Chez Michel (Paris) : sympa et généreux
Atterrissage samedi matin à Charles-de-Gaulle, c’est pas trop tôt. Onze heures de vol dans le cornet, auxquelles il faut ajouter huit heures d’escale à Chongqing et deux heures de vol depuis Canton. Chongqing, l’aéroport interminable où tout est fermé après 20 heures et où il faut avoir WeChat Pay pour prendre des snacks aux distributeurs automatiques. Ambiance. Voici donc comment j’ai passé le temps : terrée au Starbucks pour recharger téléphone et ordi et boire du café pas bon ; petit tour à Muji en faisant de gros efforts pour ne pas acheter n’importe quoi ; achat de bananes rouges (excellentes), de cerises (insipides) et de jus d’orange en bouteille dans un magasin de fruits ; dîner composé des ingrédients précédemment cités ; visite d’un magasin où j’ai acheté en solde un petit peigne en bois de guibourtia avec incrustations dorées ; trekking vers la porte d’embarquement très lointaine, les aéroports chinois sont vraiment de plus en plus immenses. Chaque fois qu’on en construit un nouveau, il fait deux fois la surface du dernier en date. Je note tout de même que durant la descente de l’avion vers Chongqing, j’ai découvert un paysage époustouflant de beauté, tout en montagnes et en vallées vertes qui semblaient sculptées par la main d’un artiste, et qu’à l’occasion j’aimerais bien voir ça de plus près. Mais pour le moment, cette attente à l’aéroport est une épreuve. Le vol de 11 heures l’est aussi, bien entendu, même si exceptionnellement j’ai réussi à dormir plusieurs heures. Atterrissage, donc, à Charles-de-Gaulle. L’appareil s’immobilise. Le clic des ceintures retentit dans toute la cabine, ainsi que les divers ping, ding, piou et pouêt des téléphones qui se réveillent. Je reste sagement assise. Plus rien ne peut m’arriver. Un passager ouvre le casier à bagages au-dessus de moi. Un objet lourd et dur me tombe sur la tête. Fracture du crâne, à n’en pas douter. Le monsieur, voyant qu’il est en train de me trucider, me tourne le dos et rigole pour se donner une contenance. Je me frotte le crâne, il n’est pas cassé. On va tous s’en sortir.
Ce que je retire de tout ce voyage, y compris de mon escale à Chongqing, c’est qu’il y a toujours en Chine quelque chose qui tient du rêve. C’est peut-être ce qui m’y ramène régulièrement depuis douze ans. Ce rêve, cette atmosphère, cette poésie. D’ailleurs c’est écrit sur l’affiche ci-dessus.
Paris. Afin de ne pas accuser le choc du retour trop brutalement, je commence par prendre une douche et me mettre au lit. Pendant plusieurs jours, j’alterne sommeil et travail, tours de cadran, siestes et périodes d’activité. Comment ça, ce n’est pas comme ça qu’on efface le jetlag ? Le jetlag, on s’en débarrasse comme on peut et chacun a sa méthode. Lutter contre le sommeil ne sert à rien. Quand je retrouve un tant soit peu mes esprits, je m’aperçois que j’ai des thés de Chine à donner à des amis. Je rassemble ceux de Chihiro, et pas plus tard que lundi dernier, nous nous retrouvons Chez Michel. Pour nous, tout est occasion de festoyer, alors vous pensez, des thés !
« Le chef est japonais, a dit Chihiro. Il a racheté à Thierry Breton il n’y a pas très longtemps, mais il y a eu un incendie au restaurant. Ils ont retapé, et ça a rouvert récemment. C’est bon, on devrait y aller. »
Masahiro Kawai, Masa, est le chef de Chez Michel. Il respire l’enthousiasme, la gentillesse et la bonne humeur. Il est un peu atypique parmi les « chefs japonais faisant de la cuisine française à Paris », et d’ailleurs il ne se rattache pas au groupe. Il fait cavalier seul avec un idéal de cuisine de grand-mère franco-espagnole, généreuse et exubérante, certainement contracté pendant sa collaboration avec Yves Camdeborde et ses longs séjours en péninsule Ibérique, où, en parallèle des cuisines tecnoemocional pour touristes et jet-set gastronomique, persiste une forte tradition de la bonne bouffe goûteuse et colorée qui aime et ne compte pas. Prendre la suite de Thierry Breton n’a pas inspiré à Masa une grande rupture de continuité. Même s’il y a moins de plats bretons, on continue un peu dans la même veine généreuse et familiale. Bref, il n’y a peut-être plus de kouign-amann, mais ça pulse bien en mode terre-mer.
On attaque avec de gros bigorneaux et un premier verre de blanc. Très bonne idée les bigorneaux, et si je mange tout pendant que mes copains discutent, la serveuse propose du rab.
L’amour du produit en fonction de la saison : les asperges sont si belles en ce moment qu’il y en a partout. Ces asperges blanches sont accommodées avec amour : orange, graines de tournesol, billes de hareng. C’est simple et c’est bon.
Vu mon état, je n’ai pas grand appétit. Je suis plutôt poisson. Je choisis donc la soupe de poisson, très bonne, servie généreusement avec plein de croûtons et de parmesan.
Après ça, je n’ai plus très faim, et c’est dommage parce que j’ai commandé la bouillabaisse. Les puristes vont bondir car ce n’est pas une bouillabaisse marseillaise, ni martégale, ni rien. C’est une bouillabaisse japonaise, classique d’un restaurant que Chihiro m’a cité mais que j’ai oublié. Queue et pince de homard breton (parfaitement cuit), gros filet de dorade croustillant, palourdes, jus lié et asperges blanches (coucou nous revoilà !). Hélas j’en laisse la moitié. Chihiro devra expliquer au chef que mon organisme voyage encore entre deux continents pour qu’il n’éclate pas en sanglots.
Pendant que nous mastiquons, nous voyons passer à hauteur d’œil des assiettes volantes chargées de parts de fraisier que nous décidons de ne pas rater. À trois, nous avons la même idée : en réserver avant qu’il n’y en ait plus. Nous avons eu raison : il est beau, pimpant, léger (mais pas autant que la version japonaise), avec une sauce bien pistachée.
Allez-y sans hésiter : c’est bon, sympa, copieux, et chaque assiette exprime la joie de cuisiner et de partager.
Chez Michel – 10, rue de Belzunce, Paris Xe. Tél. : 01 44 53 06 20. Ouvert du lundi au vendredi, fermé samedi et dimanche. Menus : au déjeuner, entrée, plat, dessert : 35€, deux services 29€. Au dîner, entrée, plat et dessert : 38 €.
À la petite cuillère
Textes et photos : Sophie Brissaud