À Paris, Jessica Préalpato signe un goûter élégant et singulier. Nous sommes allés voir.

22 octobre 2023  0  F&S LIVE
 
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Par Anastasia Chelini

Il fallait une adresse française à Jessica Préalpato. Après un passage remarqué à Londres, où elle a signé pendant un an un Tea time brillant au Carlton Tower Jumeirah, la talentueuse cheffe pâtissière est de retour à Paris. Et c’est au San Régis, hôtel intimiste situé à quelques pas seulement de son ancienne adresse (le Plaza Athénée, où elle fut la cheffe patissière du restaurant Alain Ducasse), que la jeune femme entame sa rentrée parisienne. Bien sûr, nous sommes allés voir. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que comme toujours, elle signe une partition de haute volée. 

Crédit photo : Virginie Garnier

Pour décrire le travail de Jessica Préalpato, il faut d’abord choisir des ingrédients exigeants : recherche, innovation, différenciation. Voilà des adjectifs qui conviennent ; qui disent un peu de sa quête, de l’effort qui est le sien, depuis le concept de desseralité qu’elle a mis au point sous l’égide d’Alain Ducasse. Au San Régis, la cheffe pâtissière a veillé à inclure d’autres mots également ; pour ne pas pousser le curseur de la recherche trop loin, puisqu’il s’agit d’un goûter –forcément supposé apporter son lot de gourmandise et de chaleur. De fait, intelligent et joyeux, voilà également qui décrit la nouvelle offre qu’elle signe dans cet hôtel de luxe discret, familial, où le sens du service est réel, et où les clients, semble-t-il, coulent des jours (et séjours) paisibles. S’il s’agit d’un goûter, et non d’un Afternoon tea stricto sensu, c’est parce que les propriétaires de l’hôtel, Sarah et Zeina Georges, l’ont spécifiquement souhaité. « Elles savaient ce qu’elles voulaient, ce qui m’a aidé », explique la cheffe pâtissière. « Elles souhaitaient quelque chose de neuf ; où il n’y ait ni salé, ni cakes, ni scones. Qui soit convivial, à partager ; et où l’on retrouve bien mon univers », confie Jessica Préalpato. Le résultat va dans ce sens ; il sait trouver le côté gourmand du goûter à la française, et ne fait pas figurer de séquence salée – traditionnellement absente de la version hexagonale de la pause de 16 heures. Servie avec une infusion sur-mesure, et débutant par un verre de champagne rosé, l’offre décline trois moments : la boîte à biscuits, qui se veut l’itération renouvelée du contenu de la boîte à biscuits de notre enfance (remplie de petits beurres, notamment) ; le dessert à l’assiette ; et le gâteau au chocolat. 

Crédit photo : Virginie Garnier

Les familiers de l’univers de Jessica Préalpato ne seront pas surpris par son offre, forte et singulière. Dans ce joli goûter, qui n’est ni classique ni bourré de crème, on reconnaît la patte de la cheffe ; sa retenue côté sucre et beurre ; son travail approfondi sur les farines, anciennes de préférence, rehaussé par l’usage plébiscité du miel (plutôt de châtaigne, et toujours fort en goût). Son interprétation du petit beurre est convaincante. De son côté, le fruit, qui accompagne la première séquence, se déguste avec une évidence déconcertante – en ce début d’automne, il s’agit d’un raisin, richement servi dans une coupe. Côté boisson, l’infusion choisie par la cheffe distille ses notes pastèque, marquées par le melon. Dans cette première séquence, la gaufre, peut-être, convainc moins ; volontairement légèrement brûlée aux contours, et servie dans une forme et un goût différents. Mais elle a son intérêt : celui de montrer une autre voie ; une autre façon de penser la gaufre. « Je voulais qu’elle soit différente et présentée différemment », explique la cheffe à son sujet. Les choux, quant à eux, s’annoncent difficiles à ne pas conserver à l’année, tant ils sont réussis (et ultra légers). Place maintenant au second chapitre : le dessert à l’assiette. La force de la framboise, l’anis bien présent, le passage discret mais notable de l’huile d’olive, et le pesto de cresson, en font un beau moment. La tarte de saison, quant à elle, truste la figue, intense. Enfin, l’ultime moment et dernier chapitre : le gâteau au chocolat. C’est là qu’advient la gourmandise pure. D’apparence simple, ce gâteau emprunte au mi-cuit sans en être, et surtout, réunit complètement les qualités bien-aimées du goûter : ce côté enthousiaste, fédérateur, heureux. Comme quoi, il faut avoir poussé loin l’effort en pâtisserie, pour pouvoir signer un gâteau au chocolat si complètement séduisant. Au final, l’exercice du goûter est ici maîtrisé, gourmand mais pas tout le temps, chercheur mais pas puriste ; à l’équilibre, donc. Et franchement intéressant.

Crédit photo : Pepa Sion

Faire une offre différente, voilà qui correspond, on le sait, à Jessica Préalpato. La jeune femme ne veut pas faire ce qui existe déjà ; « ce n’est pas par égo ; mais c’est parce que ça ne m’intéresse pas », explique-t-elle simplement. « J’aime faire autre chose. » Au San Régis, elle ne trahit pas ce credo. Depuis Londres et son génial Afternoon tea (il faut souligner l’offre innovante qu’elle y servait, avec son scone à l’ortie par exemple, ou son inoubliable finger sandwich francisé, un croissant fourré à l’œuf de canard et truffe noire), la jeune femme a pris de l’assurance. « Grâce à Londres, je sais que c’est possible », confie-t-elle. À Paris, elle a trouvé au San Régis un lieu qui lui correspond ; à taille humaine, et où chacun compte. De fait, les deux serveurs du goûter sont respectivement là depuis plus de 15 ans ; preuve, s’il en fallait, qu’ils se plaisent dans cet établissement. « Dès la première fois que je m’y suis rendue, j’ai adoré l’endroit. L’hôtel est très parisien, et j’ai trouvé les propriétaires très humaines, gentilles, sincèrement contentes de travailler avec moi, pas juste pour s’associer à mon nom ou à mon image, mais parce qu’elles aiment vraiment mon univers », raconte la cheffe pâtissière. « J’ai fait l’offre en une journée. Je tenais à ce qu’il y ait un dessert à l’assiette, ainsi qu’une boîte à gâteaux », évoquant celle de son enfance. La présence d’une infusion spécifique, aussi, « tenait à cœur » à la cheffe pâtissière, qui souhaitait quelque chose « qui puisse accompagner pendant tout le repas ». 

Crédit photo : Pepa Sion

D’autres éléments importaient tout autant à la cheffe pâtissière, qui figurent aussi dans ce goûter – dont la teneur si particulière persiste bien après qu’on ait quitté le San Régis ; les petits beurres que l’on vous glisse, dans un sachet serré par un joli ruban, y contribuent sans doute aussi. Jessica Préalpato, donc, souhaitait aussi travailler avec ses petits producteurs habituels. « Une grande partie d’entre eux sont ceux avec lesquels je travaillais du temps de Monsieur Ducasse », explique-t-elle. Parce qu’elle est désireuse de mettre le produit en avant, elle a fait figurer sur la carte les noms des producteurs en question ; leur donnant du même coup une jolie visibilité. En outre, la cheffe pâtissière tenait, pour ce goûter, à continuer à faire l’économie (appréciable) de tout sucre inutile ; comme du temps de la desseralité. L’impression générale, de fait, est celle d’une étonnante légèreté ; on ressort de ce goûter sans aucun sentiment de lourdeur – ce qui, au vu de la consistance de l’offre, n’est pas peu de chose. « Pour les choux par exemple, on a modifié toutes les farines de la pâte à choux. On a enlevé les œufs également », détaille-t-elle. Pour le dessert signature (celui à la framboise), « il y a très peu de sucre également. Il y a du miel dans le condiment, du gingembre, du poivre, des framboises fraîches et du pesto. Et dans le sorbet, pour 1 litre de jus de framboise, il y a 80 grammes de glucose atomisé. Donc très peu de sucre. » Il y en a très peu aussi dans la boîte à biscuit, pour laquelle a été utilisée de la pâte de pruneau ; tandis que pour la tarte aux figues, le miel de châtaignier a remplacé le sucre. « J’utilise beaucoup de miel, qu’on choisit pour son caractère ; et de la fleur de coco », précise la jeune femme. Son travail, exigeant et innovant, n’est pas passé inaperçu auprès du traiteur Cultures Food / Grand Chemin Traiteur, qui gère la marque Fauchon Réceptions. « Nous sommes en train de re-développer la marque », confie Jessica Préalpato. À suivre, donc. 

Crédit photo : Pepa Sion
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