Bertrand Grébaut : » Il faut dépenser autant d’énergie à remettre la nature au cœur qu’on en a mis pour la flinguer «
C’était dans le quotidien Le Parisien de ce week-end, le chef Bertrand Grébaut qui se livre rarement dans la presse s’est exprimé sur son engagement pour le Bio et le Local, il explique comment il s’engage dans la création d’une ferme agroécologique inspirée de la permaculture.
EXTRAITS
Le chef de l’établissement parisien aime cuisiner les légumes. Si possible issus de l’agriculture biologique et locale. Mais il déplore le manque de réseau en Ile-de-France.
Bertrand Grébaut est convaincu qu’on peut « changer le monde rien que par notre façon de manger ». Pour cette étoile montante de la cuisine âgée de 37 ans, cela passe par du bio et du local. Et le chef du restaurant parisien Le Septime voudrait que ça aille vite. « On a mis 50 ans à foutre en l’air la nature, lâche-il. On ne va pas encore attendre 30 ans pour comprendre qu’il faut revenir à une agriculture plus durable. Je ne comprends même pas pourquoi les exploitants ne se convertissent pas plus rapidement. »
La reconversion professionnelle, il connaît. Après être passé par une école d’art, il s’établit comme graphiste. « Je m’ennuyais derrière mon ordinateur, se souvient-il. Je voulais une activité plus variée. Je passais beaucoup de temps dans les restaurants, une des choses qui m’intéressait le plus était de savoir ce que j’allais manger. » Nous sommes alors en 2003, il s’inscrit à la prestigieuse école de cuisine Ferrandi.
« À cette époque la cuisine n’était pas encore très populaire, rappelle Bertrand Grébaut. C’est Cyril Lignac qui a lancé le truc avec la première émission culinaire à la télé. » Il décroche son diplôme en 2006, et fait ses premières armes, entre autres, chez Alain Passard, chef trois étoiles à L’Arpège. « Il m’a initié aux légumes, confie Bertrand Grébaut. C’est lui qui m’a appris à les cuisiner et à les aimer. Le travail des protéines animales est assez répétitif. De toute façon, j’évite le bœuf et l’agneau, car ce sont des élevages trop polluants. Et on tourne vite en rond avec la viande, tandis que la diversité des végétaux est sans fin. »
Avant d’officier au Septime, il a occupé la place de chef à l’Agapé, un restaurant du XVIIe arrondissement, et décroche un macaron au guide Michelin dès la première année. À 26 ans, il est alors l’un des plus jeunes chefs étoilés. Il poursuit son ascension avec le Septime. En 2013, un an et demi après l’ouverture de ce restaurant, il est désigné par un jury « 49e meilleure table de la planète », et l’année suivante le guide Michelin décerne une étoile à son établissement. De quoi asseoir sa réputation.
Outre celle de proposer des assiettes « tellement dingues en termes de goût » selon ses clients, Bertrand Grébaut a la réputation d’être un chef engagé pour l’environnement. « L’impact carbone, c’est déjà une affaire de goût, confie-t-il, pragmatique. Moins un légume a vu le froid, meilleur il est. Dans l’auberge que j’ai ouverte dans le Perche, je cuisine des produits qui ont poussé chez un agriculteur à quelques mètres de mes fourneaux. Je n’ai quasiment rien à faire, ils sont extraordinaires. »
Sauf qu’au Septime, il est en plein XIe arrondissement. Difficile donc de s’approvisionner dans un potager voisin. Bertrand Grébaut essaye autant que possible de se fournir auprès d’exploitants franciliens, bio tant qu’à faire. « Mais il y en a très peu. Je n’ai en tous les cas pas le temps de faire le tour des fermes de la région parisienne pour voir qui pourrait me fournir. Et surtout, même si j’en identifiais une dizaine, il n’est pas question qu’ils viennent tous me livrer une fois par semaine au restaurant, parce que le bilan carbone serait déplorable. »
Il s’est donc tourné vers quelques réseaux existants comme Terroirs d’avenir ou l’épicerie le Zingam. Il s’est surtout associé à Julien Cohen pour faire partie du projet de la ferme de l’Envol. Sur 75 ha, une partie de l’ex-base aérienne 217 de Brétigny-sur-Orge (Essonne) va être dédiée à la création d’une ferme agroécologique inspirée de la permaculture. Ce projet est mené par l’association Fermes d’avenir et s’appuie sur cinq premiers porteurs de projet, des maraîchers bio installés depuis plusieurs années sur les terres de l’Essonne, et sept partenaires fondateurs (Akuo Energy, Alancienne, InVivo, Casino, Naturéo et les deux restaurants parisiens Septime et Dans le noir).
« Ce sera une des solutions qui pourrait nous permettre une petite autonomie d’ici 4-5 ans, espère Bertrand Grébaut. On va pouvoir travailler avec des maraîchers depuis le début de la chaîne. En favorisant des semences paysannes et des variétés anciennes. En s’associant aux producteurs, nous luttons aussi contre le gaspillage. Étant complet à tous les services, je sais exactement combien il me faut de petits pois par semaine par exemple. Les exploitants peuvent donc faire des plans de culture très précis, et eux comme nous, les restaurateurs, nous nous y retrouverons financièrement. »
Le chef veut voir ce projet réussir. « Il faut prouver que ce modèle est efficace. Qu’il est duplicable et rentable. Il faut rendre le bio sexy. C’est hallucinant de voir qu’en Ile-de-France, il n’y a pas de grands marchés avec des produits locaux cultivés de façon biologique. » Il sort son smartphone pour montrer des photos de New York. « Une fois par semaine, on trouve une vingtaine de fermes locales qui ont des étals, s’émerveille-t-il. Il faut absolument ça à Paris. Les restaurateurs y viendraient, mais aussi les habitants. Il faut dépenser autant d’énergie à remettre la nature au cœur qu’on en a mis pour la flinguer. »
Le Septime, 80 rue de Charonne à Paris (XIe).