À Paris, le chef Christopher Hache se confie à Food&Sens – L’Écrin, sa table gastronomique à l’Hôtel de Crillon ; et son voyage culinaire autour du monde
À Paris, le chef Christopher Hache se confie à Food&Sens – il parle de L’Écrin, sa table gastronomique à l’Hôtel de Crillon, et de son voyage culinaire autour du monde
Un an après sa réouverture en grande pompe, L’Hôtel de Crillon continue de créer l’événement, et de faire rayonner la place de la Concorde. Et pour cause ; à la tête du restaurant gastronomique L’Écrin, le chef Christopher Hache est au sommet de son art. D’autant que son plat signature, qui truste le champignon en une vibration singulière, s’incarne on ne peut mieux dans la saison automnale. C’est face à cette variation captivante du « Champignon de Paris » que Food&Sens a interviewé Christopher Hache. A découvrir ci-dessous !
F&S : Commençons par un rappel de votre parcours, et par le grand voyage culinaire que vous avez effectué avant la réouverture de L’Hôtel de Crillon (qui s’est faite le 5 juillet 2017). Où êtes-vous allé ?
Christopher Hache : Pour ce qui est de mon parcours, il est très français, et très parisien (le Lucas-Carton avec Alain Senderens, puis Éric Briffard, puisle Bristol avec Éric Fréchon). Il s’est fait dans de belles maisons, où j’ai énormément appris. Puis j’ai rejoint l’Hôtel de Crillon en 2010. Mais il me restait encore deux points à travailler : l’anglais, et le fait de ne pas avoir d’expérience à l’international. J’avais envie d’avoir une connaissance directe des cuisines du monde, et de les expérimenter auprès de chefs locaux. Du coup, je me suis décidé ; quand l’hôtel a fermé en 2013 pour travaux, j’ai pris le Michelin et le 50 Best, et je suis parti pour un voyage d’un an et demi. J’ai commencé par New-York (chez Paul Liebrandt, puis à Atera auprès de Ronny Emborg). Je suis parti ensuite au Brésil, chez Alex Atala à Sao Paulo ; avant de découvrir le Chili, puis le Pérou (qui fut une très belle découverte, notamment aux restaurants Astrid y Gaston, et Central de Virgilio Martinez). Puis je suis parti à la Napa Valley (chez Thomas Keller au The French Laundry d’abord, puis chez Christopher Kostow). Ensuite de quoi, j’ai rallié l’Asie (à Singapour chez André Chiang, puis au Japon où j’ai fait deux stages à Tokyo, dont un chez Shuzo Kishida), avant de faire un troisième stage à Kyoto, auprès de Monsieur Murata – qui a 7 étoiles Michelin). Pour finir, j’ai pris la place de chef au Rosewood London (un cinq étoiles luxe qui fait partie du même groupe hôtelier que l’Hôtel de Crillon, NDLR), où je suis resté 5 mois. Ces voyages m’ont beaucoup enrichi et apporté, à la fois culinairement et humainement parlant. J’ai découvert de nouveaux produits, d’autres techniques, d’autres recherches. Ça a été l’occasion d’une belle ouverture d’esprit. À mon retour, j’ai eu le temps nécessaire pour méditer à la manière d’incorporer tout cela à L’Écrin avant la réouverture de l’hôtel.
F&S : Vous avez pris la tête des cuisines de l’hôtel en janvier 2010. Vous aviez alors 29 ans ; votre jeune âge était-il un défi pour tenir un tel poste ?
C.H. : C’est tout à l’honneur de L’hôtel de Crillon que de m’avoir donné une telle opportunité à cet âge-là. Incontestablement, c’était une chance pour moi. D’autant que succéder à Jean-François Piège n’était pas simple ; il fallait que j’écrive ma propre histoire, que je raconte quelque chose de différent. En tout cas, une chose est sûre : je ressens un fort attachement à cet hôtel, en vertu de tout ce qu’il m’a permis de découvrir, et pour la confiance qu’il m’a accordée. Et puis, avoir eu la chance de participer à sa réouverture, et avoir décroché une étoile Michelin à L’Écrin en si peu de temps, ça aussi, ça compte beaucoup pour moi. (L’Écrin a décroché sa première étoile en février 2018, NDLR.)
F&S : Outre L’Écrin, dont vous avez la charge, quelles sont vos autres responsabilités au sein de l’hôtel ?
C.H. : Je supervise tous les espaces restauration de l’hôtel. Ce qui revient à gérer une équipe de 70 personnes. Car dans un hôtel, le service ne s’arrête jamais (c’est d’ailleurs ça la grande différence avec un restaurant). De plus, dans un hôtel l’offre doit être variée, pour séduire aussi bien les habitués que les clients d’un jour. D’où la pluralité des espaces de restauration ; du Bar des Ambassadeurs (situé à l’entrée de l’hôtel, pour dynamiser les lieux d’emblée), en passant par le Jardin d’Hiver dévolu au tea time, ainsi que par La Brasserie d’Aumont avec Justin Schmitt, sans oublier le petit-déjeuner, tout est varié en terme de cartes. On propose bien sûr aussi une carte sans gluten, avec une offre légère, bien dans l’air du temps.
F&S : Niveau proportions, L’Écrin a été volontairement pensé comme un espace feutré, au volume intimiste ; pourquoi ce partis-pris ?
C.H. : À L’Écrin, j’ai fait le choix délibéré de n’avoir que 24 couverts. Avec ce nombre limité, on peut non seulement choyer les convives, mais aussi se dépasser, aller le plus loin possible. Pour pousser davantage encore l’expérience du client, j’ai fait faire des arts de la table sur-mesure, exclusivement pensés pour L’Écrin. Cette vaisselle fait écho à la carte, prolonge son propos. Autre parti-pris de L’Écrin, le côté voyageur et expérimental du menu. D’où la citation de Christophe Colomb figurant en en-tête au menu signature : « On ne va jamais aussi loin que lorsqu’on ne sait pas où l’on va ». Voilà qui lance le voyage, et qui résume bien la philosophie de cette table. Quant aux appellations des plats, elles sont volontairement pensées pour ne pas tout révéler du menu. On laisse de l’intrigue aux clients.
F&S : Les enjeux de votre poste (s’assurer de la rentabilité des tables de l’hôtel, entre autres) vous permettent-ils toutefois un vrai affranchissement créatif ?
C.H. : J’ai la chance d’avoir carte blanche sur toute la partie créative. Car au fond, pour un chef c’est comme pour un peintre : on ne peut pas lui dire ce qu’il doit peindre (rires). Ceci étant dit, il y a bien sûr une pression inhérente à mon poste. Mais cette pression doit rester positive. C’est elle qui pousse à se remettre en question, à viser toujours plus l’excellence. Pour moi, l’important c’est que les tables de l’hôtel soient pleines, et que les clients soient heureux. C’est ça qui nous confirme qu’on est sur la bonne voie.
F&S : À Paris, les chefs de palaces semblent tous amis entre eux ; pourtant, la concurrence dans le marché de l’hôtellerie du luxe est réelle.
C.H. : C’est vrai qu’entre chefs de grands hôtels, nous sommes proches les uns des autres, surtout lorsqu’on est de la même génération. Je suis ami avec Romain Meder, par exemple (le chef exécutif du restaurant Alain Ducasse au Plaza Athénée), ainsi qu’avec Christophe Saintagne (qui a ouvert son propre restaurant, Papillon). Tout ce noyau de la jeune garde de chefs a beaucoup de respect le uns pour les autres. Il y a aussi les chefs comme Akrame Benallal, Bertrand Grébaut, Gregory Marchand, David Toutain… Entre nous, il y a une belle émulation. Le seul souci que nous avons pour se voir, c’est nos quotidiens, tellement pris. Mais c’est important de se retrouver de temps en temps.
F&S : Comment votre table se distingue-t-elle des autres grandes tables voisines de l’Hôtel de Crillon ? (Alain Ducasse au Meurice, Nicolas Sale au Ritz, Thierry Marx au Mandarin Oriental, Éric Frechon au Bristol…) Cette proximité géographique constitue-t-elle une gageure pour se différencier ?
C.H. : Paris a le parc hôtelier le plus riche du monde, c’est un fait ; et ce n’est pas terminé, car de beaux projets vont encore naître prochainement dans la capitale. Ce qui conserve les choses intéressantes, c’est que chacun de ces hôtels a sa propre identité. De ce fait, je parlerai davantage d’émulation que de concurrence. Ces palaces voisins nous poussent à nous différencier toujours plus dans notre offre, à proposer une offre vraiment à part, singulière. Et puis, le cadre aussi permet de différencier l’offre ; l’Hôtel de Crillon est une très belle vitrine, qui met en valeur notre cuisine.
F&S : Ce qui fait la qualité d’une assiette, ce sont aussi les produits utilisés ; des produits de proximité, issus de jardins potagers ou de fermes. Dans une structure de palace, comment parvenez-vous à coller à la saisonnalité via une collaboration avec de petits producteurs ?
C.H. : Nos fruits et légumes nous viennent de deux maraîchers, situés près des Muraux, à une trentaine de kilomètres de Paris. Ils nous livrent tous les jours, ce qui garantit une vraie fraîcheur des produits, et nous permet aussi de changer tout de suite d’ingrédients quand la saisonnalité bascule. Du coup, on travaille des produits d’exception. Pour ce qui est des huîtres, elles nous viennent de notre propre parc à huîtres. Là encore, j’ai la chance de travailler de très beaux produits.
F&S : Aujourd’hui, même dans l’univers du grand luxe, les palaces et autres 5 étoiles ouvrent des tables plus accessibles en prix ; certains font même le choix de ne pas avoir de table d’exception. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
C.H. : L’accessibilité est décisive. Elle passe par les prix, bien sûr (ceux qu’on pratique à La Brasserie d’Aumont vont dans ce sens, d’ailleurs), mais aussi par le service, l’attention portée au client. À l’Hôtel de Crillon, nous veillons à ce que chacun se sente accueilli. Car il faut bien le rappeler : notre métier, fondamentalement, est un métier d’accueil.
F&S : Une nouveauté de rentrée à partager sur L’Écrin ?
C.H. : Il ouvre désormais sa table pour déjeuner, les jeudis et vendredis midis. Sinon, L’Écrin reste bien sûr ouvert du mardi au samedi soirs.
Propos recueillis par Anastasia Chelini