Interview les yeux dans les yeux avec Grégoire Berger – Dubaï, entre mythe et réalité !
Interview les yeux dans les yeux avec Grégoire Berger – Dubaï, entre mythe et réalité !
Retour à l’Ossiano pour la seconde partie de l’interview consacrée à Grégoire Berger qui s’exprime sur les particularités de la vie à Dubaï. Dans une ville qui n’a plus rien de comparable avec ce qu’elle était autrefois et où au-delà des toutes les apparences la vie reste impitoyable et incroyable à la fois, Grégoire Berger arrive à nous faire basculer d’un mythe pré-construit à une réalité que l’on maîtrise ou que l’on subit !
Mais avant, nous avons souhaité poser une dernière question que beaucoup de monde se pose :
Quelle est votre relation avec l’Aquarium ?
Comme je l’ai toujours dit : « L’aquarium est mon meilleur ennemi ». Avant on venait à l’Ossiano et on était un peu comme au cinéma. L’aquarium était l’attraction principale du lieu alors qu’aujourd’hui, les clients viennent avant tout pour la cuisine et le spectacle de l’aquarium vient habiller l’expérience. La relation du client avec le lieu s’est au cours des années inversée mais une grande partie de notre clientèle, environ 25/30% ne vient toujours encore que pour l’aquarium et ce, sans savoir ce qu’ils vont manger.
Le niveau de vie est très élevé à Dubaï, cela vous permet de pouvoir vendre cher et d’aller chercher les meilleurs produits… Quels sont vos réseaux d’approvisionnement ? Quelle attention portez-vous au développement durable ?
Au restaurant, nous avons choisi de ne travailler que des produits d’exception et ce, toute l’année ce qui justifie nos prix. À titre de comparaison, nous avons les tarifs d’un restaurant 2* en France et nous tentons de faire vivre au client une expérience de restaurant équivalente.
À Dubaï, il faut tout importer et nous avons énormément de taxes, la vie est chère, les produits sont chers et les vins sont chers, le niveau de vie est de ce fait très élevé, certaines personnes sont extrêmement riches, toutes ne le sont pas et cela tend à évoluer en ce sens.
Concernant les produits, j’ai un bon réseau d’importateurs. Quand j’ai besoin d’un produit spécifique, je leur demande de me le sourcer selon des critères de qualité que je leur donne. Comme nous sommes au milieu du monde, je ne prends pas exclusivement des produits français, d’autres pays du monde produisent également des produits d’exception.
Dans notre sélection, nous tentons toutefois d’avoir une éthique et nous portons une attention particulière à l’optimisation de notre empreinte écologique. Par contre, dire qu’à Dubaï nous sommes ou serons un jour durables est tout simplement faux car lorsqu’on met un produit 7h dans un avion, même si le produit est durable dans son pays d’origine, une fois sur place, il n’est plus durable du tout !
Beaucoup de chefs choisissent de travailler à Dubaï car les salaires y sont élevés… Mais finalement peu dont ceux qui y restent longtemps… Comment expliquez-vous ce phénomène ?
Les salaires sont élevés, mais comme je l’ai dit la vie est très chère. Avant on parlait d’eldorado, car les packages incluaient le logement, l’école pour les enfants, la voiture, le téléphone, etc… Aujourd’hui, on voit de plus en plus de single package sans aucun avantage et les salaires sont de moins en moins élevés.
Pour avoir un bon salaire, il faut vraiment cartonner et avoir des résultats. En 4 ans à l’Ossiano, ma situation s’est beaucoup améliorée, mais il faut dire que nous avons des résultats extra-ordinaires en terme de revenus, de satisfaction client et de fidélisation… Travailler à Dubaï est un vrai business, on ne s’amuse pas, car la pression du résultat est constante il faut le savoir !…
Alain Ducasse se rajoute bientôt à la longue liste des grands chefs étoilés présents sur Dubaï… cela vous inspire quoi ?
Je suis heureux de voir Alain Ducasse arriver, car nous avons la volonté de nous confronter à de grands noms, mais la première chose que cela m’inspire est « Bonne chance ! » Au final, peu importe le nom que tu as, il faut savoir que ça ne sera pas facile à Dubaï !
Si Alain Ducasse s’adapte à Dubaï, le restaurant risque d’être un succès, mais le challenge n’est pas de faire le buzz, mais bien de durer et de fidéliser les clients car l’offre à Dubaï est importante. Lorsque je suis arrivé il y a 4 ans, Dubaï comptait 3000 restaurants sur Tripadvisor, aujourd’hui on en compte plus de 9000 !…
Pensez-vous que d’avoir un nom soit un gage de résultat ?
Nous avons vu arriver beaucoup de monde et beaucoup sont reparti ! Je ne pense pas que d’avoir un nom soit un gage de résultat ! Je pense plutôt qu’en tant que chef et pour avoir des résultats il faut s’adapter à Dubaï et que ce n’est pas à Dubaï de s’adapter à nous.
Être français est un gage de qualité et quand je vais voir mes clients à table, je l’entends tous les jours : « Ah, vous êtes français ! C’est pour ça que c’est bon !« . Les chefs français ont cependant souvent tendance à penser que peu importe ce qu’ils vont faire les clients vont les suivre. Cela est faux.
Pierre Gagnaire a fait un gastro qui qu’il a rapidement fermé pour ouvrir un bistro. Et pourtant, le restaurant de Pierre Gagnaire était le meilleur gastro de tout Dubaï, les clients eux-mêmes le disaient !…
Pierre Gagnaire n’a jamais réussi à se faire une place à Dubaï, sa table « fine dining » est devenue formule plus bistrot. Comment expliquez-vous que le fine dining ne trouve pas son public sur place ?
Je suis persuadé que les clients de Dubaï ne recherchent pas une restauration gastronomique et qu’ils souhaitent plus s’amuser, danser, être vus. Ceci dit, le restaurant a tout de même été ouvert quelques années donc on ne peux pas dire qu’il n’a pas trouvé sa place ici. Je ne connais pas la raison exacte de leur fermeture et je ne peux par conséquent pas l’expliquer.
Me concernant, je ne sais pas si ce que je fais ici comme cuisine marcherait tel quel ailleurs mais je peux dire que la réputation d’un restaurant ne se construit pas du jour au lendemain. C’est un investissement qui revient très cher, il faut financièrement avoir les reins solides peu importe le styles restauration.
On dit que Dubaï traverse une crise sans précédent ? Comment ressentez-vous les choses ?
Dubaï a beau être Dubaï, il faut des clients pour remplir les hôtels et la « Crise » se ressent principalement sur le taux d’occupation des hôtels. Mais peut-être que ce n’est pas une crise, que l’on construit trop et qu’il y a simplement trop de chambres de disponible. Sur le Palm nous allons prochainement avoir 10 ouvertures d’hôtel et plus de 2600 chambres vont ouvrir pour cette fin d’année. C’est la loi de l’offre et de la demande.
De mon point de vue, ceux qui font de la qualité et qui ne coupent pas les coûts se démarquent en temps de crise !
Comment voyez-vous Dubaï dans 10 ans ?
La vie coûte de plus en plus cher les prix de l’essence grimpent, on voit arriver de nouvelles taxes.
Un mot de fin ?
Nous sommes pleins tous les jours et en venant, les clients savent qu’ils vont vivre une expérience unique donc je dirais qu’il faut avant tout être juste et respecter ses clients pour faire la différence !
Copyright FoodandSens / Guillaume Erblang