Itegue Taitu, le meilleur café de Paris
Le mois d’août 2016 à Paris — son calme, sa nonchalance, sa météo indécise, ses centaines de restaurateurs partis en repos estival — n’est pas une excuse pour se laisser dépérir. Direction le quartier Stalingrad et les platanes de la rue Armand-Carrel dont les branches se balancent au-dessus d’Itegue Taitu, restaurant éthiopien où j’ai rencard avec mon ami Guillaume Le Roux. Guillaume est l’auteur de l’excellent webzine 716 qui, tant par le contenu que par la démarche, galope avantageusement dans le peloton de tête sur le net en matière d’infos voyages, restos et autres bons plans.
Nous sommes ici pour découvrir ce restaurant ouvert depuis quatre mois. L’enseigne rend hommage à Taitu Betul, impératrice d’Éthiopie qui fonda Addis-Abeba au XIXe siècle et se fit remarquer par son caractère orageux (pour repousser aussi longtemps que possible les puissances coloniales, c’était le minimum requis).
À la différence de la plupart des autres restaurants éthiopiens de Paris, la salle est spacieuse et lumineuse. Le décor accumule avec grâce et sans surcharge les emblèmes et les couleurs d’Éthiopie, jusqu’aux serviettes en papier. Il est possible de manger à la carte et au menu. Les prix sont plutôt doux. Le menu du déjeuner, un buffet à 12€, présente un excellent rapport qualité-prix.
À vrai dire, les restaurants éthiopiens de la capitale proposent un peu tous les mêmes plats ; la différence réside dans l’exécution, et cette différence peut être considérable d’un établissement à l’autre. Ici, l’exécution est bonne et les plats traditionnels de pois jaunes au curcuma, de viande hachée à la tomate, de bœuf aux pommes de terre, d’épinards, etc., sont excellents et correctement épicés — mais pas en excès : pour rehausser encore votre assiette, vous pouvez demander du mitmita, piment en poudre aromatisé, finement acidulé. Petite réserve : le doro wot (poulet au mélange d’épices berbéré) est un peu sec. Mais l’expérience de ce déjeuner donne envie de revenir un soir pour dîner et tester quelques plats de la carte, par exemple un kitfo (tartare de bœuf au beurre et aux épices).
Si vous n’avez jamais mangé dans un restaurant éthiopien, voici comment ça se passe : chemisez votre assiette d’une injera, grande crêpe fermentée à base de teff (millet local), et servez-vous directement sur l’injera. Pour manger, allez-y avec les doigts en déchirant l’injera qui vous servira à attraper votre subsistance, vous pourrez toujours vous laver les mains après.
C’est une cuisine chaleureuse, simple, savoureuse, épicée et réconfortante. Les épinards, ici, sont de première et j’irai m’en resservir ; en revanche Guillaume déplore le fait que l’injera ne soit pas à base de teff mais de blé. Quelques mois auparavant, nous avions constaté la même chose dans un autre restaurant éthiopien. Le teff, il faut le faire venir de là-bas et c’est plus cher que le blé, on l’admet. Mais rien ne remplace la saveur — et surtout la digestibilité — du teff. Restaurateurs éthiopiens de Paris, je vous passe un tuyau : si vous proposiez en option, moyennant un petit supplément, de la vraie injera au vrai teff, ce serait très apprécié.
Arrivée avant Guillaume, je suis gratifiée d’un instant magique : la torréfaction du café, à partir de grains verts directement importés d’Éthiopie, dans un petit brasero portatif que l’on promène dans la salle. Le parfum est indescriptible, c’est évidemment celui du café mais il y entre aussi toute la terre d’Afrique, quelque chose de grave, de tellurique et de profond. C’est presque un encens. C’est carrément un encens.
D’ailleurs, lorsque ce café, à la fin du repas, arrivera sur notre table, il sera accompagné d’une petite fumigation d’encens naturel. Les deux parfums sont faits l’un pour l’autre. C’est le meilleur café que j’aie bu à Paris, et je n’ai pas le sentiment d’exagérer. Il enfonce à plate couture les coffee shops les plus tendance de la ville. Cette tasse, c’est une tout autre dimension. Noir comme la nuit et pourtant fluide et souple, corsé mais caressant, de saveur droite et dense, un peu amère, végétale mais sans la moindre âcreté ou acidité offensive, ce café est une pure merveille. Il possède une qualité que possède le thé, mais qui est rarissime dans le café : une fraîcheur, un pouvoir désaltérant et rafraîchissant.
Pas besoin de dessert après un tel nectar. Retenez ceci : on mange très bien à Itegue Taitu, l’endroit mérite d’être mieux connu, à part la petite réserve du doro wot un peu sécot et de l’injera qui n’est pas au teff, mais le café à lui seul mérite que vous traversiez Paris.
Itegue Taitu – 66, rue Armand-Carrel, Paris XIXe. Tél. 01 42 82 11 47 – portable 06 17 37 73 19. Ouvert le midi du lundi au vendredi de midi à 14 h 30, et le soir du lundi au dimanche de 18 heures à minuit. Cérémonie traditionnelle du café, menu midi (buffet) à 12€, menu du soir à 20€, carte environ 22€.
À la petite cuillère
Textes et photos : Sophie Brissaud
Bonjour, sauf erreur de ma part, le gouvernement éthiopien interdit toujours l’exportation de la farine de teff, d’où la difficulté des restaurants parisiens à s’en procurer en quantité suffisante. Il est cependant possible d’en trouver dans certains magasins bio de provenance américaine mais à des prix prohibitifs.
On trouve bien la farine de teff dans des magasins spécialisés dans les produits éthiopiens, mais la réponse que nous avons reçue des restaurateurs est que son coût est trop élevé.