Paris réussi pour Gökmen Sözen, qui en dix ans a su faire de Gastromasa l’antre de la gastrodiplomatie turque
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Sous les voûtes du centre de congrès d’Istanbul, la dixième édition du festival Gastromasa s’est ouverte sur une séquence hautement symbolique. D’un côté, Gökmen Sözen, fondateur de l’événement et figure tutélaire de la nouvelle scène turque, posait les mots d’un manifeste : faire de la gastronomie un outil de diplomatie culturelle. De l’autre, la gouverneure de Gaziantep rappelait que cette ambition mondiale s’enracine avant tout dans une terre, une mémoire et un peuple.

Deux voix, deux registres, mais une même conviction : la Turquie est prête à se raconter au monde à travers sa table.
Gökmen Sözen : “La gastronomie est notre diplomatie nationale”
Le discours de Gökmen Sözen ouvre l’événement avec la solennité d’un chef d’État et l’énergie d’un entrepreneur. Il commence par saluer les élus, les professeurs, les sponsors et “tous ceux qui, depuis dix ans, font vivre cette aventure”. Puis il pose la phrase pivot de son propos :
« Gastromasa est désormais une marque de la Turquie. »
Ce mot — marque — n’est pas anodin. Il marque la bascule d’un festival gastronomique en instrument de rayonnement culturel.
Gökmen Sözen poursuit :
« Nous sommes devenus des diplomates nationaux de la Turquie, et nous en sommes fiers. Gastromasa n’est pas seulement un congrès, c’est un lieu où les cultures se rencontrent et se reconnaissent. »
Il évoque ensuite l’expansion internationale de l’initiative, citant Londres, Paris, Dubaï, Cologne, comme autant d’escales d’un “voyage culinaire” qui porte la voix du pays.
« Nous voulons renforcer notre présence internationale, développer la gastronomie turque dans chaque capitale et faire découvrir nos produits, nos artisans, notre histoire. »
Mais derrière la stratégie, affleure une vision plus sensible : celle d’un territoire porteur de sens. Sözen parle de l’Anatolie comme d’un corps vivant :
« L’Anatolie, c’est notre table. C’est ici que nous avons toujours mangé, ici que nous avons créé Gastromasa. Chaque produit, chaque plat raconte une part de cette terre. »
Son discours glisse alors vers une dimension presque poétique : les “animaux, les montagnes et les étoiles de l’Anatolie” deviennent autant de symboles d’un pays qui cherche à conjuguer modernité et mémoire.
La conclusion est claire, presque politique :
« La Turquie ne doit plus être un carrefour entre les cultures. Elle doit être un centre culturel. »

La gouverneure de Gaziantep : “Notre patrimoine culinaire est une force vivante”
La dernière prise de parole, celle de la gouverneure de Gaziantep, s’inscrit dans une autre tonalité — plus ancrée, plus concrète. Là où Sözen parlait d’influence et d’image, elle parle de transmission et d’identité.
« Gaziantep est une ville où la mémoire se goûte », déclare-t-elle d’emblée, rappelant que la gastronomie locale est inscrite au patrimoine immatériel de l’UNESCO.
Elle souligne le rôle des femmes, des familles, des artisans, et la nécessité de préserver les savoir-faire face à la modernisation rapide du pays.
« Notre cuisine n’appartient à personne. Elle appartient à toutes celles et ceux qui la cuisinent encore chaque jour dans les maisons, dans les villages, dans les rues. »
Son ton se fait ensuite plus politique : la gastronomie devient un levier d’émancipation sociale et économique, notamment pour les jeunes générations.
« Soutenir la gastronomie, c’est soutenir nos producteurs, nos agriculteurs, nos restaurateurs. C’est aussi préserver notre souveraineté alimentaire. »
La gouverneure conclut sur une idée de continuité entre le local et le global, entre la tradition et l’avenir :
« Ce que Gökmen Sözen a commencé avec Gastromasa, nous devons le poursuivre à travers nos territoires. Chaque région de Turquie porte une voix, un goût, une mémoire. C’est en les unissant que nous ferons entendre la nôtre au monde. »

Entre Gökmen Sözen, stratège du rayonnement culturel, et la gouverneure de Gaziantep, gardienne du patrimoine culinaire, se dessine la double ligne de force de la gastronomie turque : l’influence et la transmission.
La première porte la Turquie à l’international ; la seconde l’ancre dans sa terre et sa mémoire.
Entre les deux, une conviction commune : la cuisine, en Turquie, n’est pas qu’un art. C’est un langage politique, un outil de reconnaissance et, peut-être, le plus universel des dialogues.
Guillaume Erblang / FoodandSens

















