Ne passez plus à côté de Claude Colliot (Paris)
À la petite cuillère – voyage actuellement dans le Sauternais, en reportage avec un éminent photographe pour un projet top secret. Les vignes commencent à s’affoler et se parent de petites feuilles vert tendre. C’est mignon comme c’est pas permis. Rien n’exprime la puissance de la vie comme une vieille vigne qui bourgeonne. Duveteux comme des souris en peluche, les bourgeons se teintent de rouge vineux et renferment déjà l’embryon d’une fleur bien visible. Toute la grappe y est présente en rêve, et même le vin : on a l’impression de voir toute l’année se dérouler en un seul regard.
Ajoutez à cela l’air embaumé de la terre retournée (beaucoup de vignerons labourent en ce moment) et de l’herbe fraîchement coupée au bord des routes, le léon ! léon ! des paons au loin dans les parcs de châteaux, le hululement d’une chouette à la tombée de la nuit et, le soir, le cri d’une rainette près de la pièce d’eau (c’est comme un éclat de rire de Hillary Clinton, en plus humain) : tout ça peu après la descente du TGV, c’est tout de même magnifique le printemps. (Mais la grenouille empêche le photographe de dormir.)
Mais je ne compte pas vous parler du Sauternais en détail, ce sera pour une autre fois. Le post d’aujourd’hui sera concis mais déterminé : il faut que les gens, une bonne fois pour toutes, arrêtent de passer à côté de Claude Colliot. On est quelques-uns à le dire, mais apparemment ça ne suffit pas, car le restaurant n’est pas aussi plein qu’il le mériterait. Vous trouverez ici le compte rendu du magnifique repas que j’ai fait chez lui la semaine dernière.
Retenez bien ceci : Claude Colliot est un grand cuisinier. Son style est fait de simplicité, d’audace et d’ampleur. Son restaurant est situé rue des Blancs-Manteaux, dans le Marais, dans le quartier Rambuteau ; il avait autrefois Le Bamboche, dans le VIIe, pour ceux qui se souviennent, puis il a tenu les fourneaux de L’Orénoc, le restaurant du Méridien Étoile. J’avais même fait un post Chez Ptipois sur le sujet à l’époque.
Claude est quelqu’un d’important dans la cuisine française actuelle, mais il est trop éloigné de la culture Top Chef pour que ça se sache suffisamment. Son savoir culinaire s’appuie à la fois sur le métier, sur l’expérience et sur une intuition savoureuse. On ne sait pas trop, devant une de ses assiettes, si l’on est en présence de technique minutieuse ou de free-style absolu. En fait, si, je sais : on est en présence des deux. Pas de contradiction, pas de rupture : Claude a depuis longtemps atteint le point de maîtrise où méthode et inspiration ne peuvent être dissociées. Le moment où l’on peut jouer. C’est uniquement à ce prix qu’on est capable d’écrire, comme lui, un poème culinaire. Rien ne se mélange, dit-il ; tout s’associe.
Claude est plus qu’un artiste du produit, c’est un poète du produit : il l’interprète comme personne. Il ne le trahit pas, il le révèle, et pas toujours par les moyens qu’on aurait logiquement prévus pour ça. Depuis qu’il a un jardin près de Sully-sur-Loire, il est aux anges. Il entrepose dans son restaurant les pieds de fraisiers, de choux et de tomates qu’il y plantera bientôt. Vous retrouverez le fruit de tout cela sur ses assiettes.
On commence par des petits pois magnifiques. Ils ne viennent pas du jardin de Claude (trop tôt), mais ils pourraient.
Ils ont amené des copines : des asperges blanches croquantes, étuvées dans une fine émulsion citronnée au beurre, à la sauge et au galanga.
Crudo tout simple : d’épaisses lamelles de poisson (je ne me souviens plus si c’était de la bonite ou autre chose) garnies de feuilles de capucine qui apportent un croquant légèrement moutardé et humectées d’un petit jus à la citronnelle.
C’est alors qu’une masse noire arrive, ronde, insolite, déroutante.
Ce noir luisant se révèle être celui d’une feuille de nori enveloppant un tartare de veau. Le veau est niché sur un jaune d’œuf cru, note de richesse un peu sauvage, et un peu d’ail noir le relève. C’est de la nourriture des cavernes, de l’aube de l’humanité ; à la fois brutal, raffiné et fabuleux.
J’avoue ne pas avoir photographié le plat. Je l’ai dévoré en oubliant d’en prendre une image. C’était de l’agneau de lait rôti. Pour me faire pardonner, voici un graffiti adorable que j’ai aperçu dans le Marais, peu avant d’arriver au restaurant. Il vous envoie un message : À la petite cuillère vous aime.
Je me suis ressaisie au dessert, il faut dire aux desserts avec un x et un s. Il y en a trois. Des fraises sur un lit de fromage frais de brebis aux baies roses, une mousse de coco nuageuse cachant un cœur à l’ananas (une piña colada donc) soulignée d’un peu de poivre du Sichuan, et un sorbet au fruit de la Passion très acidulé, le jus pur pris en sorbet, avec une concassée de pistache.
Pour accompagner ce repas, Chantal (la femme de Claude, chargée des vins et de la salle) m’a versé successivement la version blanche et la version rouge de la cuvée Altitudes du domaine libanais Ixsir. Le rouge (cabernet sauvignon, syrah, caladoc et tempranillo) est à la fois droit et opulent, oriental sans être capiteux, avec des notes de roses rouges séchées et de mûre d’arbre. Le blanc est un vin des Mille et Une Nuits, aussi parfumé au nez qu’en bouche, à la fois sec et gras, légèrement muscaté (muscat, viognier, sauvignon, sémillon).
Allez donc chez Claude Colliot. Rien à ajouter, à part les infos pratiques.
Restaurant Claude Colliot – 40, rue des Blancs-Manteaux, Paris IVe. Tél. 01 42 71 55 45. Ouvert du mardi au samedi, de 12 heures à 14 heures et de 19 heures à 22 h 30. Menu carte blanche choisi par le chef : 4 plats 62 €, 7 plats 79 €, 6 plats végétariens 45€. Carte environ 50 €.
À la petite cuillère
Textes et photos : Sophie Brissaud
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