Des Alpilles à Pantin, deux cuisines méditerranéennes
Un séjour de vingt-quatre heures à L’Oustau de Baumanière pour corriger les épreuves d’un livre me donne l’occasion de goûter quelques-unes des récentes trouvailles de Glenn Viel. J’aime la façon dont ce chef s’inspire de la nature et des produits bruts pour un résultat toujours ébouriffant, sans jamais ajouter de texturants ou d’additifs chimiques. Ayant ses recettes sous les yeux, je peux en témoigner. Pour moi, Glenn représente une nouvelle génération de chefs qui ont le mérite de jeter les farces et attrapes culinaires aux poubelles de l’histoire, je parle du style « techno-émotionnel » qui nous a valu quelques chefs-d’œuvre si l’on pense aux frères Adria, mais qui nous envoie aussi beaucoup de n’importe quoi depuis une petite quinzaine d’années et a surtout pas mal engraissé l’agrochimie alimentaire (ah, c’était donc ça !). Avec Glenn, rien de tout cela. On est face au petit pois, à la carotte, à la laitue, et l’on admire le trésor d’imagination et de sens culinaire dont il fait preuve en transfigurant ces légumes sans aucune poudre de perlimpinpin. Glenn Viel, un de nos premiers chefs post-moléculaires. On espère qu’ils seront nombreux à le suivre.
(Ci-dessus : Glenn Viel.)
Glenn est joueur, il aime s’amuser en cuisine. Ses créations ont parfois un air de dînette (et si je faisais ceci ou cela à un artichaut ? Et si j’évoquais un pique-nique avec une petite nappe à carreaux ? Et si je farcissais une carotte cuite d’une carotte crue et que j’appelle ça « une main de fer dans un gant de velours » ? etc.) Ici, c’est le pique-nique. Rouleau d’oreille de cochon croustillante, tarte à la crème fermière et au maïs, boudin provençal et mini-toast. Non, la fourmi ne se mange pas, vous vous croyez chez Noma ? C’est bon, c’est joyeux, ça met de bonne humeur pour la suite.
Délicieuses, croquantes, tendres et goûteuses fleurs de courgette en tempura, condiment ail noir, jus basquaise. Ce sont les bases des corolles, débarrassées du pistil, qui sont utilisées.
Cette tarte à la tomate est étonnante, radicalement différente des versions courantes. Elle a quelque chose de rude, de sauvage. Sur une pâte sablée, de la tomate confite et de la pastèque, couverts d’une pulpe de tomate cerise avec ses graines qui donnent un croquant délicat. Une légère amertume sous-tend la dégustation alors que le croquant de la pâte et l’acidité solaire des tomates inspirent la fête. Un très joli plat en clair-obscur.
Voici les langoustines qui rendent fou. Une fois qu’on les a croquées, on veut y regoûter. Très légèrement cuites, saupoudrées au moment de servir d’un caillou d’assaisonnement : c’est une réduction de jus de langoustine séchée au stade du caillou, on passe ça à la Microplane et cela donne un assaisonnement à la fois aérien et corsé.
N’ayant jamais encore rencontré une ventrèche de thon rouge qui me soit antipathique, je refais connaissance avec celle-ci. C’est un plat tout en sensualité et en méditation, qui témoigne de ce que donne un seul produit servi en deux préparations différentes : saisi sur quatre faces, et surmonté de lamelles de ventrèche de thon crue assaisonnée. Pour accompagner cela, des lamelles de fenouil confit qui font écho aux lamelles de thon, mais avec une texture différente. Merveilleux plat.
PROMENADE DU CANAL, À PANTIN
Mon déjeuner d’aujourd’hui était tout aussi méditerranéen, mais plus à l’est. Avec mon coauteur et ami Pierre Guigui (nous rédigeons ensemble des ouvrages sur le vin aux éditions Apogée où il est directeur de collection), j’aime beaucoup ce restaurant turc de Pantin : à chaque fois c’est la fête et on siffle plein de raki avec des glaçons. Sur les murs, des portraits de Nazim Hikmet, de Gainsbourg et de Coluche. Toute la cuisine est faite maison.
On se régale de salades colorées avec des dolmas, de plats cuisinés familiaux, d’excellents baklavas en dessert. Je vous conseille vivement cette maison : l’accueil est charmant, la cuisine simple et bonne.
Le jeudi, il y a des manti (petits raviolis) froids au yaourt. J’avoue, c’est tellement bon que j’en ai commandé deux assiettes ; et le vendredi, c’est sardines.Pour l’adresse, tout est sur la carte, avec le café turc.
À la petite cuillère
Textes et photos : Sophie Brissaud