Christophe Hay, La Maison d’à Côté : le calme au cœur du geste
Je n’ai jamais vu tant de casseroles rassemblées sur un piano, et je n’ai jamais entendu tant de casseroles faire si peu de bruit. J’ai envie de me tirer les boules Quies des oreilles, mais je n’en ai pas. La cuisine de La Maison d’à Côté n’est qu’un murmure. Elle ne se fait entendre qu’à petites touches. Je n’ai jamais vu, pardon, entendu ça. D’ailleurs je n’entends presque rien.
On connaît le bruit de deux mains qui applaudissent, mais quel est le bruit d’une main qui applaudit ? On peut détourner cette question zen : quel est le bruit d’une casserole qui s’entrechoque ? Je suis pratiquement assise dans la cuisine, à une table qui n’est autre que l’extrémité arrondie du piano ; la frontière entre zone de travail et zone de spectacle est intentionnellement brouillée. Et cette cuisine semble défier les lois de l’acoustique. Un chef m’avait un jour demandé quelle était la première chose que je percevais en entrant dans une cuisine de restaurant. Il n’avait même pas attendu ma réponse (qui tardait un peu) et s’était répondu à lui-même : « La musique ! Une cuisine émet toujours un son. »
Ici, c’est bien le cas, comme ailleurs, mais pizzicato, clavier tempéré, piano en sourdine. Que fait-on quand on est assis à une table du chef, que six hommes (dont le chef) travaillent juste devant vous et qu’on entendrait une mouche voler ? On pousse un grand soupir d’aise, on respire profondément. On est particulièrement bien disposé à goûter cet excellent crémant de Saumur en même temps que la paix du lieu.
Et quand une petite brioche ronde copieusement beurrée, par les fleurs de sureau dont sa pâte est mêlée, vient nous rappeler que nous sommes en bord de Loire (les fleurs exhalent un parfum d’eau, de rivage chauffé, de printemps), on est parfaitement attentif.
Chaque élément, chaque détail a fait l’objet d’une réflexion, mieux : d’une mesure tenant compte de tous les autres éléments. On se rappelle que Léonard de Vinci a séjourné dans cette région. Vu ce sens sublime de la géométrie et de l’harmonie, on se dit qu’il a laissé ici quelque chose de durable. Ce beurre demi-sel aux fleurs de pissenlit, ce pain au levain et aux graines de lin l’illustrent.
Les délicats amuse-bouche racontent le fleuve et ce qui s’épanouit sur ses rives : caviar de brochet, brême marinée sur un coussin de pâte soufflée, artichaut et chèvre frais. Les couleurs sont tendres, pâles, pastel, relevées d’un pétale flamboyant ou d’un outremer vif. Il y a un jardin en contrebas, tout en vient. Dès le mois de juillet, le restaurant fonctionne en autosuffisance pour les légumes et les herbes.
Cette table de chef est une position privilégiée pour contempler ces gestes de cuisiniers qui expriment une concentration extrême. Le calme, le silence y sont pour beaucoup. Les commandes sont murmurées. Rien ne se règle en élevant la voix. C’est un principe.
Le travail sur les poissons de Loire est exceptionnel. La Loire, dit Christophe Hay, donne ce qu’elle veut à chaque pêche. Selon celle-ci, vous mangerez du sandre, du brochet, de la perche, de la brême, de l’anguille, de la carpe, peut-être deux ou trois ou même un peu de tout ça. Et vous vous direz : je ne savais pas que ce poisson pouvait avoir ce goût, cette texture-là.
Et comme on a des ruches dans le jardin, quoi de plus naturel que d’enrober le filet de sandre de cire d’abeille pour le cuire à chaleur douce ?
Sur l’assiette, il est accompagné d’avoine en risotto, de tige de brocoli en brunoise, d’une pousse de brocoli, de pollen de coquelicot et d’un sabayon. Cela doit normalement vous faire rêver. C’est aussi bon que ça en a l’air.
Brochet de Loire, celtuce, boutons de pissenlit à l’aigre-doux, fleurs de coriandre, sauce César. C’est une cuisine qui, à la fois, marche sur la pointe des pieds et dit clairement ce qu’elle veut dire. Les goûts sont nets, vifs, les textures voluptueuses.
Les vins blancs de Loire coulent paisiblement. Une magnifique carte leur rend hommage. Ici, un muscadet-de-sèvre-et-maine aimable et droit comme un i.
Parfois, un éclat de couleurs venu tout droit du jardin fait irruption dans ces tons pastel. Le rouge des fleurs de capucine, le vert des courgettes cueillies du matin et un coulis vert sombre de feuilles de capucine.
Crumble de sarrasin et glace à la livèche.
Cette chose ravissante est un vacherin aux fraises dont la coque de meringue renferme une glace au safran de Sologne. C’est tellement frais, poétique et délicieux que c’en est désarmant.
Le soufflé à la framboise reçoit en son cœur, juste au moment de servir, un filet de liqueur Chambord, fabriquée à Cheverny depuis des générations.
La Maison d’à Côté – 25, rue de Chambord, 41350 Montlivault. Tél. 02 54 20 62 30. Ouvert du jeudi au mardi de 12 h 15 à 14 heures et de 19 h 15 à 21 h 30 (le dimanche de midi à 14 heures et de 19 heures à 21 h 30). Menus 75 et 107 €, carte environ 90 €. Bistrot : Côté Bistrot, même adresse, Tél. : 02 54 33 53 06. Formules 14, 22 et 30 €.
À la petite cuillère
Textes et photos : Sophie Brissaud