Gérald Passédat – Le chef trois étoiles témoigne après sa longue maladie : « Je veux profiter de ma position pour être le porte-voix de ceux qui sont atteints d’une maladie du foie. »

08 mars 2019  1  Chefs & Actualités
 

signature-food-and-sens Très beau témoignage du chef Gérald Passédat ( chef 3 étoiles au guide Michelin à Marseille ) qui s’exprime sur le magazine Le Point et explique sa longue absence des cuisines, son combat contre la maladie, son admiration pour les professeurs de médecine, le système médical français. Puis son lent retour en cuisine et toute l’admiration qu’il porte à ses chefs, ses équipes qui ont tenu la barre pendant son calvaire, et puis ce métier/passion qui le porte encore.

à Lire ci-dessous ou en cliquant sur le LE POINT :

Gérald Passedat : « Ma double greffe du foie » – Le chef triple étoilé du Petit Nice, à Marseille, révèle au « Point » sa maladie et sa guérison. Il nous en avait fait la promesse. « Dès que ma greffe du foie aura bien pris, je raconterai tout », s’était-il engagé lorsque nous lui avions rendu visite, le 21 mars 2018, à l’hôpital de Montpellier. Entre-temps, Gérald Passedat a fait un rejet et a dû subir une seconde intervention. Aujourd’hui en rémission, le chef 3 étoiles du Petit Nice, à Marseille, qui vient aussi d’ouvrir la brasserie du Lutetia à Paris, a décidé de se livrer sans détour sur sa maladie. Confessions d’un homme qui a frôlé la mort.

Le Point : Pourquoi avez-vous décidé de révéler que vous aviez subi deux greffes du foie ?

Gérald Passedat : C’est toujours difficile de parler de sa maladie, mais je me devais d’être d’une honnêteté absolue avec les convives qui sont venus au Petit Nice et se posaient des questions sur mon absence pendant sept mois, depuis janvier 2018 ; ils s’interrogeaient, à mon retour en août, sur mon changement physique. Par superstition, je voulais attendre le bon moment pour clarifier tout cela en étant sûr que ma deuxième greffe du foie avait bien pris. Ça me fait un bien fou d’en parler. Je veux profiter de ma position pour être le porte-voix de ceux qui sont atteints d’une maladie du foie.

Le Point – A quel moment vous êtes-vous aperçu que vous étiez malade ?

GP : J’ai eu une hépatite B, dans les années 1980, qui m’a contraint à être suivi régulièrement. Lors d’examens à l’été 2017, j’ai appris que j’avais des nodules au foie. Au départ, j’ai pris ça à la légère. Beaucoup moins quand on m’a montré les métastases qui commençaient à envahir mon foie. Le diagnostic de mes professeurs Marc Bourlière, à Marseille, et Georges- Philippe Pageaux, à Montpellier a été sans appel. Heureusement que ça n’a pas touché mon corps entièrement sinon cela aurait été la fin. 

Le Point – Lorsqu’on vous a annoncé votre maladie, le monde s’est écroulé…

GP : Pas vraiment ! Je l’ai pris comme une leçon de vie survenue à temps. Il n’y a jamais de hasard, il y a toujours une raison. Dans une course effrénée et boulimique, on a parfois besoin d’un arrêt pour repartir de plus belle, en mieux et grandi. Je me suis préparé à l’éventualité de la mort sans forcément y croire. Je savais que le combat mental serait déterminant pour survivre. J’ai énormément pleuré seul ou avec les autres pour évacuer. Ça ne m’était jamais arrivé avant. L’attente de la greffe du foie a été interminable. Cela a été très compliqué, car mon groupe sanguin est atypique. Le contre-la-montre a démarré le 12 novembre 2017 avec mon inscription sur la liste d’attente. La greffe devait intervenir absolument avant le début de l’été suivant pour éviter que mon foie ne devienne totalement cirrhotique.

Le Point – Quand avez-vous reçu l’appel libérateur ?

GP : J’ai été contacté le 2 mars 2018 à 9 heures. Un foie était compatible avec le mien. Je n’avais toutefois pas la certitude qu’il soit pour moi. Mon fils m’a conduit immédiatement à Montpellier ; la veille, ç’aurait été impossible, car la ville était coupée à la circulation à cause de la neige. Je l’ai pris comme un signe du destin en me répétant que c’était mon jour de chance. Je n’avais jamais eu autant envie de me faire opérer (sourires).

Le Point – L’opération s’est-elle bien déroulée ?

GP – L’intervention de mon chirurgien, Fabrizio Panaro, a duré douze heures. Entre mon passage en réanimation et mon retour en chambre pour les dosages et les antirejets, j’ai quitté l’hôpital après trois semaines, au lieu du mois prévu. La France possède une médecine exceptionnelle et un système unique au monde qui donne droit aux meilleurs traitements, gratuitement.

Le Point – Vous pensiez avoir fait le plus dur…

Quand je suis rentré fin mars à Marseille, je me sentais fort. J’étais en réalité très faible. Mon fils Roméo a arrêté ses études à l’institut Paul Bocuse, à Ecully, et ma compagne, Julie, a mis entre parenthèses son activité professionnelle pour être à mes côtés. J’avais perdu beaucoup de poids, je n’avais plus de muscles. Le 1 er avril, alors que je rentrais le soir d’une courte balade avec mon chien, l’une de mes jambes s’est bloquée et j’ai raté une marche d’escalier dans mon appartement. Pour éviter de tomber sur le ventre et d’éclater ma cicatrice, je me suis projeté sur le côté et me suis cassé le col du fémur. J’ai dû subir en urgence une intervention pour que l’on me mette une prothèse. Je suis ressorti le 18 avril, me déplaçant en déambulateur. Pour couronner le tout, les médecins à Montpellier ont découvert le 23 mai, lors d’une IRM, que j’avais contracté une maladie nosocomiale qui avait complètement infecté mon foie greffé. J’ai été placé en première position sur la liste d’attente nationale. Pour une fois que je suis premier quelque part (rires). Soit je recevais une greffe dans les soixante-douze heures, soit je décédais. J’ai fondu en larmes. J’étais anéanti, complètement perdu. Dans ma tête, ma vie a défilé en accéléré. J’ai imaginé que c’était la fin…

Le Point – Et finalement, l’espoir est revenu.

GP : Au bout de quarante-huit heures, on m’a annoncé, le 25 mai, qu’un foie était compatible. Quel soulagement ! J’ai passé douze heures au bloc. L’opération était très complexe puisqu’il fallait d’abord retirer le foie malade avant de transplanter le nouveau. Pour la première fois de mon existence, j’ai vu la mort en face de moi ; elle se matérialisait par une personne androgyne, qui m’observait avec ses yeux perçants. J’ai détourné mon regard pour ne pas l’affronter. A peine remonté en chambre, j’ai fait une hémorragie interne, le chirurgien a mis du temps pour me refermer le ventre.

Le Point – Comment vous sentiez-vous à ce moment-là ?

Mal ! Je n’étais plus que l’ombre de moi-même. Je ne me reconnaissais plus. Mon teint cireux oscillait entre le jaune, le vert et le marron. Mon ventre était ultragonflé. J’avais perdu 15 kilos. C’est très dégradant et terrible de vivre ainsi. Je suis resté plus d’un mois et demi à Montpellier.

Le Point – Et la nourriture, à l’hôpital ?

(Rires.) Pour être franc, pas terrible ! On mange mal tous les jours, et dans des barquettes en plastique. Je ne touchais quasiment pas au plateau. Le soulagement est venu des « plats canailles » apportés après ma première opération par Gilles Goujon, 3 étoiles à L’Auberge du Vieux-Puits à Fontjoncouse, et après ma deuxième par Charles Fontès, le chef 1 étoile de la Réserve Rimbaud, à Montpellier. Entre la crème de chou-fleur Dubarry, la bouillabaisse, le poulet au citron, la blanquette de veau, les cannellonis au bœuf et aux épinards, l’agneau aux olives, le tournedos Rossini… une résurrection !

Le Point – Qui a pris les commandes du Petit Nice en votre absence ?

GP – J’ai laissé les rênes à mon chef Sébastien Tantot. Du haut de ses 27 ans, il a maintenu le cap durant sept mois. Je l’appelais régulièrement pour faire le point avec lui. Il y a certains jours où mon état m’empêchait de lui téléphoner. J’ai fait pareil pour mes autres établissements, le Mucem et Albertine à Marseille, Louison à La Villa La Coste au Puy-Sainte-Réparade et à la brasserie du Lutetia, qui a ouvert à Paris début février. Je veux remercier mes équipes du fond du cœur pour leur travail, leur humanité et leur discrétion ainsi que mes confrères qui étaient dans la confidence.

Le Point – Comment s’est déroulé votre retour au Petit Nice ?

GP – Je suis revenu sur la pointe des pieds début août 2018. J’étais loin d’être en possession de tous mes moyens mais quel bonheur ! Ça m’a rappelé mon poste de commis à mes débuts chez mon père. J’ai veillé à ne pas empiéter sur ce qu’avait mis en place Sébastien Tantot. J’étais là, en observateur, pas en enquiquineur. Petit à petit, j’ai repris mes marques. J’ai remis pour la première fois ma veste blanche le 7 septembre lors du dîner du sommet européen sur la Méditerranée au Petit Nice entre Emmanuel Macron et Angela Merkel. Je suis même allé en salle pour présenter les plats avec l’appréhension d’un débutant.

Emmanuel Macron était-il au courant de votre maladie ?

GP – Je ne lui avais rien dit par pudeur. Sans me prévenir, mon fils a discrètement dit au président, après le dîner,ce qu’il m’était arrivé. Emmanuel Macron m’a affectueusement serré le bras en me glissant à l’oreille : « Je vous vois bientôt à l’Elysée. »

Le point – Comment vous portez-vous aujourd’hui ?

GP – Je touche du bois ! Ça ne va pas mal du tout. Je me plais à dire « work in progress ». Après une rééducation intensive, j’ai presque retrouvé tous mes muscles et repris mon poids de forme. Même si je ne peux pas encore pratiquer la natation vu que ma ceinture abdominale n’est pas totalement refaite, je me suis quand même rebaigné dans la Méditerranée. J’en avais les larmes aux yeux. C’était l’extase. Avoir reçu l’organe d’une personne décédée que l’on ne connaît pas est assez difficile psychologiquement. Je me suis posé tellement de questions. Aujourd’hui, mon corps a accepté mon nouveau foie, et lui aussi m’a accepté. J’espère le garder pour la vie et vaincre enfin la maladie.

Y a-t-il des aliments que vous ne pouvez plus manger ?

GP – Les poissons crus, les viandes crues, les crustacés, les coquillages, les champignons me sont interdits, en théorie, jusqu’à cet été. C’est un sacré dilemme, car je suis obligé de goûter ma cuisine du bout des lèvres. Je ne peux plus boire une seule goutte d’alcool non plus. Moi qui adore le vin, j’en suis privé. Je demanderai néanmoins l’autorisation de déguster un verre d’une bouteille de légende. Je veux ouvrir une Romanée-Conti 1999 avec mon fils et ma famille pour une grande occasion.

Le Point – Les 3 étoiles, est-ce toujours important après ce que vous avez vécu ?

GP – J’y tiens. Et elles me tiennent

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