Alsace – Le chef Olivier Nasti nous parle de sa fermeture, du confinement et de l’après : « la nature nous donne-t-elle une leçon ? »
En Alsace, région particulièrement touchée par le coronavirus, les restaurants ont été les premiers de France à fermer. Le MOF et chef-patron Olivier Nasti, deux étoiles au guide Michelin 2020, nous donne ses impressions sur la situation. Joint par téléphone, il a raconté à Food&Sens la fermeture de son hôtel-restaurant Le Chambard, un 5 étoiles estampillé Relais & Châteaux, dont les portes sont closes depuis le 14 mars. Entre soutien à ses équipes, vie de famille, partage et réflexion, le chef nous en dit plus sur sa vie à l’heure du confinement.
F&S : À ce jour, comment se porte la région ? Est-elle approvisionnée normalement ?
Olivier Nasti : La pandémie en France ayant débuté chez nous, on s’est préparé un peu plus vite que le reste du pays à la perspective du confinement. Du coup, il semble qu’une vraie organisation se soit instaurée en Alsace ; niveau ravitaillement, les choses me semblent fonctionner normalement. Dernièrement, je suis allé faire mes courses deux ou trois fois au supermarché bio près de chez moi : tout y était normal. De plus, au pied du massif vosgien où j’habite, il se trouve beaucoup de petits producteurs, qui approvisionnent régulièrement les petits marchés en ville. Pour l’heure, nous ne manquons de rien.
F&S : Avez-vous pu mettre en place des actions de solidarité ?
O.N. : J’ai offert toute la marchandise qui me restait à mes équipes. Comme il a fallu fermer du jour au lendemain, et que j’ai deux restaurants au Chambard (La Table d’Olivier Nasti**, et la Winstub du Chambard), il nous restait beaucoup de provisions… En parallèle, je prépare tous les 2/3 jours des paquets de provisions pour quelques personnes âgées du village.
F&S : Racontez-nous la fermeture du Chambard ?
O.N. : On a essayé de rester ouvert le plus longtemps possible, surtout en soutien à nos petits producteurs, qui dépendent beaucoup de nous pour pouvoir vivre. Le 14 mars au soir, le gouvernement a annoncé qu’il fallait tout fermer. En salle, nos clients (dont certains étaient encore à table) sont tombés des nues ; d’autant qu’il fallait fermer le soir même. Nous avons donc fermé… Il a fallu renvoyer chez eux 65 employés. Dès le lendemain matin, on a stocké toutes les provisions, on les a réparties en colis, et chacun en a emporté un en prenant congé. Quant à moi, j’ai fait annuler toutes les réservations de l’hôtel, jusqu’au mois de mai.
F&S : Comment vivez-vous le confinement ?
O.N. : Deux semaines et demi viennent de passer depuis le début du confinement. Pour l’instant, ça va ; j’ai la chance de vivre en bordure de forêt. Mais j’ai le souci, forcément, de mon entreprise ; on sait tous que nos affaires auront du mal à s’en remettre. C’est certain… D’autant que nous, les chefs-patrons, sommes presque tous des entreprises familiales, qui bien souvent ont une toute petite trésorerie. Un mois, deux mois suffisent à ce que tout l’équilibre tombe. Et ces emprunts qu’on est en train de contracter pour faire tenir les choses, il faudra bien les rembourser… Cela prendra sûrement plusieurs années de travail pour les payer…
F&S : Que deviennent vos équipes ? Êtes-vous en contact régulier avec elles ?
O.N. : Tout à fait. On a créé un groupe Messenger pour s’échanger des nouvelles. On y poste des photos à l’heure de l’apéritif, ou des photos de plats que chacun fait chez soi. Chaque jour, j’essaie d’appeler au moins une personne de l’équipe. En tout cas, personne n’a été contaminé dans notre entreprise. C’est une bonne nouvelle.
F&S : Partagez-nous une recette appropriée au confinement ? (C’est-à-dire, qui ne nécessite pas trop d’ingrédients, ni des ingrédients ardus à trouver).
O.N. : Voici celle que j’ai faite à midi ; il s’agit d’une purée de pommes de terre. Cuisez-les en robe des champs ; puis passez-les au tamis ; ajoutez ensuite un peu de farine, un œuf entier, de l’ail des ours (ou bien du persil et de l’ail), et mélangez. Vous obtiendrez ainsi une purée d’une couleur un peu verte ; faites-en des petites galettes, à cuire à la poêle ; puis servez. Cela peut s’accompagner d’une salade, d’une volaille ou d’un steak grillé.
F&S : La reprise post-confinement, vous l’envisagez comment ?
O.N. : Pour l’instant, c’est difficile d’imaginer la suite, dans la mesure où on ne sait pas combien de temps encore on sera confiné. Ce que j’imagine en tout cas, c’est qu’il faudra être présent et positif auprès de nos équipes, ainsi qu’auprès de nos clients. Il ne faudra pas se plaindre de tout ce qui nous est arrivé. Nous les chefs d’entreprise, il faudra se montrer fort.
F&S : Pensez-vous que la période que l’on vit actuellement va mettre un coup d’arrêt à une certaine forme de consommation alimentaire (hyper mondialisée), pour favoriser les circuits d’approvisionnement courts ?
O.N. : Je pense qu’une prise de conscience va se faire, assurément. Au sortir de la crise, il faudra veiller encore plus à se fournir localement ; que ce soit dans la gastronomie, la grande restauration ou la bistronomie. Pour ma part, cela fait 3-4 ans que j’ai pris la décision de travailler la plus grande partie de mes produits localement, dans la vallée de Kaysersberg. Ce faisant, je fais travailler les producteurs locaux, les artisans et les petits commerces alentour. C’est important.
F&S : Une dernière remarque ?
O.N. : Je vous partage une réflexion que je me fais ces jours-ci : en observant mon jardin, force est de constater que la nature est en plein éveil. Je vois les abeilles de mes ruches butiner, mes pommiers et cerisiers en fleur, toute cette nature qui s’éveille. Et pendant ce temps, nous sommes confinés… C’est vraiment étrange, non ? La nature nous donne-t-elle une leçon ? À force d’avoir voulu trop (et mal) l’exploiter, reprend-elle finalement ses droits ?
Par Anastasia Chelini