Déjeuner à la Kasbah Tamadot chez Benoît Pépin (Asni, Marrakech)
Des vents favorables ont poussé le vaisseau Food&Sens, qui a embarqué sa petite cuillère, vers Marrakech. La ville est déjà torride en cette mi-juin. Crème solaire et maillot nageur à peine sortis du sac, le vent nous pousse déjà vers l’Atlas. Plus exactement vers Asni et la Kasbah Tamadot, la retraite marocaine de sir Richard Branson, à une bonne heure de route de Marrakech.
Benoît Pépin, chef exécutif de ce palace ocre rouge, nous y attend pour un déjeuner qu’il a spécialement composé pour nous. Depuis des semaines, nous le savons : il brûle d’envie de nous montrer sa cuisine, le travail de son équipe, l’excellence des produits locaux et le lieu où il travaille.
Si, comme je l’espère, vous lisez attentivement Food&Sens, vous connaissez Benoît Pépin. Ce Normand fait partie de la grande famille de chefs qui, au fil du temps, s’est constituée autour de Jacques et Laurent Pourcel et Olivier Château. Nous l’avons vu à la grande fête de clôture du Jardin des Sens. Il était venu spécialement de son Atlas marocain pour l’événement.
Bâtie à flanc de colline, la Kasbah Tamadot est une grande et belle bâtisse pleine de coins, de recoins, d’escaliers, de terrasses, de surprises à chaque pas, de pièces d’eau fleuries, de bibliothèques secrètes, de tables nappées de blanc et de lieux de recueillement. On croit avoir affaire à une petite ville plutôt qu’à un hôtel. Le grand jardin où se succèdent jacaranda couvert de fleurs violettes, massifs de rosiers ou de romarin, pelouses, pavillons cachés, coins de méditation sous les arbres et potager du chef n’est pas pour rien dans cette impression foisonnante.
Tout autour, l’Atlas règne dans sa splendeur : la terre parée de brun, de gris, d’ocre rouge contrastant avec une végétation qui passe par toutes les nuances du vert Nil au vert sombre en passant par l’émeraude ; les montagnes, fières et bleues, encadrent doucement ce paysage, parfois coiffées de nuages qui annoncent un bref changement de temps.
Benoît est à la tête d’un brigade de vingt-sept personnes, tous du pays : quatorze cuisiniers, un boucher, cinq pâtissiers, cinq plongeurs. Ses seconds de cuisine sont Amina Idlane, chef en poste depuis vingt-cinq ans, et Soufiane Aït Ouaguerd. Saïda Errahel est son soutien précieux en pâtisserie.
Benoît nous fait visiter la kasbah. Le fournil m’intéresse particulièrement, petit bâtiment au coin du jardin où le pain de semoule est pétri et cuit pour chaque service par plusieurs dames de la fondation Eve Branson qui se relaient quotidiennement. (Cette fondation, initiative de la maman de sir Richard, est consacrée à la préservation des savoir-faire artisanaux traditionnels dans les villages de l’Atlas marocain.)
Trois foyers à bois en argile sont employés pour la cuisson des pains. L’endroit, dans sa simplicité, est fascinant : la fumée souligne les rayons de lumière qui tombent des ouvertures du toit. L’odeur de bois brûlé et de semoule chaude est ensorcelante.
Sorti du fournil, le pain chaud part directement à table, où nous sommes déjà.
Un verre de vin blanc ? Par cette chaleur ? Oui, si c’est bien frais et surtout local. Ce C&B blanc Initiales est un chardonnay vieilli en barrique et légèrement oxydatif, ce qui est souvent le cas des vins de pays secs et chauds. C’est un vin droit et sec, sans lourdeur aucune, qui épouse parfaitement son climat. Le vin qu’il faut au moment et à l’endroit où il faut.
Le repas commence par une crème de cream cheese au thon et aux câpres que Benoît préparait déjà à la Compagnie des Comptoirs, la chaîne de brasseries que les Pourcel avaient ouverte dans le Sud durant les années 2000-2010. Nous retrouvons cette saveur précieuse avec nostalgie et les bocaux se vident à toute vitesse.
Quelques jours auparavant, par e-mail, Benoît avouait pédaler dans la semoule. Façon cuisinière de me confier qu’il allait nous faire passer par tous les états de la semoule, substance nourricière de base sur le continent africain : de blé, de maïs, de riz, d’orge, d’avoine… J’ajouterai de mil, de sorgho ou de manioc. C’est donc un menu semoule qui commence par une assida, crème de maïs traditionnelle que Benoît sert chaude avec parmesan et salade d’herbes du jardin : petit cresson, roquette, coriandre, ciboulette. Le crémeux de la semoule accentue délicieusement la saveur des herbes fraîches. C’est un plat à la fois racé (la fine morsure moutardée du petit cresson) et enfantin (la bouillie est très douce, relevée par l’umami du parmesan).
Benoît nous a laissé le choix : assiettes individuelles ou plat commun, comme au Maroc ? Nous avons choisi le service en commun. Les grands plats sont portés à table et chacun se sert avec sa cuillère. En voilà un chargé de légumes, il y en a paraît-il vingt-six. Petits pois, fèves, carottes, courgettes, radis, navets boule-d’or, oignons rouges, carottes, concombres, chicorée frisée… Nous renonçons à les compter car nous avons trop faim. Accommodés en cru et cuit, nappés de vinaigrette à la coriandre et à l’oignon, ils font une assiette de toute beauté. La semoule d’avoine, sur un petlt plat à part, est préparée en cromesqui.
Dans un programme semoule, difficile d’échapper au couscous. Sur une graine moyenne qui a toute la fraîcheur et tout le moelleux du « roulé main », Benoît a disposé des filets de maigre marinés à la chermoula et des fruits de mer grillés minute : palourdes, grosses crevettes, calmar. Des fèves, du citron confit, des pois chiches et des courgettes complètent l’ensemble, arrosé à table d’un bouillon de légumes.
Le dessert, toujours en mode semoule : cette fois de riz, cuite au lait avec figues et safran, accompagnée de figues pochées et de gouttes de marmelade de potiron, le tout décoré de verveine du jardin.
Tout cela fait de grands plats épanouis dont la générosité saute aux yeux. Six à table que nous sommes, nous n’en épuisons pas la moitié. Cette cuisine colorée, abondante, orgiaque m’apparaît comme quelque chose de tout à fait nouveau. C’est la première fois que je crois tenir le chaînon manquant entre la cuisine de chef de style français et la cuisine de terroir traditionnelle. Ce genre d’exercice a déjà été pratiqué, mais trop souvent à la limite de la caricature ou du maniérisme. Ici, au contraire, il se fait avec le plus grand naturel. Rarement l’amour et l’admiration pour la cuisine d’un pays d’accueil se sont manifestés de façon si convaincante.
L’intention de Benoît, en nous conviant à ce déjeuner, est de nous faire la démonstration éclatante du bonheur de cuisiner dans ce paradis terrestre. La qualité des produits, la fraîcheur des légumes et des herbes de son jardin potager, la mise en valeur des préparations et du savoir-faire local… Il en ressort une gastronomie simple et raffinée clamant haut et fort la liberté de création et la joie de vivre, et collant parfaitement à son biotope. Touchante de cohérence, éclatante d’originalité, elle existe par Benoît et toute son équipe, par le terroir marocain, et last but not least par sir Richard Branson qui a créé les conditions pour son existence. Ne ratez pas cette table si vous passez dans la région.
Benoît Pépin, restaurant Kanoun à la Kasbah Tamadot
42152 Asni, Marrakech (Maroc)
Réservations +212 (0) 524 36 82 00
À la petite cuillère
Texte et photos : Sophie Brissaud
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