Tenerumi : Davide Guidara, l’ascèse végétale d’un insulaire radical

10 juin 2025  0  Food&Sens Broadcast MADE BY F&S
 

signature-food-and-sens Il est arrivé à Vulcano comme on entre en religion : avec foi, avec ferveur, et sans compromis. Davide Guidara, silhouette fuyante, précision chirurgicale, discours habité, ne fait pas de cuisine végétale pour plaire. Il la vit comme une nécessité intérieure, une éthique, un chemin ! À Tenerumi, son restaurant perché face à la mer, tout commence par l’île. Et tout s’y termine.

Vue depuis la terrasse du restaurant

Doublement étoilé – une rouge pour la cuisine, une verte pour la conscience –, Tenerumi est un restaurant à part. Ni fine dining classique, ni repaire hippie chic, mais un écosystème sous tension, où le végétal est roi, où l’assiette devient outil philosophique, politique, climatique. À 31 ans, Davide Guidara ne joue pas un rôle mais propose une au clients de vivre l’espace d’une soirée en immersion dans son monde !

Un choix d’île, pas d’isolement

Vulcano n’est pas une échappatoire, c’est un laboratoire ! C’est là que Davide a décidé de poser ses casseroles, son cerveau et ses rituels. Loin du chaos des grandes capitales, il a cherché l’essentiel : le sol, l’eau, la lumière, le vent.

Pour cela, il fallait tout repenser. L’expérience client, le rapport au service, l’organisation des plats et l’identité graphique même du restaurant. Car Tenerumi ne fonctionne pas comme un lieu de passage. C’est un pacte entre ceux qui y viennent et ceux qui y travaillent !

Et ce pacte repose sur une promesse : celle de ne rien céder. Pas de viande, pas de poisson, pas d’excuse. Du végétal exclusivement, dans toutes ses formes, mais jamais dans la mollesse! L’île nourrit, l’île exige, l’île forge et Davide, en retour, sublime l’île qui lui donne tant !

Un style à part, un rythme intérieur

Le chef n’est pas dans la démonstration. Il est dans une sorte de précision monastique moderne, dans le jeu des textures, dans l’extraction lente, dans la concentration goûts! Sa cuisine exige du temps, de l’attention, de la présence. et le dîner est quand à lui une cérémonie ritualisée, pas un show, dans laquelle tout est timée.

Les plats arrivent comme des fragments, bouchées après bouchées, tout est pensé pour provoquer un dialogue intérieur et ne pas laisser au client le temps de réfléchir mais de ressentir en vivant l’instant! Chaque service est calibré, mais jamais rigide. La nature est présente, mais elle n’est pas mise en scène. On ne mange pas « local » : on mange exactement là où l’on est.

Dans cette quête, Davide a ses maîtres. Il cite Gagnaire pour la structure, Rasmus Kofoed pour l’épure, Mauro Colagreco pour la relation au jardin. Mais ce qui le distingue, c’est cette radicalité calme. Il ne crie pas. Il insiste. Il ne s’impose pas. Il s’ancre. « C’est radical, c’est intense, c’est très umami… c’est la base de ma philosophie. »

Une philosophie incarnée, pas marketée

À Tenerumi, chaque geste compte. Du pain fermenté maison à l’assiette conçue avec des artisans siciliens, rien n’est décoratif. La durabilité n’est pas un label, c’est une contrainte quotidienne, parfois dure, toujours assumée.

Le potager alimente, inspire, enseigne. On y apprend l’humilité, la patience, la précision. L’équipe, jeune, est formée à cette discipline invisible. Ici, on ne recrute pas des exécutants, mais des croyants! « Vous devez amener la vision dans leur tête, pas seulement la technique dans leurs mains! »

Le Michelin a vu juste. Mais Davide rappelle que ce qui compte pour lui, c’est l’émotion du convive, le choc intime, la mémoire sensorielle qui s’active et se crée. Un plat ne vaut pas pour ce qu’il montre, mais pour ce qu’il déclenche! « La technique ne sert à rien si elle ne provoquent pas d’émotions. Moi, je veux avant tout que l’on ressente cette cuisine! »

Du manifeste à la transmission

Davide Guidara n’a pas seulement de style culinaire, il incarne une pensée profonde et c’est cette pensée qu’il a formalisée dans un manifeste. Écrit noir sur blanc, non pour imposer une vérité, mais pour proposer une boussole à qui veut comprendre ce qu’est pour lui la cuisine végétale! Cette dernière n’est pas un dogme. C’est une déclaration d’intention, une ligne de conduite!

Il ne se dit pas végétarien et pourtant il consacre son art au végétal. Par conviction personnelle. Par lucidité aussi. Mais avant tout parce qu’il sait que le goût se mérite, et que les légumes exigent plus que du respect : pour Davide, ils nécessitent une forme d’amour technique! Dans son manifeste, il y parle de patience, de maturation, de limites à ne pas franchir!

Former son équipe autour de cette vision, est un défi. Davide n’impose pas, il inspire, son rôle n’est pas d’expliquer, mais d’ouvrir les yeux. Il demande à chacun de penser. Et c’est peut-être là que son style devient unique : il cuisine des légumes, mais forme des humains à mieux les comprendre!

Pour Davide, le goût se construit donc dans la durée. Fermentations longues, marinades lentes, radicchio oublié deux semaines sous vinaigre… Chaque préparation raconte un temps caché, un travail souterrain. Le plat ne dit pas ce qu’il a traversé. Mais il en porte la mémoire.

Cette obsession du temps n’est pas gratuite. Elle permet de révéler l’intensité sans la brutalité, de décupler l’umami sans distordre la nature du produit. Davide parle de limite. Une ligne qu’il ne veut pas franchir. « Si tu manges un légume et que tu ne le reconnais plus, c’est que tu as dépassé la ligne! » Car pousser un légume dans ses retranchements, c’est le faire disparaître et faire disparaître un légume, c’est perdre le sens de ce que l’on fait!

Alors il avance en funambule. Il teste, il attend, il observe. Il cherche le point de bascule exact entre nature et culture. Et c’est dans cette tension que se loge sa beauté. Il ne transforme pas : il élève. Il ne domine pas : il révèle!

Le goût comme seul horizon

Davide le répète comme un mantra : le goût est la seule finalité. Tout le reste – technique, esthétique, storytelling – ne vaut que s’il ne sert pas l’intensité gustative. Cette posture le distingue dans un monde souvent tenté par la surenchère de la mise en scène. Chaque assiette doit frapper juste, sans bruit. Le goût doit se graver dans la mémoire sans avoir besoin d’explication. C’est une cuisine d’évidence, mais jamais de facilité.

Et quand il atteint cette justesse, quelque chose d’unique se produit : l’émotion naît sans artifice. Sans image, sans décor. Juste un légume, à son heure. Un goût, à son sommet. Un moment, parfaitement orchestré. Et soudain, tout devient limpide.

Sans vin, mais avec intensité

Refuser le vin dans un restaurant gastronomique, c’est refuser un pilier du rituel occidental et Davide l’a fait! À Tenerumi, pas de bouteille, pas d’accord mets et vins. Ce n’est pas un manque, c’est un choix. Radical, encore une fois. Il veut que les convives soient concentrés sur les plats, sur le goût pur, sur l’instant!

À la place, des infusions, des élixirs, des bouillons. Les liquides sont pensés comme des prolongements d’assiette. Chaque gorgée dialogue avec une bouchée. Le vin aurait peut-être brouillé le message, écrasé les subtilités. Ici, tout est calibré pour décupler avec finesse la perception des clients!

Ce choix étonne souvent, désarçonne parfois mais il ne laisse jamais indifférent. Et c’est là l’essence même de Tenerumi : provoquer une écoute intérieure, rééduquer la perception, redonner toute sa place à la cuisine sans distractions !

Tenerumi n’est donc pas un restaurant de plus dans la galaxie du végétal. C’est un sanctuaire contemporain. Là où d’autres affichent des slogans, Davide agit. Là où certains capitalisent sur les tendances, il se retire pour mieux avancer.

À 31 ans, Davide Guidara a compris que la vraie modernité, c’est l’essentiel! Que le vrai luxe, c’est la clarté. Que l’île sur laquelle il cuisine n’est pas une prison, mais un tremplin pour aller plus haut, plus juste, plus profond!

Et surtout, qu’une grande cuisine n’est pas faite pour éblouir, mais pour réveiller. À Tenerumi, on ne sort pas repu. On sort transformé!

Propos recueillis par Guillaume Erblang – Food&Sens

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