Le World Culinary Council des Relais & Châteaux amène les chefs du monde en Suisse à la découverte de la Fromagerie de l’alpage de Jaman
C’est au début de ce mois d’octobre que le World Culinary Council a réuni les chefs référents par région du monde pour les Relais & Châteaux, qui se sont retrouvés pour trois jours de travail à Vevey en Suisse. Entre longues journées de travail et repas gastronomiques, les chefs ont quand même pris le temps d’une après-midi pour se rendre en montagne.
Les chefs avaient rendez-vous en tout début d’après-midi à la gare de Montreux pour embarquer dans le train qui grimpe en altitude, les chefs présents :
- Mauro Colagreco ( Vice Président International du World Culinary Council )
- Jef Schuur ( Pays Bas – Benelux Scandinavie )
- Holger Bodendorf ( Allemange – Autriche )
- Norman Brandt ( Amérique du sud )
- Gabriel Kreuther ( USA et Caraïbe )
- Jason Bangerter ( Canada )
- Marko Gajski ( Moyen Orient – Maroc )
- Peter Tempelhoff ( Afrique – Océan Indien )
- Josep Espuga ( Australie – Nouvelle Zélande – Pacifique )
- Shinichiro Takagi ( Japon et Corée du sud )
- Stéphane Decotterd ( Suisse Liechtenstein )
- Jacques Pourcel ( France )
- Cédric Béchade ( France )
- Frédéric Doucet ( France )
Objectif du voyage, grimper à plus de 1700 mètres d’altitude pour rejoindre le col de Jaman. Un train régulier tous les jours, et toutes les heures, qui permet de monter dans les alpages en environ 15 minutes. Alors même si on dit que « les voyages forment la jeunesses« , on peut dire que ce voyage a permis aux chefs de se replonger dans une nature préservée.
Cette escapade était organisée par le chef suisse Stéphane Decotterd qui connaît parfaitement la région. On y dénombre de nombreux et merveilleux paysans que lui fournissent les plus beaux produits pour sa cuisine.
La micheline est très rustique, c’est un vrai dépaysement que de pénétrer dans ce train utilisé tous les jours par les habitants de la région qui rejoignent en altitude leurs habitations.
Le chef Mauro Colagreco (Menton – France) conserve quelques images, souvenirs de cette escapade très originale.
Ci-dessus les chefs Frédéric Doucet (France) et Stéphane Decotterd (Glion Suisse)
Ce petit train impressionne par sa capacité à grimper en altitude, au fil du voyage, on peut admirer des panoramas à couper le souffle.
Le Lac Léman se détache dans la vallée, le surplomber de plusieurs points de vue rend le voyage captivant.
L’ensemble des chefs et la délégation des Relais & Châteaux occupent tout un wagon.
Ce jour-là le ciel était capricieux, les orages menaçaient, les nuages faisaient s’alterner ombres et lumières, les montagnes revêtaient ces nuances qui donnaient encore plus de relief à la région.
Nous voilà au Col de Jaman, terminus pour l’ensemble des chefs, le train va continuer son parcours pour grimper à 2042 m et rejoindre les Rochers de Naye.
La buvette de Jaman sert de point de halte pour les visiteurs, ici l’hiver on accède au téléski de Jaman, pendant le printemps et l’été de nombreux randonneurs font étape ici pour entreprendre les chemins qui montent au sommet.
Petite pause devant la buvette de Jaman avant de prendre les chemins de montagne pour rejoindre la ferme de l’alpage de Jaman.
Ce n’est pas encore l’hiver, mais déjà la température est presque hivernale, les chefs seront d’autant plus surpris qu’il va falloir marcher pour descendre à la ferme où une belle surprise les attend.
Le chef Basque Cédric Béchade…
Le chef Mauro Colagreco et la botaniste en profiteront pour découvrir et déguster quelques plantes sauvages que l’on peut utiliser en cuisine.
C’est Laurent Gardinier, président international des Relais & Châteaux, qui mène la marche au pas de course, il faut rejoindre la ferme avant la tombée de la nuit.
Une belle surprise dans le parcours, deux joueurs de Cor des Alpes interprèteront des musiques folkloriques et populaires suisses.
Après une bonne heure de marche, nous apercevons la ferme fromagerie de l’alpage de Jaman. Située au cœur d’une nature faite de pâturages et de forêts, la Fromagerie de l’alpage de Jaman propose une petite épicerie qui vous permettra de découvrir les différentes sortes de fromages produits sur place, des viandes mais également des produits artisanaux du terroir.
A 1500 mètres d’altitude, Jaman est donc situé sur la commune de Montreux, à cheval entre les cantons de Fribourg et de Vaud, dans le Parc naturel Gruyère Pays d’En-Haut. Les vues sont bluffantes, entre la face nord de la Dent de Jaman, les Préalpes fribourgeoises et le lac Léman, Jaman dispose même de sa propre source d’eau, l’eau de Jaman.
Ici vous êtes dans une des dernières fromageries traditionnelles suisses, en ce début de mois d’octobre on y trouve des produits laitiers (surtout des fromages : le Jaman, le philistin, la raclette, la fondue, le crémeux, les lactiques, … ), des charcuteries, de la viande de cochon, avec en plus la possibilité de déguster les produits.
La Fromagerie de Jaman accueille dans son chalet traditionnel, ici on fabrique, fait vieillir et commercialise de superbes fromages. L’alpage de Jaman est exploité depuis 2014 par un jeune coulpe qui fait perdurer l’histoire de ce merveilleux col depuis près de 70 ans. Le chalet typique a été transformé en fromagerie en 2008, dans le cadre du programme communal de Montreux dans le but de la revalorisation des alpages. Actuellement y sont élevés une soixantaine de vaches laitières, 1 taureau, 30 génisses et 30 porcs, qui paturent sur l’alpage. C’est Ouvert 7j/7 durant la saison d’estivage sauf en cas de très mauvaise météo, La Fromagerie de Jaman vous accueille de la fin du mois de mai à mi-octobre.
Ce jour-là les exploitants avaient préparé la pièce dédiée à la fabrication des fromages, qu’ils soient tome fraîche, Gruyère, Vacherin, ou fromages destinés à la fondue et à la raclette, un moment d’exception pour l’ensemble des visiteurs .
Le feu crépite dans une partie de la pièce, c’est ce feu non loin du chaudron en cuivre qui permettra au lait de monter en température (environ 30 degrés) et à la présure (ferment lactique) de faire son action. La présure est une enzyme naturelle prélevée dans l’estomac d’un veau. Il faut environ compter 1 heure pour que la présure fasse son effet, le brassage ne doit pas cesser durant ce temps là, pour obtenir un grain le plus homogène possible.
C’est sous le son rythmé d’une vieille radio que les fromagers s’activent à transformer le lait en fromage, un moment passionnant pour l’ensemble des chefs présents.
Le chaudron contient environ 600 litres de lait, provenant d’environ 60 vaches qui donneront environ 6 meules de fromages d’environ 10 kilos chacune, aujourd’hui elles seront destinées à la réalisation de fromages à fondue.
Une fois à température et après un long brassage, la présure fait son effet, le caillé apparait sous forme de granule, il faudra maintenant le récupérer et attaquer la prochaine phase de la réalisation des fromages.
C’est un travail physique important pour fabriquer artisanalement ces fromages, le secteur s’est beaucoup industrialisé, mais quelques irréductibles réalisent encore d’extraordinaires fromages à la main dans leur atelier au coeur de l’alpage.
C’est à l’aide d’un grand linge qu’est récupéré le caillé, il sera ensuite dispersé dans un bac recouvert d’un filet à maille moyenne où il sera pressé.
On trouvera 3 catégories de fromages, ceux à pâte molle, ceux à pâte mi-dure, et ceux à pâte dure, le grain du caillé permettra cette classification, plus le grain sera gros plus le formage sera à pâte molle (car il contiendra plus d’eau). Ensuite interviendra le temps de pressage, plus le fromage sera pressé plus il sera dur et donc entrera dans la catégorie particulière des fromages à pâte dure.
C’est avec la préservation de cette pure tradition que se gardent et se transmet la typicité de ces fromages à caractère. Pourtant les normes et contrôles contraignent ces fromagers à des process qui pénalisent la production.
Le caillé finit par remplir le coffre, le petit lait s’écoule…
Ici les vaches laitières suivent la saison de l’alpage, elles rejoignent les hauteurs vers le 15 mai, elles suivent la progression de la pousse de l’herbe vers l’altitude. En l’espace de 4 mois d’alpage, les vaches auront nettoyé la montagne d’herbes fraîches. Les vaches commencent à produire du lait à partir de deux ans et demi.
Le coffre est refermé, des poids sont posés dessus, il faudra environ attendre une demi-heure pour pouvoir démouler le caillé et commencer le moulage.
Pendant ce temps les chefs sont amenés vers la cave de vieillissement des fromages (cave d’affinage), c’est là que le goût des fromages va se développer et s’amplifier.
Les fromages vont ensuite entrer dans un bain salé, ce trempage va permettre de former par la suite la croûte du fromage, mais aussi de le saler légèrement. En fonction de la classification du fromage, les meules demeureront entre 1 h et 24 dans le bain salé (l’eau est sursaturée à 22 % de sel).
En fonction de sa classification, le fromage sera soigné pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, et même jusqu’à deux ans. Le fromager n’emploie pas le mot de « vieillissement » mais il indique que pour exemple le fromage à pâte dure sera « soigné » durant plusieurs mois.
À partir de 12 mois dans la cave d’affinage maintenue à 15 degrés, le fromage sera considéré comme un fromage vieux, mais ce vieillissement pourra durer jusqu’à 24 mois voire plus. Les philistins et les raclettes seront prêts à partir de 3 mois et demi, et se conserveront jusqu’à 6 mois. Ensuite on aura les crémeux, qui eux seront prêts à partir de 3 semaines.
Les fromages seront posés sur des planches d’épicéas et remués tous les jours, le bois va pomper l’humidité du fromage, et au fur et à mesure qu’il va sécher le bois va renvoyer l’humidité au fromage.
Selon son poids, sa taille et sa classification, le fromage entamera une vie différente jusqu’a son arrivée sur les marchés.
Certains des fromages seront frottés régulièrement avec une eau légèrement salée que l’on nomme eau-à-morge, la morge étant la croûte de ces fromages des alpages suisses, cette solution salée permet justement l’apparition de cette croûte qui se consomme sans aucun problème.
Les cloches sonnent ! … il faut aller s’occuper du fromage sous presse !
C’est le moment de démouler le fromage constitué de lait caillé.
Coupé en tranches fromage frais partira dans des voilages avant de prendre place dans les moules ronds destinés à constituer les meules.
La pâte de caillé est déjà facilement manipulable, nous avons d’ailleurs pu la déguster avant qu’elle ne soit moulée, un vrai délice !
Là aussi le travail est intense, comme à chacune des étapes, il faut mouler le fromage avant qu’il ne soit froid et donc trop bloqué.
Il est temps de boire un verre de cru local et de déguster fromages et charcuteries.
Autant dire que les chefs ont beaucoup apprécié la visite, la meilleure façon de comprendre le travail de ces artisans du bon goût, c’est d’aller à leur rencontre.