Alba, Piémont : l’Asta del Tartufo, enchères mondiales de la truffe blanche
Mmm, fait faim, je me ferais bien un petit casse-croûte. Un sandwich, tiens : deux tranches de pain et une truffe blanche d’Alba à 32 000 euros. Ça serait au poil. C’est pourquoi je me suis rendue le week-end dernier à la 16e Asta mondiale del tartufo bianco d’Alba (16e édition de la grande vente caritative de truffes blanches d’Alba), espérant me trouver une petite truffe pas chère et faire progresser la compassion humaine du même coup : win-win.
Donc direction les Langhe, région du Piémont mondialement connue pour ses truffes, ses vins (barolo, barbaresco), ses noisettes et ses splendides paysages qui deviennent carrément grandioses en automne.
L’événement a lieu dans le petit village de Grinzane d’Alba, au château Grinzane-Cavour, ainsi nommé parce que Camillo Cavour, futur Père de la nation italienne, y fut maire dans sa jeunesse sous la forte influence de son riche et influent papa. Celui-ci, trouvant son fils un peu trop bambocheur, le privait ainsi des plaisirs de Turin. Cavour était aussi un womanizer de première, dans la catégorie « sentimental » : on retrouva en effet au château de Grinzane une montagne de lettres d’amour de mains féminines, toutes en français. Voilà pour la petite histoire.
La truffe blanche, c’est l’or, le platine, la pierre philosophale du Piémont ; ce n’est pas rien. On a mis les formes. Mot de passe ? (Hésitation.) TARTUFO ! s’écrient les gardes, rigolards, en décroisant leurs hallebardes. On aurait pu y penser.
Les banderoles s’envolent, le rouge est mis ; rien ne manque, jusqu’aux chevaliers de Malte.
L’enchère se déroule à l’auditorium, dans les tréfonds de la forteresse. Tout le monde y va de son petit speech, y compris Monsieur le sénateur. Cette année, les fonds collectés iront à la Fondazione Nuovo Ospedale Alba Bra Onlus ainsi qu’à l’association Mother’s Choice de Hong Kong, qui prend soin des orphelins et des jeunes mères en difficulté.
Un à un, les onze lots de truffe blanche sont révélés au public. Chacun, composé d’une truffe ou de plusieurs cavées en même temps, est accompagné de deux ou trois prestigieux magnums ou doubles magnums de vieux barolo ou barbaresco. Je reviendrai une autre fois sur l’accord vins-truffe blanche. Le présentateur Enzo Iacchetti (qui a fait de la télé) virevolte à travers la salle, faisant admirer ses diamants fauves (je parle des truffes, ne soyez donc pas mal élevés).
Cette année, la distinction d’Ambassadeur de la truffe blanche d’Alba dans le monde est décernée à Joan Roca, chef du restaurant triplement étoilé et fifty-besté El Celler de Can Roca à Gérone (Catalogne).
Un aspect insolite de ce type d’enchère, portant sur un produit déjà très cher qui va franchir une espèce de mur du son monétaire, est que la montée des prix n’est pas exactement corrélée à la taille des truffes : ça s’élève inexorablement, vertigineusement, en flèche. Une liaison est établie par Internet avec un restaurant de New York et un autre à Hong Kong. Elle n’est pas facile à assurer. New York disparaîtra assez vite de l’écran, mais Hong Kong remportera des lots et même le dernier, l’apothéose. Ci-dessus, M. Giovanni Rana (mais oui, celui des raviolis au rayon frais ! ZE Giovanni Rana ! Il existe !) emporte un lot de truffes de 620 g pour 12 000 euros (gasp !).
Bon, c’est bien beau tout ça, mais ça ne me donne pas mon casse-croûte. Mince, je viens de me faire doubler par Da Dong. Le magnat (sans jeu de mots *), le géant (dans tous les sens du terme) du canard laqué à Beijing, vient de me souffler MA truffe de 520 g, celle que je voulais dans mon sandwich, pour 32 000 euros. Vous voyez ce que je veux dire sur la proportion poids-prix ? Da Dong, au cours de cette vente, emportera deux lots.
(* Magnat, Tuber magnatum = truffe blanche du Piémont, c’est drôle hein ? Non ? NON ?)
C’est pas encore avec ça que je vais l’avoir, mon casse-croûte.
Da Dong qui se déplace, et pour de la truffe en plus, c’est de l’événement, ça remue de l’air, ça fait de l’empreinte carbone meumeu quoique humanitaire. Tant et si bien que les paparazzi paparazzent.
Les lots sont mis en scène façon Caravage pour les photos de presse. La vente, cette année, a rassemblé 287 500 euros. Le lot final, un spécimen de 900 grammes, a été remporté pour 100 000 euros par un entrepreneur de Hong Kong, en compétition avec Da Dong et Giovanni Rana, qui se sont révélés les enchérisseurs les plus âpres. Et moi, je vois mon casse-croûte s’envoler à tire-d’aile.
Soulagement : un déjeuner tardif est organisé dans la grande salle des Masques. On y boit, surprise, du barolo. Et on y goûtera de la truffe blanche, beaucoup de truffe blanche.
Comme pour me consoler de mon sandwich perdu, une râpeuse de truffe vient jouer de la mandoline sur mon assiette d’agnolotti al plin. Elle râpe avec tant de passion que pouf ! un gros morceau (environ 10-12 g) de truffe blanche s’échoue dans mon assiette. Bête et disciplinée, et encore étourdie des sommes atteintes par ces tubercules lors de la vente, je ramasse le morceau. Pensez-vous, elle s’en fiche ! C’est tombé, c’est tombé ! Un cadeau du ciel, ça ne se rend pas. Et comme j’essaie d’être une dégustatrice méthodique, je finis mon assiette avant de croquer le cadeau, afin de mieux en évaluer le goût. La truffe blanche, en effet, on n’est pas censé la croquer. Elle est toujours râpée, en fins copeaux, sur des aliments de préférence tièdes et non chauds car son arôme est très volatile, raison pour laquelle il faut aussi manger vite. On est envahi par des senteurs magnifiques qui se diffusent, comme un grand thé chinois, dans plusieurs directions : gorge, thorax, fosses nasales, sinus, oreilles. Mais croquée, cette truffe blanche se révèle en fait assez proche de la truffe noire, avec un parfum un peu plus volatil et un goût extraordinaire, noisetté, aillé, boisé, en couches superposées, complexe et d’une grande longueur. Elle gagne en fait à être croquée (mais vous avez vu les prix ?).
Finalement, c’était beaucoup mieux qu’un sandwich. Chaleureux remerciements à l’Enoteca Regionale Piemonte Cavour/Office de tourisme Langhe-Monferrato-Roero, à Nadia qui nous a guidés avec une immense gentillesse, et au cher ami Andrea Petrini.
– À la petite cuillère –
Texte et photos : Sophie Brissaud.