Jérôme Banctel – Suivez le chef dans les cuisines du restaurant Le Gabriel à Paris –
Jérôme Banctel – Le Gabriel / La Réserve Paris – Exigence et persévérance au service de l’excellence
Textes et Photos Julie Limont
Il est une cuisine qui m’est plus que précieuse. Celle qui m’a vue changer de vie, m’acharner de concert avec elle. Celle qui a essuyé toutes mes premières photographiques et dont les portes m’ont toujours été grandes ouvertes, pour m’entrainer, travailler, encore et encore, ou me nourrir de belles choses les soirs de déprime. Je sais ma chance. J’ai eu le privilège d’y capter la première saison du gibier, et plus particulièrement la mise en place du lièvre à la royale, en saisissant le fil du dépeçage au dressage, aujourd’hui salué unanimement par les plus grands comme touchant à l’excellence et à la perfection. Je me souviens précisément du chef, au passe, alors que la brigade, bien peu nombreuse à cette époque s’affairait aux mises en place du service à venir, dans un calme et une concentration absolus, bridant consciencieusement l’animal comme la plus précieuse des broderies. Je me souviens aussi, avec beaucoup d’émotion, de ce jour de février 2016, où les deux étoiles, après une simple année d’ouverture, ont scintillé dans les yeux rougis de larmes et dans l’immense fierté d’un projet commun porté par ses fidèles sous- chefs. Cette cuisine, c’est celle du Gabriel, à La Réserve Paris, et de son chef, Jérôme Banctel, qui un jour d’octobre 2015 m’a accordé, dans un élan de bienveillance – voire d’inconscience -, sa confiance, en me passant ma toute première commande, alors que je n’étais aucunement professionnelle.
Breton de naissance et de cœur, rien ne le prédestinait à la gastronomie, lui qui ne vivait que pour le sport en général, et le football en particulier . N’obtenant pas l’accord parental, du haut de ses 13 ans, pour poursuivre sa scolarité en sport études, il suivra un ami en école hôtelière, sans plus de convictions.
Dressage du Caviar
Le Caviar osciètre gold, gaufre de haddock et condiment à la française
Tout d’abord partagé entre cuisine et salle, un stage derrière les fourneaux à l’Auberge de la Taupinière, à Pont Aven, lui fera naître une véritable passion. Il y retournera d’ailleurs, à l’issue de sa formation et de quelques mois à Antibes, et rencontrera Olivier Bellin, aujourd’hui chef de l’Auberge des Glazicks, avec lequel il tisse encore à ce jour une belle relation d’amitié. Le Chef passera ensuite par deux établissements en Hollande avant d’arriver, à 23 ans, en contrées parisiennes, comme chemin obligé. Une brève incursion au Jules Verne, puis le Crillon, alors sous la houlette de Christian Constant, qui signera pour lui la découverte et l’immersion dans les grandes maisons et brigades. Cette expérience, même si difficile, lui sera très formatrice, et durera deux années, entre 1994 et 1996. Désireux par la suite d’intégrer un 3 étoiles, c’est précisément dans celui dont il rêvait qu’une place, exceptionnellement, se libère. Monsieur Bernard Pacaud, sensible à son passage par les cuisines de la Taupinière, signera donc, le 3 juillet 1996, son entrée à l’Ambroisie, où il restera 10 ans. 12 personnes pour 35 couverts, fermeture le we, l’ambiance est familiale et il y apprend le respect des beaux produits, la rigueur, le classicisme dans ce qu’il porte de meilleur, et témoigne, en me contant cette période, d’un respect et d’une tendresse infinis pour ce grand chef. Puis arrive l’époque Senderens. Il repart de son premier et unique entretien contrat signé en poche et intègre cette institution de la Place de la Madeleine le 3 juillet 2006. Deux équipes de 20 cuisiniers, ouverture 7 jours sur 7, il découvre une dimension nouvelle de la cuisine, nourrie des lectures et recherches historiques de Monsieur Senderens (pour exemple son illustre canard Apicius remettant en lumière une recette de l’Antiquité), mais également celle des accords mets et vins qui fut sa signature. « Il m’a appris le goût », l’art et la curiosité de pousser les saveurs au bout de ce qu’elles peuvent exprimer, enchainant essai sur essais jusqu’à ne surtout plus rien changer.
Dressage de l’Artichaut
L’Artichaut « Macau », coeur en impression de fleur de cerisier et coriandre fraîche
Dorénavant, les recettes pouvaient découler d’une dégustation de grands crus jusqu’à trouver l’accord parfait à partir d’un ingrédient choisi – c’est ainsi que son homard vanille naitra de la découverte d’un Meursault – ou inversement, ouvrant parfois une vingtaine de bouteilles pour parvenir à l’adéquation idéale avec un plat jugé abouti. Cette créativité bouleversera sa vision de la cuisine, mais plus encore qu’une expérience gastronomique, Jérôme Banctel apprendra également beaucoup de la gestion d’une maison, dont il est alors responsable au quotidien. Du recrutement à la gestion des ratios et approvisionnements, en passant par l’ouverture des Mama Shelter, toute cette expérience lui fournira de solides bagages pour la suite de son parcours. Nous sommes en 2012, et après 8 années passionnantes, Jerôme met un terme à sa collaboration avec le chef Senderens. Monsieur Reybier, rencontré quelques temps plus tôt, lui propose alors, en 2013, la place de Chef à la tête de son futur hôtel, avenue Gabriel. Là encore, Jérôme repart de l’entrevue contrat en poche et entreprend immédiatement son consulting, ayant la liberté de recréer sur plans l’aménagement de sa cuisine idéale.
S’en suivront de nombreux tasting en autant d’allers-retours à Genève, puis, enfin, quelques semaines après la fin des travaux, l’ouverture, le 19 janvier 2015, de La Réserve Paris et de son restaurant Le Gabriel. Autour de lui, une équipe plus que réduite, mais composée de fidèles et fervents défenseurs de son identité culinaire. Linh Nguyen, qui participe grandement à la stabilité et à la régularité culinaire des services, sans pour autant cesser de creuser inlassablement de nouvelles associations, travaille aujourd’hui depuis 10 ans à ses cotés, et Frédéric Calmels, qui après 9 années de collaboration vient de prendre, en décembre dernier, la place de chef à la Réserve Genève, pour laquelle Jérôme Banctel est consultant. A eux trois, soutenus par une équipe de jeunes aujourd’hui devenus sous-chefs (Maxime Vaillant et par la suite Paul Genthon et Guillaume Lecoq), ils sauront porter haut et fort l’excellence d’une cuisine d’exception et participer à l’obtention de deux étoiles, en février 2016, après seulement une année d’ouverture.
Dressage du Homard
Le Homard bleu, poché dans son beurre, coulis d’oseille et gingembre, émulsion à la vanille
Je me souviens de chacun des services auxquels j’ai eu la chance et le privilège d’assister. Pour tout vous avouer, je suis émue en écrivant ces mots. La confiance que m’a accordée ce chef à signé mon changement de vie, m’insufflant suffisamment de courage pour reprendre ma liberté. J’ai parfois poussé la porte de la Rue du Cirque dans des états improbables. Pour autant, jamais une remarque, ni même de questions auxquelles j’aurais été incapable de répondre. Et toujours cette confiance, qui m’a poussée bien au-delà de ce dont j’étais a priori capable. J’ai rarement vu autant de persévérance, d’humilité, de justesse et de droiture en un seul homme. Envers et contre tout. Et croyez-moi, cela vous porte à vous battre et ne jamais rien lâcher, quoi qu’il advienne. Je sais ma chance, également, et qui pour moi demeure le luxe ultime, de pouvoir assister aux prémices de plats qui deviendront, je n’en doute pas, signatures. Les premiers tests, premiers dressages, ajustements ou réflexions sont à mon sens les moments les plus précieux que l’on puisse vivre dans une telle cuisine. Je sais ma chance, et je la remercie chaque jour.
Quand je l’interroge sur ce qui aujourd’hui l’anime, l’émerveille, l’émeut, il me répond via le prisme de la gastronomie, puisque toute sa vie, depuis de longs mois déjà, s’est focalisée sur ces seuls objectifs : cheminer vers l’excellence, qu’elle soit celle de cette maison qu’il promeut, ou plus personnelle comme ce le fut en cette fin d’année passée. C’est donc bien la technique qui le fait vibrer et l’impressionne, pour peu qu’elle soit au service de l’élégance et des saveurs, comme celles qu’il prend soin à dresser dans chacune de ses assiettes d’une manière, à mon sens, exemplaire.
Entre-plat d’un soir, la Langoustine, caviar, huile d’olive
Dressage de la Noix de Saint-Jacques
La Noix de Saint-Jacques, bonbons de topinambours au vin de Jerez
Transmission – Linh Nguyen et Guillaume Lecoq, sous chefs
Dressage du Foie gras
Le Foie gras de canard au naturel, betterave en impression d’hibiscus, anguille laquée
Mises en place pour la tarte aux truffes
La Truffe melanosporum en fine tarte chaude, essence de truffe et beurre salé
Dressage du Bar
Le Bar de ligne, étuvé aux noires, poireaux croustillants
Mises en place du Maquereau, la finition se fera en salle de restaurant
Départ pour le service en salle du Maquereau de Bretagne au vin blanc
Dressage de l’accompnement du Maquereau, Pommes de terre en bourride d’oursin
Dressage des céleris en accompagnement du plat de bar
Le Bar de ligne, céleri au citron noir et sauce au raifort vert
Dressage du plat de volaille
La Volaille de la cour d’Armoise au lait ribot, cresson de fontaine en raviole crémeuse
Dressage de l’Agneau
L’Agneau de Lozère, pommes de terre confites, ail noir au miel
Dressage de la mangue, kimchi, accompagnant le Cochon
Le Cochon de lait de Burgos croustillant, mangue laquée et chou vert épicé
Dressage du Pigeon
Le Pigeon de Racan, mariné au cacao et sarrasin croustillant
Travail de réalisation du plat de chevreuil
Le Chevreuil rôti en noisette, dôme soufflé au chou rouge et tamarin
Dressage du dessert » La Pépite «
Le Chocolat, pépite du Brésil, sauce chocolat infusée au maté
Dressage du dessert décliné d’une version personnelle du » Mont-Blanc «
Le Mont Blanc, meringue à la truffe, sorbet yuzu et crème légère aux marrons
Une pensée pour Frédéric Calmels, parti prendre la place de Chef à La Réserve Genève après 9 années aux côtés de Jérôme Banctel
Le Gabriel – La Réserve Paris – 42 avenue Gabriel – Paris 8ème