pas terrible… La gastronomie a toujours d’abord été un plaisir alliant le bon goût et les bienfaits pour la santé.
De plus, je ne suis pas sûr que l’on soit dans une recherche de faux ou de ce qui imite. Les végétariens et les végans par exemple ne cherchent pas à tout prix à se tourner vers de la fausse viande. Je crois que l’ensemble du monde va plutôt manger moins de viande, et de la meilleure. Pour une prise de conscience globale du bien manger, tout en protégeant sa santé et sa planète. Du coup, la viande in vitro n’a pas beaucoup d’intérêt…
Pensez-vous aussi qu’en 2050, il y aura plus d’intolérances comme celle au gluten, et plus d’adeptes du véganisme ?
– Pour les intolérances, je pense que si on revient à une agriculture plus saine, alors elles disparaîtront.
Sur le véganisme, il s’agit d’une démarche militante essentiellement basée sur la souffrance animale créée par l’élevage intensif. Si cette philosophie change, peut-être que le militantisme fera moins d’adeptes. En revanche, on va très certainement vers plus de flexitariens, qui sont déjà dans cette prise de conscience environnementale et sociétale.
En 2050, arrêterons-nous par exemple de consommer du foie gras ?
– Disons que l’on en mangera moins. Cela fait longtemps que je milite pour réduire la période de l’année où le foie gras est consommé, afin de favoriser une meilleure production, plus respectueuse des animaux.
Au-delà, je crois surtout qu’on va vers la fin de grandes chaînes de fast foodcomme KFC, basées sur une surexploitation de bétail, particulièrement polluante, avec des produits de piètre qualité. Ce n’est pas une alimentation saine, ni pour soi, ni pour l’environnement. Et cela me désole de voir que certains y vont en parlant de « restaurant ».
Le réchauffement climatique va-t-il aussi avoir un impact ?
– Totalement. Cela va pousser à réinventer les circuits pour une économie courte, avec de moins en moins de distance entre la production et la consommation.
Le réchauffement est non négociable et va faire évoluer la production. Déjà là, j’ai pu acheter des fraises jusqu’à la mi-octobre et, la semaine dernière, des tomates de Marmande. Le climat bouscule nos modèles.
Et donc l’agriculture urbaine va se développer ?
– Pour l’instant, il y a beaucoup de pipeau marketing avec des jardins installés sur un toit juste pour cueillir trois herbes. Mais à terme, on pourra développer une véritable production, capable de nourrir tout un immeuble.
« Veille toujours au grain sans attendre demain » dit le proverbe, qui résume bien la position de Thierry Marx. Le chef multi-étoilé du Mandarin Oriental prône pour « dès aujourd’hui, mettre en place ce que nous voulons pour demain ».
Dans le cadre d’une conférence sur la gastronomie en 2050, organisée ce lundi 12 novembre au salon EquipHotel, le chef s’est associé à des étudiants des écoles Ferrandi, Essec et Ensci-Les Ateliers pour réfléchir sur l’évolution de la restauration et de l’alimentation d’ici 32 ans. De quoi soulever les problématiques écologiques, et d’envisager des solutions.
Et en plus, cela a une vertu pédagogique énorme pour redonner le cycle des saisons aux consommateurs. Quand on monte sur le toit et qu’on voit qu’il n’y a pas de tomates, parce que ce n’est pas la saison, eh bien on n’en commande pas au restaurant ! Les chefs ont la responsabilité de dire que si ce n’est pas à la carte, c’est parce que la nature ne peut pas le fournir sur le moment. La proposition doit toujours être en adéquation avec ce que propose la nature.
Cette relation avec la nature s’est perdue dans le temps. Mais les jeunes ont bien compris ce besoin, et sont très actifs là-dessus. C’est leur Mai-68 à eux. Ils ont bien compris que l’enjeu n’est pas de gauche ou de droite, mais bien de comment vivre sur cette planète.
Est-ce que, au-delà des aliments, la manière de manger va évoluer ?
– C’est surtout l’heure à laquelle on mange qui va évoluer. On touche déjà la fin du déjeuner : aujourd’hui on y consacre en moyenne 25 minutes. Les gens considèrent qu’ils ont autre chose à faire au moment du déjeuner – du sport par exemple.
Le mode de consommation aussi devrait évoluer : on va de plus en plus manger hors du foyer. On payera alors aussi bien pour le produit à consommer que pour le lieu, les deux pouvant se dissocier. On recherchera des ambiances liées à une cuisine d’auteur. Et on ira de plus en plus dans des food halls, qui peuvent être portés par des marques de qualité comme Eataly. En parallèle, les formules de snacking et de livraison vont continuer à se développer.