Alan Geaam ouvre Qasti en février – interview du chef en avant-première pour F&S
Alan Geaam ouvre Qasti en février – interview du chef en avant-première pour F&S
À Paris, le chef Alan Geaam, seul Libanais à avoir décroché une étoile Michelin, est en passe d’ouvrir une nouvelle table. Le Qasti, dont l’inauguration aura lieu le 17 février prochain, sera implanté en plein cœur du Marais, quartier de prédilection du chef. Déjà à la tête de deux établissements, dont son restaurant éponyme (étoilé), et l’Auberge Nicolas Flamel, le chef se lance avec Qasti dans une cuisine libanaise de saison, qu’il veut « authentique et différente », rehaussée par le savoir-faire français. Comme un pont entre deux pays, « Qasti unira le souvenir de là-bas et le savoir-faire d’ici », nous a-t-il confié. Moins d’un mois avant cette ouverture, Food&Sens est allé à la rencontre de ce chef au parcours hors-norme, pour en savoir plus sur sa nouvelle table. Rencontre.
F&S : Avant d’évoquer votre actualité, commençons par revenir sur votre étoile, décrochée début 2018 ; qu’a-t-elle changé pour vous ?
Alan Geaam : Cette étoile m’a donné des ailes ; depuis que je l’ai eue, j’ai davantage confiance en moi. ‘De la rue à l’étoile’, c’est mon histoire, je l’assume. J’ai fui deux guerres civiles, celle au Liberia puis celle au Liban ; avant de gagner la France en 1999, où j’ai commencé comme plongeur, et ai dormi un temps dans la rue. À mon arrivée ici, je me suis dit : je vais galérer, mais j’y arriverai. Ça m’a pris vingt ans, mais j’y suis arrivé. Moi qui suis autodidacte, j’ai eu mon étoile. Maintenant, je veux qu’on me connaisse surtout pour ma cuisine, plus que pour mon histoire.
F&S : Vous êtes sur le point d’ouvrir une nouvelle table. Comment vous sentez-vous, à l’approche de cette ouverture ?
A.G. : Ça me donne des frissons ! Avec Qasti, on veut faire quelque chose de différent, qui donne à voir la diversité de la cuisine libanaise, son authenticité, et sa saisonnalité. D’ailleurs, nous ne ferons du taboulé que pendant la saison des tomates. Il y a déjà beaucoup de restaurants libanais à Paris ; on souhaite se démarquer notamment par notre saisonnalité. Qasti, ce sera une cuisine jolie, légère, chic, rehaussée par le savoir-faire français. La carte se fera autour de la nature au Liban, qui joue un grand rôle dans l’essence de cette cuisine. L’esprit de la carte sera celui du partage, de la convivialité. Avec Qasti, je souhaite partager la cuisine de mes racines, qui est aussi celle de mes enfants. Qasti signifie d’ailleurs ‘mon histoire’ en libanais. Ce sera une cuisine d’instinct, pour me faire plaisir et faire plaisir aux clients. Et puis, Qasti est également l’occasion pour moi de remercier ma mère ; c’est elle qui m’a appris à cuisiner. Elle m’a aussi appris à aimer les gens ; pour un chef, c’est très important d’aimer les autres.
F&S : Parlons de la carte ?
A.G. : Les entrées et desserts seront à partager. En semaine, le menu déjeuner sera de 21 euros pour une entrée et un plat. Le menu du restaurant (42 euros) comprendra 6 mezze pour deux, un plat par personne, et 4 desserts miniatures. Côté desserts, on trouvera notamment un soufflé au chocolat et au zaatar (thym), des baklavas bien sûr, de la glace achta… Le dimanche, on proposera un buffet, façon brunch, pour les entrées et les desserts. Après les entrées, on servira aux clients le poulet rôti de mon enfance, ou bien un œuf à la libanaise (soit des œufs à l’awarma, soit une omelette au persil et menthe, soit un œuf au sumac.)
F&S : Côté salle, qu’avez-vous prévu pour Qasti ?
A.G. : Le restaurant comprendra 30 places assises, et sera ouvert tous les jours, dimanche inclus. Niveau vaisselle, elle correspondra aux codes du bistro. Quant au décor, il y aura des fresques signées par l’artiste Linnéa Andersson.
F&S : Pourquoi avoir choisi le Marais pour implanter le Qasti ?
A.G. : Parce que j’habite ce quartier ! (Rires). J’adore le Marais ; c’est un quartier central, proche de tout, qui fonctionne comme un petit village, et qui plus est, a une histoire.
F&S : Vous êtes actuellement à la tête de trois restaurants (Alan Geaam Restaurant, l’Auberge Nicolas Flamel, et bientôt le Qasti), ainsi que d’une boulangerie située juste en face de l’Auberge Nicolas Flamel ; on ne vous arrête plus ?
A.G. : (Rires). En plus, je suis à nouveau papa depuis le 8 janvier ! C’est mon troisième enfant. (Il nous montre une photo, NDLR.) Je suis heureux. Aujourd’hui, je fais le métier que j’aime, et j’ai une famille. C’est aussi ça la réussite : construire une famille. Pour moi, c’est très important. Mon autre pilier dans la vie, c’est la boxe anglaise ; elle apprend à encaisser les coups.
F&S : Retournez-vous souvent au Liban, pour aller au plus près des racines de la cuisine libanaise ?
A.G. : J’essaie, oui. J’y ai emmené mon équipe il n’y a pas longtemps, d’ailleurs. Quand j’y retourne, je vais au Palais de la Pâtisserie (Hallab 1881) à Tripoli, au restaurant Babel à Beyrouth, au Abdel Wahab à Beyrouth, et au Manuela à Jounieh.
F&S : Vous êtes le seul chef libanais à avoir une étoile Michelin. Qu’est-ce que cela implique ?
A.G. : Je me sens responsable envers les autres chefs libanais ; j’ai envie de leur montrer le chemin ; de leur montrer que tout est possible. Vous savez, être le seul étoilé de toute la diaspora libanaise, ce n’est pas rien…
F&S : Envisagez-vous, à terme, d’ouvrir un restaurant au Liban également ?
A.G. : Non ; cela fait 21 ans que j’habite en France, je suis ici désormais. Ceci dit, je pense au Liban tous les jours, et je fais des choses pour mon pays autrement. J’adore mes deux pays.
F&S : Parlons des produits et des plats typiques du Liban ; lesquels préférez-vous ?
A.G. : Parmi mes produits préférés, il y a la grenade. Et dans mes plats préférés, je dirais les feuilles de vigne, l’agneau confit, et les baklavas bien sûr… La cuisine libanaise est pleine de saveurs ; du persil, des tomates ; la subtilité des épices ; les jeux d’acidité…
F&S : Qu’est-ce qu’on vous souhaite avec Qasti ?
A.G. : Qu’il trouve sa place parmi tous ces chefs ! (Rires).
Anastasia Chelini
Photos de plats : Anthony Rahayel