Au restaurant CODA, le chef René Frank vient casser le mur entre cuisine et pâtisserie au travers d’une expérience non-conformiste

10 septembre 2025  0  Food&Sens Broadcast
 

signature-food-and-sens Entretien réalisé avec le chef René Frank, restaurant CODA, Berlin

Dans le paysage gastronomique contemporain, René Frank occupe une place singulière. Lauréat de deux étoiles Michelin avec CODA, à Berlin, il a choisi un chemin à contre-courant : concevoir un restaurant où le dessert ne serait plus une fin de repas mais un langage culinaire à part entière. Son parcours indirectement guidé par les règles strictes de son enfance, marque une volonté de briser les codes notamment en redéfinissant sa relation au sucre dans la pâtisserie !

BRIOCHE, Gouda • Rutabaga

BRIOCHE, Gouda • Rutabaga

Mais au-delà de sa technique, le chef René Frank porte une ambition claire, celle que la pâtisserie n’est pas un monde séparé, mais une partie intégrante de la cuisine. Et Berlin, avec son énergie unique, lui a offert l’espace de liberté nécessaire pour bâtir un projet aussi radical qu’universel !

CARROT & GREEN Fingerlime – Ginger

René Frank se définit d’ailleurs d’abord comme un chef, et non comme un « chef pâtissier » terme auquel il est largement associé car utilisé par l’ensemble des guides dans le monde. Pour lui, « Préparer des desserts ne veut pas dire que tu es un chef pâtissier! » Son ambition n’est pas de créer une sous-catégorie mais de faire disparaitre les cloisons encore trop souvent présentes entre la cuisine et pâtisserie. Le restaurant CODA est justement né de cette idée : transformer l’art des dessert en discipline autonome, capable de rivaliser avec les plats dits « salés ».

LETTUCE Gherkin • Cream Cheese

Le dessert n’est pour René Frank pas une définition figée mais une expérience culturelle. Il rappelle que dans de nombreuses traditions, comme en Asie, le dessert n’est pas sucré, mais plutôt composé de fruits. En Europe, le sucre s’est imposé comme norme, dont il conteste la rigidité. « Un dessert, c’est ce qui vient clôturer un menu. Il doit surprendre au travers des ingrédients utilisés, des textures, des contrastes, pas seulement par le sucre qu’il contient. »

RACLETTE WAFFLE Kimchi • Yoghurt

Ainsi, il explore un univers hybride où le dessert devient un terrain de création totale ou tout vient concourir à brouiller les idées que nous nous sommes imposés culturellement ou au fil des années. Ce qu’il revendique, c’est la liberté d’invention, au-delà des règles héritées.

On pourrait dire qu’au travers de sa démarque il a contribué à « brisé le mur entre cuisine et pâtisserie ». Une formule qui fait écho à l’histoire de Berlin. Car comme la chute du Mur a libéré la ville, CODA libère le dessert de ses frontières artificielles et supprime la séparation entre service, cuisine et pâtisserie !

Tout participe ainsi à faire vivre une expérience unique et singulière à ses clients !

CAVIAR POPSICLE Oscietro Caviar Sturia – Jerusalem Artichoke – Pocan

Le chef René Frank mène en parallèle une réflexion radicale et approfondie autour du sucre refusant d’utiliser du sucre blanc raffiné pour se reconnecter au travail artisanal du cuisinier. « Je ne veux pas passer des heures à travailler avec un produit ultra rafiné. » À ses yeux, le sucre blanc n’est pas une nécessité mais plus une facilité, qui masque souvent la faiblesse des produits utilisés.

Il prône une approche fondée sur les ingrédients naturels où le sucre est apporté par les fruits, les céréales ou d’autres produits bruts. « Le sucre naturel n’est pas plus sain en soi, mais il s’intègre différemment dans le corps et surtout il oblige à travailler avec le produit dans son intégrité. » Cette recherche donne forcément l’opportunité d’une plus grande créativité et donne à ses desserts une plus grande profondeur.

CHICHARON Rhubarb • Shiftake

Cette critique du sucre rejoint une autre conviction : défendre une cuisine et une patisserie artisanale et honnête, à contrepied des facilités industrielles offertes aux restaurateurs des nos jours.

René Frank décrit Berlin comme un espace de liberté, comme un symbole ! Après la chute du mur, tout le monde pouvait faire ce qu’il voulait il n’y avait plus de cadre et aujourd’hui encore, cette énergie perdure! » Cette liberté s’incarne dans la diversité des habitants, leur créativité, leur tolérance. À Berlin, dit-il, « on n’est pas jugé si l’on est différent. On peut échouer, recommencer et personne ne vous colle une étiquette de perdant. »

DIKE CHEESE TARTE Fig • Bone Marrow • Poanut

Cet esprit a profondément marqué son projet car CODA ne ressemble à aucun autre restaurant : façade anonyme couverte de graffitis, absence de signes distinctifs, entrée discrète. L’expérience commence dès le seuil de porte : le convive est dérouté, placé hors de sa zone de confort. « On veut et on doit montrer que le dessert tel que nous le concevons puisse être beaucoup plus qu’un simple plat de fin de menu et il est pour cela essentiel de briser les repères »

René Frank revendique ouvertement une forme de non-conformisme. Dans cette ville où les artistes viennent chercher un terrain d’essai, il a pu bâtir un concept qui aurait été difficile à imposer ailleurs. CODA devient ainsi le reflet de l’esprit berlinois : un lieu qui brouille les frontières et revendique la différence comme moteur de créativité.

CHICORY & COCOA Purple Carrot • Hazelnut

Dès l’ouverture de CODA, René Frank s’est heurté à une difficulté : comment expliquer ce qu’il fait. Un restaurant uniquement centré sur le dessert brouille les repères habituels. Les clients comme les journalistes veulent des catégories, des mots simples, des comparaisons. « Nous avons demandé à quatre personnes différentes d’écrire notre premier communiqué de presse, mais nous n’étions pas satisfaits. C’était trop difficile à expliquer. » L’originalité du concept devenait ainsi un obstacle en termes de communication.

C’est là qu’intervient la reconnaissance Guide Michelin. « Dès l’obtention de la première étoile, tout est devenu plus simple. » L’étoile est un langage commun : elle crédibilise, donne un cadre, rassure et là où CODA pouvait sembler un projet expérimental ou marginal, l’étoile l’a repositionné comme un restaurant à part entière, reconnu par l’institution la plus légitime du secteur. Pour René Frank, c’est un moment de bascule et ce même si la reconnaissance n’est pas une fin en soi, elle s’est révélée indispensable pour ouvrir un dialogue plus large autour de son projet et affirmer CODA comme une maison singulière et reconnue comme telle !

WAGYU FUDGE Curd • Chocolate

Avec CODA, René Frank a su, à force de persévérance construire un laboratoire culinaire qui redéfinit les règles de la gastronomie et sa démarche n’a jamais moins été celle d’un pâtissier que d’un chef de cuisine, qui refuse les catégories et s’appuie sur la liberté offerte par Berlin pour inventer un langage nouveau. Plus qu’une table étoilée, CODA est une expérience à vivre et une manière de penser la cuisine et la pâtisserie comme un art sans frontières !

Propos recueillis par Guillaume Erblang / Food&Sens

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