
Sensationnels – Les plats dont nous nous souvenons après avoir tout oublié !
Sensationnels – Les plats que nous avons retenu après avoir tout oublié
Il arrive que les jours ordinaires se plient sous le poids d’un instant rare. Une bouchée, un parfum, un éclat de textureviennent alors suspendre le réel — non pas pour impressionner, mais pour révéler quelque chose de plus grand. Quelquefois, c’est un simple oignon, confit comme un secret, qui ouvre la voie. Ailleurs, c’est une langoustine encore tiède, posée sur un nuage de crème crue, qui nous parle de la mer comme d’un poème oublié. Ces assiettes ne cherchent pas à briller. Elles existent, pleinement, et c’est leur sincérité qui bouleverse.
On ne saura jamais vraiment pourquoi certains plats nous suivent longtemps. Est-ce la main du chef, le silence de la salle, la lumière sur la vaisselle ? Peut-être un peu de tout cela. Ou peut-être rien — juste ce moment parfait, inimitable, où la cuisine devient confidence. Un beau plat est toujours un plat dont on se souvient : un plat qui nous marque de la première à la dernière bouchée, un plat qui, lorsque tout a disparu, reste seul, dans la mémoire. Ce qu’il en reste, c’est un instant passé où le goût, le lieu, l’émotion ont formé un éclat d’éternité. Voilà ce que nous avons voulu partager ici.
Voici une sélection de plats de janvier à juin 2025 entre la France, le Maroc, la Slovénie, la Norvège et l’Italie :

Savarin à la gelée de porc, noisettes et lard
Chef David Žefran, restaurant Milka – Kranjska Gora, Slovénie
Un petit savarin servi à la toute fin du repas, presque comme un clin d’œil, et qui désarçonne par sa justesse. Aux noisettes et au lard, moelleux et savoureux, il arrive tiède, surmonté d’une gelée fine, délicatement posée, à la texture ni collante, ni figée, mais parfaitement équilibrée. L’association sucrée-salée, déroutante sur le papier, est subtile et fonctionne ici à merveille, dans un jeu de températures maîtrisé et une légèreté inattendue! Une dernière bouchée qui dépasse le registre de la mignardise, pour laisser une trace nette et originale de ce repas de haut voltige!

Gnocchi de betterave, ragoût de venaison, réduction de Montepulciano, marrons, poudre de genièvre et romarin
Chef Davide Puleio, Isotta Trattoria – Rome
Un plat d’hiver dans toute sa générosité. Chaque semaine, le chef propose des gnocchis différents : ici, la betteravecolore la pâte et donne aux gnocchis un aspect presque carné, trompeur et fascinant. Leur texture est irréprochable, entre souplesse et tenue. Le ragoût de venaison, dense, long en bouche, vient enrober le tout avec puissance. Les marrons, la poudre de genièvre et la réduction de Montepulciano signent une assiette cohérente, intense, profonde. Un plat inoubliable, à la fois traditionnel et singulier, dans une trattoria qui soigne ses fondamentaux.

Consommé de légumes, servi en amuse-bouche
Chef Jean-Luc Tartarin, restaurant Jean-Luc Tartarin – Le Havre
Un bouillon limpide, ambré, d’une pureté saisissante. Servi bouillant, avec des légumes taillés avec rigueur, il s’impose d’emblée par son expression olfactive : le nez est puissant, précis, captivant. En bouche, c’est une explosion douce et complexe, où l’on perçoit l’empreinte du temps passé à sa réalisation mais également le travail patient de la clarification double. Ce n’est qu’un amuse-bouche, mais il incarne tout ce que la haute cuisine peut transmettre : la justesse, la mémoire, l’élévation. Quelques mois plus tard, le chef nous quittait. Ce bouillon, lui, reste. Nous lui rendons cet hommage!

Coquillettes de Pastéole, jambon blanc de chez Camille, truffe noire
Chef Thomas Parnaud, le Grand Monarque – Chartres
Un plat de grande simplicité mais au pouvoir évocateur immense. Les coquillettes de Pastéole, al dente, portent à elles seules la douceur de la pâte artisanale. Le jambon blanc au torchon de la ferme Durbois, taillé en dés, ni trop gros, ni trop fins, apporte ce supplément de texture et ce gout incomparable. La truffe noire, râpée généreusement, inscrit le plat dans la saison à laquelle nous avons dégusté le plat. Ici, tout est question d’équilibre et de sincérité : c’est une assiette que l’on reconnaît, que l’on retrouve, et que l’on a envie de retrouver. Derrière sa forme humble, ce plat raconte une histoire de produits et de terroirs, de justesse !

Sôle cuite meunière
Chefs Émilie et Thomas Roussey, Le Moulin de Cambelong – Conques
Une sôle meunière d’une précision exemplaire, à la cuisson millimétrée, servie à l’ancienne, découpée en salle, avec ce qu’il faut de gestuelle et de chaleur. Le beurre noisette, justement doré, trouve un équilibre subtil avec le citron sans jamais saturer le palais. Les filets levés avec dextérité et l’ensemble, servi sur assiette chaude avec une saucière en appoint, invoque une idée de la gourmandise à l’état pure. Tout est là. Et rien n’est en trop !

Asperges vertes, asperges blanches crues, lard paysan, condiment à l’oseille
Chefs Laura Portelli & Christophe Saintagne, restaurant Les Roseaux – Meudon
Un plat d’une limpidité exemplaire. Le choix des asperges crues, rare en restauration gastronomique, témoigne d’un vrai travail de confiance dans le produit. Le lard croustillant structure l’ensemble, le condiment à l’oseille apporte l’acidité nécessaire, et la simplicité de l’assaisonnement laisse s’exprimer chaque élément sans détour. Ce qui marque ici, c’est la clarté de l’intention : rien à cacher, rien à forcer, seulement un équilibre juste, porté par une lecture immédiate du plat.

Foie gras poêlé – choucroute maison – sauce Apicius
Chef Benjamin Brau-Nogué, restaurant Le Septième Ciel – Casablanca
Un plat d’une grande maîtrise, où le gras du foie trouve un contrepoint précis dans l’acidité discrète de la choucroute. La sauce Apicius, juste aigre-douce, apporte un équilibre aromatique remarquable, sans surcharge ni démonstration. Tout se joue dans la retenue : des saveurs franches, une construction lisible, un vrai sens du goût. Rien de spectaculaire, mais une assiette pensée et aboutie, fidèle à une vision contemporaine et respectueuse du produit.

Chianina, miel, oursin
Chef Enrico Croatti, Moebius Sperimentale – Milan
Un plat rare, à l’équilibre délicat, fondé sur une association audacieuse mais maîtrisée. La viande de Chianina, finement taillée, est grillée au Josper, puis laquée au miel avant d’être rehaussée d’une langue d’oursin légèrement iodé. À la dégustation, tout prend son sens avec évidence : la tendreté de la viande, la complexité du miel, la minéralité marine de l’oursin. Un terre/mer qui pourrait déranger ai premier abord et qui séduit ensuite. Rien d’ostentatoire, mais une vraie pensée culinaire, parfaitement exécutée.

Petits pois à la française
Chef Dimitri Veith, restaurant Mon Oncle – Oslo
Derrière une présentation sobre, en petite casserole de cuivre, se cache une assiette d’une rare justesse. Le plat rejoue le classique des petits pois à la française, mais dans une lecture stratifiée : compotée d’oignons fondants, lardons croustillants, petits pois bien fermes, le tout surmonté d’une fine émulsion chaude. Chaque bouchée révèle une stratedistincte, chaque élément trouve sa place. Le tout forme une simplicité apparente, presque domestique, mais portée par un savoir-faire qu’aucune maison ne saurait reproduire à l’identique. Un plat de mémoire et de maîtrise, profondément réconfortant.

Turbot, caviar Kaluga N25, sauce au vin jaune et bœuf maturé
Chef Andrea Selvaggini, restaurant Savage – Oslo
Un plat de contraste, entre évidence formelle et audace de fond. Le turbot, d’une cuisson millimétrée, est surmonté d’une quenelle généreuse de caviar Kaluga N25, qui affirme dès l’entrée en bouche une gourmandise assumée. Mais c’est dans l’association des sauces que le plat se distingue : vin jaune et jus de bœuf maturé se croisent dans ce terre-mer surprenant et parfaitement lisible. Le tout est porté par un dressage net, un équilibre en tension, et une vraie profondeur aromatique. Probablement l’un des plus très beaux turbots dégustés récemment.

Langoustine barbecue, glaçage au kosho rouge, beurre blanc à la fleur de sakura
Chef Eric Vildgaard, restaurant Jordnær – Copenhague (Dîner à quatre mains avec Alain Ducasse, aux Airelles au Château de Versailles)
Une langoustine d’exception, par sa taille, sa texture, sa justesse de cuisson. Cuite au barbecue japonais, laquée au kosho rouge. Le beurre blanc à la fleur de sakura, parfaitement émulsionné, acidulé comme il faut était légèrement pimenté. Ce plat tient de l’évidence maîtrisée, où le produit et la précision du geste parlent d’eux-mêmes dans un équilibre juste et parfait entre la force du feu, la subtilité florale du Sakura et le piment qui est venu relevé . Un plat inoubliable, servi dans un lieu suspendu.
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Guillaume Erblang