La gastronomie en France doit dorénavant compter avec les chefs Japonais qui s’y sont installés
Ils sont de plus en plus nombreux à investir et à s’installer en France, les jeunes chefs Japonais décrochent toques et étoiles dans les grands guides gastronomiques français. Ce phénomène prend de l’ampleur, leur implantation a commencé par Paris, mais aujourd’hui ils sont nombreux à se poser en province et à bousculer l’ordre établi dans les palmarès des meilleures tables.
Ils ont bien compris que pour éclore sur la scène internationale, il était préférable de réussir en France et de profiter d’une large exposition médiatique qui allait les propulser en haut de l’échelle sociale et culinaire au Japon.
Le JDD leur a consacré un papier le week-end dernier : cliquez ICI pour retrouver l’article en intégralité
Janvier 2020. Kei Kobayashi, chef du restaurant Kei à Paris, décroche le Graal des trois étoiles Michelin. Il est le premier Japonais à inscrire son nom au firmament du prestigieux guide français, et l’onde de choc résonne jusque dans son pays natal. « C’est simple, la presse nippone à l’époque n’a parlé que de deux choses : le Covid et Kei! », affirme l’auteure culinaire Chihiro Masui. Dans son ombre, un autre chef japonais décrochait le même jour sa deuxième étoile : Kazuyuki Tanaka, dit « Kazu », du restaurant Racine à Reims (Marne).
Chez eux, pas de sushis saumon, de soupe miso ou de brochette au fromage fondu, mais des plats gastronomiques beaux et techniques issus de la tradition culinaire française et préparés avec des ingrédients d’ici. Mais aussi des ris de veau très bistrotiers ou des tourtes farcies au magret et foie gras. Ils ne sont pas les seuls Japonais à exceller loin de leurs bases. « Je dirais qu’ils sont déjà plus de 150 », avance Philippe Roux, coauteur avec Laure Angrand du livre 30 Chef.fe.s japonais.es à Paris, à paraître le 29 novembre aux éditions Metsracines.
Kazuyuki Tanaka est ainsi arrivé en France en 2003 sans diplôme ni école de cuisine, avec pour seule formation son expérience dans le restaurant franco-nippon de son père au Japon. Ancien footballeur de haut niveau, il a troqué les crampons pour la toque afin de réaliser le rêve de ce dernier, tombé amoureux de la France sans jamais y être allé. Des terrains de sport, l’autodidacte a gardé l’esprit de compétition. Il n’aura de repos que lorsqu’il aura conquis les trois étoiles Michelin à Reims pour ses assiettes aussi somptueuses que des tableaux, imaginées en courant 8 kilomètres tous les soirs après le service…
Ce trentenaire à la personnalité entière et franche, obsédé par la qualité des produits, déploie une cuisine délicate, d’une précision millimétrée et aux goûts puissants, fondée sur un menu contenant quelque 300 ingrédients de haut vol. Il dévoile quelques-unes de ses recettes et son parcours dans un livre de Chihiro Masui (Racine – Un Japonais à Reims, Glénat).
On retrouve peu ou prou la même histoire au Sot l’Y Laisse (Paris 11e), où Eiji Doihara cuisine la salade de homard ou le pigeon rôti aux morilles ; chez Kigawa (Paris 14e), où Michihiro (accompagné par sa femme, Junko, pâtissière) manie parfaitement la queue de lotte, le pâté en croûte ou le lièvre à la royale. Au restaurant Chez Michel, ancienne taverne de Thierry Breton (10e), Masahiro Kawai n’utilise aucun ingrédient de son pays d’origine, pas même de la sauce soja, et ressuscite la tradition française à l’ancienne, jusque dans ses spécialités régionales puisqu’il prépare même la bouillabaisse. Pareil chez Alliance (5e), où Toshitaka Omiya se lance par exemple, au printemps, dans un impeccable feuilleté d’asperges blanches avec sauce aux morilles.
Fascination réciproque
On pourrait citer aussi Takao Takano à Lyon, Kunihisa Goto à Fontainebleau, ou encore (à Paris) Accents, Étude, Towa, Botanique, A.T., Maison, Montée, Towa, Le6 Paul Bert, ou Les Enfants Rouges avec le petit salé aux lentilles de Daï Shinozuka, ancien disciple d’Yves Camdeborde… Autant de restaurants dirigés de main de maître par des chefs nippons affranchis de leur cuisine et amoureux de la nôtre. « Il existe une longue histoire entre ces deux gastronomies, très opposées mais qui exercent une fascination réciproque l’une sur l’autre, assure Chihiro Masui. La France apprécie la délicatesse et la légèreté de la cuisine japonaise, le Japon admire le faste et la richesse de la cuisine française. »
En 1909, Tokuzo Akiyama, le premier Japonais à faire le voyage, travaille deux ans au Ritz, sous les ordres d’Auguste Escoffier, le « roi des cuisiniers », inventeur des brigades. De retour au Japon, il est nommé chef des cuisines impériales et le restera soixante ans ! Dans les années 1970, le pays du Soleil-Levant découvre Paul Bocuse, invité par l’école de cuisine Tsuji d’Osaka. Pierre Troisgros, Joël Robuchon, Michel Guérard, les plus grandes toques de l’époque suivent aussi, réactivant la passion nipponne pour le kakkoii, l’élégance à la française.
Ici le chef Kobayashi en compagnie du chef Hamada
« Kei Kobayashi dit souvent qu’il a voulu faire de la cuisine française quand il a vu Alain Chapel [le trois-étoiles légendaire de Mionnay] à la télévision japonaise dans sa veste et coiffé de sa toque : sa première approche, c’était le look! raconte Chihiro Masui. La France, c’est un peu l’American dream des chefs japonais : ils sont fascinés par la culture française dans son ensemble, car ils ont vu des films sur Versailles avec de grandes tables et des plats très généreux, à l’opposé de ce que nous servons au Japon! »
Le sérieux et la technique
Dans les écoles hôtelières locales, on enseigne une gastronomie française très classique. Certains cuisiniers viennent donc en France pour élargir leur savoir. Le maître d’apprentissage de Kei Kobayashi lui a ainsi conseillé de partir s’il souhaitait travailler la viande. En la matière, l’Hexagone est plutôt accueillant. L’inverse est beaucoup moins évident :
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