Soirée de lancement de la Liste au Quai d’Orsay
Hier, 17 décembre, avait lieu à Paris, dans les salons du ministère des Affaires étrangères, la soirée de lancement de la Liste. La Liste avec une capitale, car c’est la liste des Listes, celle qui rassemble et synthétise toutes les autres. Liste de de quoi ? De restaurants bien entendu, compilés à l’échelle mondiale.
Sur le podium, après la remise des prix spéciaux. De gauche à droite, l’ambassadeur Philippe Faure, initiateur de la Liste ; Guy Savoy ; Gilles Goujon (Auberge du Vieux Puits à Fontjoncouse) et Benoît Violier (cachés, en plein bisou) ; Michel Troisgros ; Per Se (New York) ; Joan Roca (El Celler de Can Roca, Girona, Catalogne).
Ça buzzait déjà bien depuis quelques semaines. Pas toujours facile de savoir précisément quelles informations émanaient du projet même et lesquelles étaient plutôt du type « sardine qui bouche le port de Marseille ». On entendait parler de « liste des 1000 meilleurs restaurants du monde. » On parlait d’algorithme et de redorer le blason de la gastronomie française, paraît-il mise à mal par la liste des Worlds’ 50Best. Or soit il y a algorithme — donc rigueur mathématique implacable —, soit il y a blason à redorer et 50Best à combattre, donc une intention. Ça n’allait pas bien ensemble. Et en ce qui concernait les « 1000 meilleurs restaurants du monde » : oh no, not again. Entre la liste des 50Best, « 50 meilleurs », établie par Restaurant Magazine et les touristes qui demandent où trouver le meilleur croissant de Paris (scoop : ça n’existe pas), on n’en pouvait plus du meilleur, du best, du top, du firmament. Sans en savoir davantage, on recevait des signaux pas toujours très cohérents, d’autant qu’on s’était un peu lassé des listes, des classements, des étoiles, des macarons, des toques. Et si l’on arrêtait de hiérarchiser, de donner à tout la forme d’une pyramide ? Voilà ce qui bourdonnait autour de cette Liste qui n’avait encore été ni divulguée ni explicitée. Et, en vrac, les idées sommaires que j’avais en tête au moment où mon pied intimidé se posait sur le parquet ciré des salons du quai d’Orsay.
Les élèves de l’école Ferrandi, en grande tenue, assurent le service du buffet.
Mais il faut toujours juger sur pièces. Le dossier de presse et les discours inauguraux offrent une tout autre perspective : nulle part il n’est fait mention de « 1000 meilleurs restaurants du monde », mais de 1000 restaurants d’exception sur les cinq continents. Honnêtement, ça n’a rien à voir. C’est une tout autre approche. De même, la liste des 50Best Restaurants n’est pas mal conçue mais mal nommée, car elle ne rassemble pas d’hypothétiques « meilleurs du monde » mais les restaurants les plus trendy, ceux qui buzzent le plus à un moment donné. Cette précision aiderait, aurait aidé à mieux comprendre son fonctionnement. Quand on lance un projet, une tendance, le nom doit refléter la définition de la chose, c’est essentiel ; et les auteurs de La Liste y ont pensé : par la simplicité et la concision du terme, ils épurent et clarifient le propos tout en affirmant leur intention d’établir une synthèse. « La liste, poursuit le dossier de presse, « est conçue comme un agrégateur, un ‘classement de classements’ sur le modèle de l’ATP au tennis, du classement de Shanghai en matière d’éducation supérieure ou du site Rotten Tomatoes pour la critique de cinéma. Elle n’a pas vocation à hiérarchiser les cultures gastronomiques ni à juger en son nom de la qualité des restaurants, mais plus modestement à compiler les évaluations de tous les guides et avis en ligne existants pour distinguer mille établissements d’exception à travers le monde. »
Quelques invités. De gauche à droite : Albert Nahmias, Benoît Violier (L’Hôtel de Ville à Crissier), Jean-Claude Ribaut, Eric Ripert (Le Bernardin, New York).
En fin de dossier, sur les cartes des cinq continents, figurent les titres des guides employés pour chaque pays. Je me permets de citer plus longuement le dossier, car la démarche le mérite : « Dans un premier temps, nous avons recensé, harmonisé et compilé les notes attribuées par près de 200 guides et sites d’avis en ligne à quelques milliers de restaurants. – Les notes concernant spécifiquement la carte des vins, le service et le cadre ont également été intégrées. – Nous avons ensuite demandé à un panel de 150 000 restaurateurs de se prononcer sur la fiabilité de ces différents guides. – Les résultats de ce sondage, réalisé sous contrôle d’huissier, ont déterminé le poids relatif de chaque guide dans la note globale de chaque restaurant. – Enfin, les avis des internautes sur les sites participatifs ont été intégrés tels quels, comptant au total pour 25 % de la note finale. – En outre, des prix spéciaux sont attribués aux restaurants les mieux classés dans diverses catégories (meilleure cave, meilleur service) et aux chefs les plus cités dans l’ensemble du classement. »
Celia Tunc (Collège culinaire de France) et Guillaume Gomez (chef de l’Élysée).
Les grandes tendances qui se dégagent déjà sont les suivantes : Les pays les mieux représentés sont, dans l’ordre, le Japon, la France, les États-Unis, la Chine, l’Espagne, l’Allemagne et l’Italie. La Russie, pour cause d’embargo sans doute, se trouve en retrait. La Scandinavie, très distinguée par la liste des 50Best mais balayée par l’algorithme de la Liste, n’est plus dans le peloton de tête, alors que l’Espagne est en bonne place. Il ne s’agit donc plus de hiérarchiser des styles de cuisine ou de soutenir des tendances mais d’extraire rationnellement la moelle des guides existants : or il y a moins de guides pour la Suède et le Danemark, par exemple, que pour l’Espagne, Singapour, la Colombie et l’Autriche. C’est une bonne nouvelle, car, pourvu qu’on se serve de supports représentatifs, il est possible de dessiner assez précisément une cartographie des cultures gastronomiques selon les régions du monde. L’intention de ne pas hiérarchiser les cuisines nationales est manifestée très clairement par les compilateurs de la liste.
Guillaume Gomez et Michel Cloes (consul de France en Belgique ; CCN World).
Il est toujours bon d’aller au fond des choses, et cette soirée a été l’occasion de prendre connaissance du travail considérable et intelligent qui a été effectué sur ce projet. Bravo, donc, à l’équipe de La Liste et à cette initiative nouvelle qui est appelée à se développer, à s’affiner avec le temps. Je pense même qu’à terme, elle peut contribuer à dédramatiser la dynamique des listes et des guides, à réduire la pression parfois excessive que certains exercent sur le monde de la restauration : dois-je rappeler les effets néfastes de la course aux macarons Michelin, le formatage culinaire qu’elle suscite ? Et à une époque où les systèmes de classement existants ont déçu, où les plus vénérables comme les plus « cool » (disent-ils) se sont décrédibilisés à plusieurs reprises, il est nécessaire de trouver d’autres moyens d’évaluation, et cette incursion de la moyenne arithmétique pondérée (selon le terme de Jörg Zipprick, cocréateur de la Liste) ne peut qu’apporter un peu de bon sens et de principe de réalité dans un monde culinaire en quête de nouvelles lignes de force.
Jacques Le Divellec (monstre sacré de la restauration) causant avec Benoît Violier.
Mille restaurants disséminés sur la surface du globe, c’est beaucoup et cela implique une diversité. Dans un deuxième temps, après la gastronomie, l’équipe de La Liste souhaite s’attaquer aux restaurants à prix modérés, aux bistrots, voire à la cuisine de rue, aux bons rapports qualité-prix. Occasion évidemment de mettre en valeur des cuisines encore plus diversifiées, d’autant que le critère de la satisfaction du client a été pris en considération dans la sélection, ce qui constitue une innovation par rapport au modus operandi des guides traditionnels. Si la Liste prospère et progresse, elle pourra susciter de nouveaux désirs et redéfinir — voire définir enfin correctement — la gastronomie. Le monde qui naît sous nos yeux (dans la douleur, mais ceci est une autre histoire) est et sera forcément multipolaire : je ne vois pas pourquoi le monde de la gastronomie ne le serait pas aussi.
Côme de Chérisey (Gault&Millau), Akrame Benallal (restaurant Akrame, Paris), Gérald Passédat (Le Petit Nice, Marseille).
La Liste est portée par une structure associative et soutenue par plusieurs mécènes. Son initiateur est l’ambassadeur Philippe Faure, et son équipe rassemble les journalistes Thibaut Danancher, Jean-Claude Ribaut, Jörg Zipprick ; ainsi que Jean-Robert Pitte, géographe, président de la Mission française du patrimoine et des cultures alimentaires. Il faut également louer l’excellent travail de Bernadette Vizioz qui a su restructurer avec talent la communication du projet durant ces dernières semaines. Sans oublier le Conseil des Grands Crus classés en 1855 (Médoc et Sauternes) qui a mis à disposition quelques belles bouteilles. Et quiconque a eu la bonne idée de nous faire servir, tout au long de la soirée, un excellent moët-et-chandon en magnum millésimé 2006.
À la petite cuillère
Textes et photos : Sophie Brissaud