Tomy&Co (Paris) : Tomy Gousset à l’état pur
Tomy Gousset, naguère encore, nous éblouissait à Pirouette, rue Mondétour. Il nous ravit maintenant dans le septième arrondissement, et la grande différence, c’est qu’il est chez lui, ce dont il rêvait depuis pas mal de temps. Il n’a pas choisi, pour s’installer, le quartier le moins challenging, comme disent nos amis du marketing : Tomy&Co a ouvert le 20 septembre rue Surcouf, petite artère du quartier du Gros-Caillou déjà riche en bons plans resto.
Les voisins, c’est Jaïs, dont j’ai déjà parlé ; David Toutain, Au Petit Tonneau et La Poule au Pot (au coin de la rue de l’Université). Vous me direz : « Il manque Le Petit Bordelais », mais c’est justement à son emplacement que Tomy s’est installé. Et ce n’est pas tout : à bâbord, c’est le nouveau Le Divellec période Mathieu Pacaud, Thoumieux et sa brasserie, sous la houlette de Sylvestre Wahid ; à tribord, Chez l’Ami Jean et Bellota-Bellota, sans oublier la constellation Christian Constant et le Bistrot Belhara un peu plus au nord. Ce formidable feng shui gastronomique est même un peu injuste pour d’autres quartiers, et c’est encore plus vrai depuis que Tomy est venu y accrocher ses casseroles.
Je ne m’attarderai pas sur les infos de base, déjà publiées sur Food&Sens. Ce qui est important, c’est que Tomy pratique ici sa cuisine nette et brillante, grandie à travers les étapes d’un parcours de haut niveau qui inclut le Warwick (rue de Berri), le Taillevent, le Meurice et deux ans chez Daniel Boulud à New York. « Je faisais trois cents couverts et trois services par soirée. » Formateur. Éprouvant ? Tomy a la carrure pour ça et toute la sérénité qu’il faut. Après ça, il peut tout faire. Il paraît un peu timide : sous la surface bouillonnent de gros trésors de gentillesse.
Tomy a fait façon Tomy, c’est-à-dire pas comme tout le monde. En arrivant ici, il n’a pas tout cassé, n’a pas englouti des sommes pharaoniques dans une déco de tables en bois brut et de grosses ampoules suspendues à un fil. Il a gardé la façade et l’a juste repeinte en noir. L’intérieur, pareil : repeint en noir et olive, un peu aménagé, grosses perles lumineuses au plafond, et inscrite sur un mur la devise LIFE IS FOOD. L’inverse aurait été tout aussi vrai. Il est facile, aussi, de comprendre pourquoi l’endroit s’appelle Tomy&Co : c’est tout simplement parce que Tomy, en quittant Pirouette, a emporté son second Jérôme Favan et le reste de sa brigade sous le bras. Déjà, bien avant de faire le voyage, il l’avait annoncé : jamais sans eux. Et c’est ce qu’il a fait.
Bonnes surprises : la carte des vins, administrée par Micaël Morais, rappelle celle de Pirouette par la pertinence de ses choix et son éclectisme mesuré. Et ces vins au verre nullement réduits à la portion congrue : un excellent vin d’Italie, IGP Pavie blanc, et un pinot blanc d’Alsace Josmeyer bien doté de la fine note de grillé typique de son créateur.
Ces verres de blanc accompagnent nos entrées : la mienne, langue de bœuf en fine tartelette, gribiche de navet mariné, graines de moutarde est un bon exemple du talent de Tomy pour la modernisation des classiques. Une attention spéciale est portée à la texture douce et croquante du navet et à l’acidité. Le fond de tartelette résiste un peu, mais ça va s’arranger.
Mon voisin d’en face, lui, a pris le fish and chips de lieu noir, inscrit à la formule du jour. Il demande pour plaisanter où sont les frites : une très bonne purée de panais les remplace. On n’y perd pas au change.
Je ne vais pas vous raconter cette longue et vieille histoire aujourd’hui (un jour je le ferai, je vous le promets, quand le responsable sera mort), mais j’ai toujours été frustrée de n’avoir aucune expérience du canard Apicius, recette interprétée de l’antique par Alain Senderens et l’un des mythes fondateurs de la Nouvelle Cuisine. Alors, comme je vois que Tomy le propose, je bondis sur l’occasion. Je ne suis pas déçue : sous une fine croûte d’épices rôties (graines de fenouil, coriandre, moutarde) je trouve une chair de canard rouge vif très fondante, très savoureuse. L’accompagnement se compose de betteraves jaunes, d’une compotée de chou aigre-douce qui n’est pas le point fort du plat, de grains de raisin blanc au vinaigre et de vives saveurs sucrées et acidulées.
Je demande un verre de sauternes (cyprès-de-climens) pour accompagner cet aigre-doux-épicé, mais il n’y en a plus. On me propose quelque chose de très différent mais qui fonctionne au poil, un porto Ramos-Pinto de dix ans d’âge.
Comme je suis à court de vocabulaire élégant, je vais dire que mon dessert déchire. Espuma au thé matcha, glace pomme-cannelle et opaline. C’est fin, croquant, mousseux sans être visqueux, équilibré, les textures et les températures sont parfaites. Le matcha n’a pas le goût d’épinard qu’on lui donne trop souvent en cuisine sucrée. Des dés de pomme apportent croquant et fraîcheur, et la cannelle se fait discrète.
Pour Tomy, l’essentiel, ce n’est pas d’être à la mode, c’est de faire plaisir et de partager. La créativité est chez lui une chose naturelle, une respiration, non une pose. Le voici enfin dans son espace, signalisé par son logo à la fois abstrait et lisible. Il figure aussi sur le hublot de la porte de la cuisine, où se reflète un de mes compagnons de table (ci-dessous).
Autour de Tomy Gousset, Yusuf Beziroglu (ex-sommelier au Bristol) et Mehdi Kebboul (ex-chef du Bistrot Méricourt). N’oubliez pas non plus ces deux-là, j’aurai l’occasion de vous reparler d’eux bientôt.
Tomy&Co. 22, rue Surcouf, Paris VIIe. Tél. 01 45 51 46 93. Métro Invalides, Latour-Maubourg. Ouvert du lundi au vendredi. Formule midi (entrée + plat) 25 €. Menu (entrée, plat, dessert) 45 €. Menu dégustation au dîner seulement : 65 €, avec accords vins + 35 €. Carte autour de 53 € sans les vins.
À la petite cuillère
Textes et photos : Sophie Brissaud