» Cheffes » un guide pour donner de la visibilité à 500 femmes qui cuisinent dans l’indifférence en France
Le débat est un peu vieux comme le monde, les femmes sont elles reconnues comme elle le devraient dans la gastronomie, dans les cuisines ? … Sortir un guide qui les référence est ce vraiment la bonne solution pour qu’elles trouvent leur place ?
Catégoriser, segmenter, séparer, est ce vraiment la bonne solution pour créer une parité entre sexe masculin/féminin ? … le débat est ouvert, alors qu’aujourd’hui beaucoup de femmes trouvent leur place dans la gastronomie, non pas parce qu’elles sont femmes, mais parce qu’elles ont du talent, parce qu’elles sont créatrices d’univers propres, parce qu’elles sont originales, singulières, étonnantes, est ce qu’il ne faut pas cesser de dire qu’elles sont différentes des hommes ?
Lisez ci-dessous l’article que le magazine Challenges a consacré à » Cheffes «
Avec le guide « Cheffes », Vérane Frédiani et Estérelle Payany ont pour vocation de donner de la visibilité à ces 500 femmes qui font la différence dans les cuisines de France.
« Nous avons tous à y gagner! » Dans la préface de Cheffes – 500 femmes qui font la différence dans les cuisines de France (éd. Nouriturfu), l’emblématique cheffe étoilée Anne-Sophie Pic vante la vitrine extraordinaire qu’offre aux femmes cheffes cet ouvrage co-écrit par Vérane Frédiani et Estérelle Payany. Ces femmes qui sont là, mais que l’on ne voit pourtant quasiment jamais. « En offrant à toutes les cheffes de France une visibilité désormais nécessaire, j’espère que ce guide contribuera à changer la donne et à aider à assurer la vivacité de la cuisine française, puisque les meilleures équipes sont indéniablement les équipes mixtes », explique-t-elle.
« Lors de l’annonce des nouveaux étoilés Michelin en février 2018, encore une fois, les cheffes passaient à la trappe. Sur les cinquante-sept nouveaux restaurants étoilés de France, seuls deux (Pertinence dans le 7e arrondissement de Paris et L’Essentiel à Deauville) avaient une femme en cuisine : Kwen Liew avec son mari Ryunosuke Naito dans le premier et Mi-Ra Kim Thuillant et son mari Charles Thuillant dans le second ». Et pour bien comprendre la situation, cet ouvrage ponctué de portraits de femmes cheffes au parcours et à la vision passionnantes souligne que, « en 2018, il y avait 621 restaurants étoilés en France, dont moins de vingt avec une cheffe de cuisine ». En comparaison, l’Italie et sa cinquantaine de cheffes étoilées sur trois cent cinquante restaurants primés par le célèbre guide fait figure de très bon élève, respectueux du talent des femmes en gastronomie« .
Vérane Frédiani, réalisatrice du documentaire À la recherche des femmes chefs et auteure de Elles cuisinent (éd. Hachette), et la critique gastronomique Estérelle Payany ont soigneusement sélectionné 500 femmes cheffes qui font la différence dans les cuisines de France dans ce guide dynamique et plaisant, conçu dans un parfait esprit de sororité. Selon ces deux auteures, « il nous semblait que ces femmes méritaient un guide imprimé que nous pourrions physiquement mettre dans les mains des rédacteurs en chef, des organisateurs de festivals, des inspecteurs et votants de prix culinaires ainsi que des politiques qui ne financent pas ce genre d’études ».
Un outil pour rendre visibles ces femmes
« Ces femmes cheffes sont des battantes, des sortes d’héroïnes des temps modernes », observe Vérane Frédiani qui a démarré cette aventure il y a déjà cinq ans. « Elles peuvent être des modèles pour nous toutes et on a cruellement besoin de modèles féminins« . En France, Vérane Frédiani, épaulée par Estérelle Payany, a réalisé un véritable travail de fourmi, écumant tous les guides et les associations de chefs. Un appel sur les réseaux sociaux a même été lancé en février 2018, « Un mois pour sortir du bois », demandant à toutes les cheffes de France de se signaler. Les deux auteures ont au final recensé 550 femmes qui exercent ce métier. En réalité, elles doivent être 700, au maximum. « Notre démarche, c’était de dire: les femmes cheffes sont là. Arrêtez de dire qu’il n’y en a pas. Il y en a plein, et on vous les sert sur un plateau », explique Estérelle Payany. Ce guide est pensé comme un outil pour rendre ces femmes visibles. « L’idée, c’est que ces femmes soient fortes et sûres d’elles », ajoute Vérane Frédiani.
Beaucoup de ces femmes affichent en effet de nombreux points communs. Elles sont souvent hors du milieu et n’ont pas forcément passé les concours. Bien souvent, ces femmes, confrontées à la misogynie persistante de certaines brigades, décident de partir pour créer leur restaurant. Elles sont alors très jeunes, environ 25 ans. Mais au lieu de célébrer ces « entrepreneuses aventurières », souvent, on les regarde d’un mauvais oeil. « Si elles ne sont pas passées par 50 brigades étoilées, elles ne sont peut-être pas si douées que ça », raconte Vérane Frédiani. « Au contraire, c’est leur façon de prendre le taureau par les cornes et d’aller de l’avant parce qu’on ne peut pas passer sa vie à essayer de se faire accepter par une brigade d’hommes, c’est impossible ».
Selon Estérelle Payany, la France paye en réalité le prix de la haute gastronomie en toque blanche. « Elle paye le prix d’avoir autant rigidifié la gastronomie ». En tant que critique gastronomique, elle observe qu’il est encore difficile de nommer ces femmes cheffes. « Personne n’appelle Alain Ducasse Alain, alors qu’Anne-Sophie Pic, on l’appelle Anne-Sophie ». Or, « nommer, c’est faire reconnaître au monde ». N’hésitant pas à citer Merleau-Ponty, elle affirme: « Pour que vous existiez, il faut qu’on vous donne une reconnaissance, il faut qu’on vous nomme ».