Food&Sens x Gastromasa – Une table ronde sur les échanges culturels dans la gastronomie
Table ronde Food&Sens, Gastromasa Istanbul 2025
Depuis dix ans, le festival Gastromasa s’est imposé comme l’un des rares événements capables de réunir les chefs du monde autour d’une idée simple : le dialogue comme moteur de la gastronomie. À Istanbul, la scène du festival s’est transformée en agora culinaire où se croisent regards, influences et mémoires sensorielles.
Sous la modération de Guillaume Erblang, une table ronde organisée par Food&Sens a réuni quatre figures majeures de la péninsule ibérique : Pepe Solla, João Oliveira, João Rodrigues et Juanjo López. Ensemble, ils ont exploré un thème d’une actualité brûlante : les échanges culturels dans la gastronomie et l’expérience des saveurs venues d’ailleurs.
Derrière cette apparente évidence se cache une question essentielle : comment un chef peut-il continuer à voyager sans perdre son ancrage ? Car dans un monde où les produits, les techniques et les influences circulent à la vitesse des flux numériques, le voyage ne désigne plus seulement un déplacement. Il devient une posture de pensée, une manière d’observer et d’interpréter le monde.
I. La mémoire du goût comme passeport
Les quatre chefs invités ont en commun un attachement profond à leur territoire mais aussi une conscience aiguë de la porosité du goût. Tous l’ont rappelé : la cuisine n’est jamais fermée sur elle-même. Elle respire par les échanges, les gestes observés ailleurs, les produits découverts au détour d’un marché, les techniques glanées dans d’autres cultures.
Pepe Solla, défenseur d’une cuisine galicienne libre, a souligné que la rencontre des cultures ne menace pas l’identité d’un cuisinier, elle l’affine. João Rodrigues, dont le projet Projecto Matéria fait dialoguer producteur et cuisinier, a rappelé que voyager et donc partir, c’est aussi revenir ! Revenir à soi, à ses racines, plus conscient de ce que l’on porte en soi.
Le goût, dit-on souvent, est une mémoire. Mais cette mémoire ne se fige pas : elle évolue à travers le contact. Le goût du monde n’efface pas les identités locales, il les éclaire autrement. Ce que ces chefs revendiquent, c’est une gastronomie perméable mais non dissolue, une cuisine ouverte, capable d’accueillir sans s’abandonner.

II. La circulation des influences, entre échange et respect
La question n’est pas tant de savoir s’il faut s’inspirer, mais comment le faire sans dénaturer. L’influence n’est pas le plagiat, elle devient un apprentissage. Juanjo López, chef madrilène du restaurant La Tasquita de Enfrente, a insisté sur la notion de respect : reprendre un produit, une technique ou une idée, c’est prolonger un dialogue, pas usurper une origine.
À l’inverse, la mondialisation du goût a parfois produit des cuisines sans identité, façonnées par la standardisation des tendances. C’est ce que dénoncent de plus en plus de chefs : l’imitation sans ancrage, la copie sans âme.
Dans cette discussion, João Oliveira, chef de Vista à Portimão, a évoqué la nécessité d’un équilibre. Le voyage nourrit, mais ne remplace pas. L’ouverture ne doit pas être confusion. L’identité d’un chef se construit dans la tension entre ce qu’il apprend et ce qu’il choisit de garder.
C’est là, sans doute, que la gastronomie contemporaine se distingue : elle ne cherche plus à imposer un style, mais à composer un vocabulaire commun, fait de nuances, d’accents et de respirations partagées.
III. Food&Sens, ou l’art de faire voyager les chefs
Depuis sa création, Food&Sens s’attache à défendre une idée forte : faire voyager les chefs, souvent prisonniers de leurs cuisines, pour leur permettre d’ouvrir leur regard au monde. À travers les festivals, les entretiens, les reportages, le média agit comme un passeur de parole entre les cultures.
Cette table ronde s’inscrit dans cette mission comme pour rappeler que la gastronomie ne se résume pas à des assiettes, mais qu’elle est un langage, une pensée en mouvement. En provoquant la rencontre entre quatre chefs ibériques, Food&Sens et Gastromasa ne cherchait pas à comparer des traditions, mais à montrer qu’au-delà des frontières, la cuisine parle toujours le même dialecte : celui de la sincérité, du partage et du goût.
Guillaume Erblang l’a rappelé en conclusion : « Le goût est une mémoire en mouvement. Les échanges ne transforment pas les chefs : ils les affinent. » Dans cette phrase réside peut-être la clé de l’avenir gastronomique. L’ouverture ne se mesure pas au nombre de voyages, mais à la capacité d’écoute et d’observation.

La table comme lieu d’un dialogue universel
Le dialogue entre ces quatre chefs a montré qu’il existe encore, au cœur d’une gastronomie parfois saturée d’images et de tendances, un espace de pensée libre. Là où les produits, les cultures et les sensibilités se rencontrent sans se dévorer.
Ce échange d’idées a rappelé une évidence : la cuisine n’est pas une langue morte, mais une conversation vivante. Et si le goût voyage, ce n’est pas pour fuir son origine, mais pour mieux la comprendre.
Guillaume Erblang / Foodandsens


















