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La Petite Cuillère à Lyon (premier épisode)

02 février 2018  0  À la petite cuillère
 

signature-food-and-sensEntre Lyon et moi, c’est une drôle d’histoire. La ville m’a parfois amenée à elle mais souvent pour se dérober, ne me laissant pas aller au bout de l’expérience. Par exemple, un projet éditorial à la demande d’un grand groupe de restauration (oui, celui auquel vous pensez) m’en avait cuit. À peine avais-je pris connaissance de la splendeur de cette ville et commencé à la dépeindre par écrit que j’étais balayée du revers de la main avec désinvolture. Une lettre d’avocat avait mis fin à l’abus, mais une petite amertume m’était restée, de celles qu’on ne trouve ni dans la cervelle de canut ni dans la mousseline de brochet, même pas dans la chartreuse. Depuis, j’avais fait quelques brèves incursions plutôt heureuses, mais sans me sentir vraiment dans le bain. Maintenant, c’est fini. Le temps de ce rendez-vous pris il y a si longtemps a enfin sonné. Cette fois, Lyon m’invite et me donne d’excellents arguments pour lui faire confiance. Elle m’épargne la toque blanche vertigineuse et les grands airs pour me montrer son visage aimable. Elle m’incite à traverser à pied le pont Morand pour se faire découvrir scintillante dans la nuit.

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Je ne me souvenais pas que c’était si beau, Lyon.

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LYON JOUR 1 : LE BISTROT DU POTAGER

Joli bistrot à deux salles et à cuisine vitrée, sympa et chaleureux. Spécialité de petites assiettes « à partager » (je ne comprends jamais pourquoi ce sont toujours des « petites assiettes » qu’on partage alors que, selon toute logique, ce devrait être des grandes). Et des petites assiettes joliment roulées. Mais très bien roulée aussi est la bidoche en direct de L’Argot, fameux boucher-restaurant lyonnais. Le faux-filet maturé quarante-cinq jours est servi au poids.LyonLyonAvant cela, j’ai pris un tartare de veau tout à fait bien.

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Beau choix de vins de la région (Beaujolais, Mâconnais, vallée du Rhône Nord). Mais depuis quand ne peut-on pas boire de vin au petit déjeuner ?

Le Bistrot du Potager Stalingrad – 163, boulevard de Stalingrad, 69006 Lyon. Tél. : 04 78 93 19 75. Ouvert midi et soir du lundi au vendredi. Autre adresse 83, rue de Gerland, 69007 Lyon. Tél. : 04 37 70 36 95. Pas de menu mais des assiettes à partager (apéro, mer, salades, viandes, fromages) et les suggestions du jour, plus substantielles. Comptez entre 30 et 50 €.

 

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LYON JOUR 3 : LA MEUNIÈRE

Je suis arrivée à Lyon avec un gros problème de dents que j’ai laissé traîner et qui est devenu gigantesque. Arrive le moment où je comprends qu’il faut agir, et vite. Un ami m’envoie chez son dentiste familial, qui, dès le lendemain, non seulement me débarrasse de mon gros problème et me dévitalise une molaire avant que j’aie eu le temps de m’en apercevoir, mais ajoute : « Vous avez un peu de temps ? Je vous fais les autres. » Et je sors de chez lui avec non pas une mais quatre dents réparées. Tout cela en une heure. C’est comme un conte de fées dentaire. Le soir, soulagée mais un peu sonnée, je déclare : « Je veux un bouchon. Pas de steak ni de choses fibreuses qu’il faut mâcher. Un bouchon où je peux manger des trucs mous et bons, des quenelles par exemple, du saint-marcellin qui s’étale jusqu’au bord de l’assiette. Et du pif, car boire, ça, je peux toujours. » On me conseille tout naturellement La Meunière.

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La Meunière, dont le logo (ci-dessus) me fait sourire d’aise, est un bouchon dans la rue des bouchons. Rue Neuve, en effet, tout bouchonne, ça gastropube un peu aussi, ça chinoise du Yunnan (j’essaierai) et ça thaïe aussi. Juste en face, il y a la brasserie Le Nord de Bocuse, mais foin de bocuseries, ce soir c’est la Meunière qui régale. L’entrée ne déçoit pas avec sa double paroi vitrée, et l’intérieur est décoré dans un agréable style quincaillerie-brocante, patiemment élaboré au fil des ans, commun à pas mal de bistrots anciens.

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C’est vraiment bien de boire au pot. C’est simple, esthétique et rassurant. Et là, c’est un blanc du Mâconnais tout en douceur et en velouté. Ça va avec tout.

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Assiettes Pyroblan de Sarreguemines décor oiseau-lyre, circa années 50. Mes grands-parents avaient les mêmes, c’est vrai, je vous jure. Chez Hamadi, le meilleur couscous de Paris, avait aussi les mêmes et les a gardées pendant des décennies avant de les remplacer par des assiettes en grès couleur muraille, ce que j’ai du mal à leur pardonner. Ici, on sait ce que le service de tante Pulcinée signifie pour la mémoire des humains et l’encadrement du comfort food. Merci pour eux. Soit dit en passant, les Pyroblan décor oiseau-lyre sont de très bonnes assiettes de restaurant, car leur décor est quasi inaltérable. Chez Hamadi, tant de cuillères les avaient raclées pour ramasser les derniers grains de couscous que sur certaines, l’oiseau sur sa branche apparaissait en pointillé. C’est dire combien elles ont été aimées, et combien de temps.

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Que poserai-je sur cet oiseau-lyre ? D’abord des saladiers lyonnais. Ci-dessus, la salade frisée aux oreilles de cochon, la salade de pied de veau et le museau de bœuf. Hors champ : salade de lentilles moutardée jusqu’aux oreilles et salade pommes de terre-cervelas. Je vous prie de me pardonner, c’est la première fois que je commande ça. C’est un piège insondable. Un trou dans le sol avec des pieux au fond. Des bâtons pour se faire battre. Quand on a faim, comme il est courant en début de repas, c’est impossible d’en sortir indemne. On prend une petite cuillère par-ci, une petite cuillère par-là, on va rester digne et composé (« On est comme un morceau de beurre dans une poêle sur le feu », écrit Garrison Keillor, « on croit qu’on va rester rectangulaire »), mais je t’en fiche : c’est qu’elles sont grave bonnes, ces lentilles bien baveuses, avec leur moutarde à la nitroglycérine ; tiens, une petite cuillère encore. Toute petite. Et ce pied de veau, fascinant : moelleux, glissant, élastique, fondant. Une texture somptueuse. Allez, encore un peu de lentilles, elles sont trop chouettes, pleines d’oignon rouge cru, miam. Et ce museau de bœuf croquant, acidulé, bon ça suffit maintenant, j’ai encore une tête de veau qui arrive. Voilà, vous avez compris : si vous commandez des saladiers lyonnais, vous n’aurez plus faim pour la suite. Il faudrait un archange armé jusqu’aux dents, entouré d’une flottille de chérubins désapprobateurs, pour vous empêcher de dépasser la dose. Et encore. L’archange serait fichu de repartir un saladier dans les bras, se gavant de lentilles en plein vol. Faites-moi plaisir : ne commandez pas de saladiers lyonnais si vous n’êtes pas certain d’assurer. De toute façon, il faut venir ici muni d’un solide appétit.

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Après, c’est vrai, je cale presque sur la tête de veau. Elle est pourtant bien bonne, bien chaude, bien momolle, protégée par une montagne de pommes de terre et de carottes comme par un doux édredon. La sauce gribiche est servie à part.

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Et pendant tout le dîner, la tarte bressane aux pralines, posée sur une desserte devant ma table, m’a fait de l’œil. En vain : je lui préférerai un demi-saint-marcellin qui ne se serait pas privé de couler si je lui en avais laissé le temps. Ça se mange sans faim. « Vous avez calé », remarque la patronne. Oh oui, merci de cette remarque clinique, bienveillante et non culpabilisante. C’est pas ma faute, vous voyez. C’est la faute aux saladiers.

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La Meunière – 11, rue Neuve, 69001 Lyon. Tél. : 04 78 28 62 91. Ouvert du mardi au samedi de midi à 13 h 45 et de 19 h 30 à 21 h 45. Menus 16,50 et 19 € (seulement le midi, du mardi au vendredi), 29 et 36 €. À la carte, comptez environ 40 €.

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Textes et photos : Sophie Brissaud

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