Yannick Alléno : « Oui, en Corée je vise des étoiles Michelin »
Le chef Yannick Alléno a ouvert au mois d’avril dernier STAY une table française à Séoul en Corée du Sud, l’agence de presse Yonhap est allée à la rencontre du chef.
Son restaurant est installé dans la Lotte World Tower à Séoul – STAY by Yannick Alléno – a ouvert au 81e étage dans l’hôtel Signiel Séoul, appartenant au groupe Lotte Hotels & Resorts.
Le chef s’est confié sur ses liens avec la Corée, son projet à Séoul et sa vision de la cuisine locale. Il a présenté ses ambitions pour son dernier restaurant STAY.
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Quand êtes-vous venu pour la première fois en Corée ?
Le premier voyage que j’ai fait en Corée date de deux ans et demi. C’était pour le projet (hôtel) Signiel. En fait, le groupe Lotte est venu nous chercher pour créer une marque d’hôtels de luxe, une marque qu’il veut développer dans le monde entier à partir de Séoul. Ils ont un projet très important derrière cet hôtel puisqu’ils veulent faire un développement assidu là-dessus.
Pouvez-vous raconter comment est né votre projet de restaurant à Séoul ?
Au début, on a échangé sur le projet, écrit l’histoire de la cuisine qu’on voulait faire ici puisque, un hôtel de luxe, c’est d’abord le confort absolu. Ici, je pense qu’on est dans le cinq étoiles plus. C’est joli, c’est sublime, la vue est extraordinaire. C’est un peu la Tour Eiffel de Séoul (en parlant de la Lotte World Tower). Pour nous, c’est formidable d’être ici et de pouvoir avoir une vitrine française, avec les moyens pour faire les choses bien. C’est vraiment une relation extraordinaire que nous avons avec Signiel.
Dans le Groupe Yannick Alléno, il existe trois concepts de restaurants : Alléno (établissements gastronomiques), Terroir Parisien (bistrots) et STAY. Vous avez des restaurants STAY à Paris, Dubaï, Pékin, Taïwan et Séoul. Pouvez-vous nous présenter le concept STAY ?
Les STAY sont des restaurants «casual modernes» qui se veulent décontractés, à des prix abordables, avec une bonne qualité dans l’assiette. Malheureusement, on n’a pas pu être dans le guide Michelin (Séoul) parce que c’était trop tôt pour nous (STAY Séoul a ouvert en avril dernier) et le guide n’a pas jugé bon de nous inscrire, à juste titre d’ailleurs car il faut que les choses s’installent. On est en train de former plus de 90 chefs coréens (Alléno est également directeur nourriture et boissons de l’hôtel). Il y a donc toute cette machine à mettre en place. Il y a une éducation et une compréhension commune à faire pour que les choses se passent d’une façon fluide. Je suis content de cette opération. Nous avons une équipe formidable. Ils sont tous très enthousiastes, très attentifs, très coopératifs. Nous prenons beaucoup de plaisir à travailler avec les Coréens. Je suis très fier d’avoir été choisi pour planter un petit drapeau français ici.
Vous êtes la star de la cuisine française dans le monde. Avez-vous une stratégie particulière pour la Corée ?
Non, pas vraiment. Ma stratégie, comme toujours, c’est de faire bien les choses, d’être très attentif à nos clients et d’essayer de leur donner un maximum de service, de qualité d’attention pour qu’ils soient heureux chez nous et qu’ils aient envie de revenir. C’est vrai, le «fine dining» est toujours quelque chose de compliqué. Les gens ont toujours une certaine image particulière de la France en disant que c’est parfois une cuisine inaccessible. On essaie donc de briser ces codes pour donner l’envie aux gens de venir nous voir, pour fêter un anniversaire par exemple. Le restaurant reste un endroit assez unique, une parenthèse de vie, et cela est universel. Donc, ma stratégie est pareille partout. Quand on a un client qui a la gentillesse de venir nous voir, il faut se montrer très digne, très attentif et très dévoué, parce que ce n’est pas un acte anodin quand un client vient vous voir.
Quel est votre définition de la haute gastronomie ?
Il y a une expression que j’aime bien, c’est la «fine cuisine». La gastronomie et le «fine dining» sont des choses auxquelles je tiens beaucoup dans une époque où tout va très vite, où il n’y a pas grand-chose de régenté. Je crois que la gastronomie, c’est une éducation. C’est un art vivant. On s’éduque à la gastronomie comme on s’éduque à l’art contemporain, à la musique ou au vin. C’est un long chemin de compréhension de l’élément, du rapport que l’homme peut avoir avec la nature. Finalement, un cuisinier ne fait que transformer ce que la nature est capable de lui donner. Il ne faut pas l’oublier. Sans cette générosité de la planète, on n’est pas grand-chose. C’est pour cela qu’il faut la protéger.
Selon vous, quels éléments sont nécessaires pour qu’un restaurant devienne exceptionnel ?
Beaucoup de travail et beaucoup d’humilité. Je me suis senti cuisinier à 40 ans alors que j’ai commencé à 15 ans. C’est un long process. Par exemple, Lee Ufan (peintre et sculpteur sud-coréen), qui est un de mes copains (et qui a 81 ans), a sorti un jour une œuvre monumentale avec un seul coup de pinceau. Il lui fallu attendre 80 ans pour produire cette œuvre d’art. La cuisine, c’est ça aussi. A un moment précis de votre vie, vous allez sortir le geste qui va faire que vous entrez dans une sorte de chose impalpable. La gastronomie, c’est aller chercher l’ultime.
Revenez-vous souvent pour travailler dans les cuisines de STAY Séoul ? Et comment pouvez-vous garantir la qualité des plats servis lorsque vous n’êtes pas là ?
Je viens quatre fois par an pour changer les cartes. En général, je reste quatre ou cinq jours (à chaque fois). Pour la qualité, j’ai ici des hommes extrêmement talentueux : le chef de cuisine Elie Fischmann, sa femme qui est sous-chef et Justin avec qui on travaille depuis quatre ans. On a une équipe sensationnelle.
Comment est-ce de travailler avec les Coréens ? Quelles difficultés rencontrez-vous ?
J’ai des difficultés dans la communication bien évidemment. Peu de cuisiniers parlent anglais ou français. Autrement, nous apprenenons beaucoup d’eux comme eux apprennent de nous. Rien n’est figé. Il y a un échange formidable. De mon côté, j’adore apprendre. Il y a plein de choses que je ne savais pas et encore plein d’autres que je vais découvrir avec eux. Ils me montrent plein de choses. Je rêve que, un jour, ils puissent venir à la maison-mère (Alléno Paris).
Connaissiez-vous la Corée avant d’ouvrir votre restaurant séoulien ?
Très honnêtement non. Ma première approche avec la Corée a été par Lee Ufan. Son galeriste est un de mes amis d’enfance. Il s’appelle Kamel Mennour. Grâce à Kamel, je rencontre beaucoup d’artistes. Un jour, j’ai invité Lee Ufan et je lui ai fait un canard cuit en croûte de sucre, en trois services, et j’ai imaginé faire un «bibimbap» (riz aux légumes et à la viande assaisonné d’huile de sésame et de pâte de piment). J’en ai fait un et il m’a dit «ça, ce n’est pas un bibimbap». Le lendemain, il m’a montré en cuisine comment faire un bibimbap. Cela a été ma première approche avec un plat coréen et ça m’a passionné car c’est complexe et malin. Le bibimbap est pour moi le symbole de ce que toute la cuisine doit contenir : de l’aspérité, de la chaleur, du froid, du sel, du croquant… C’est génial !
Qu’appréciez-vous dans la cuisine coréenne ? Quels sont ses points forts ?
C’est une cuisine qui est relativement affranchie. La fermentation est un sujet qui m’intéresse beaucoup parce que l’être humain est devenu ce qu’il est grâce à la fermentation. C’est l’histoire humaine. On est tous devenu ce qu’on est grâce à la fermentation parce qu’on était des cueilleurs et on ne pouvait pas manger de viande. L’intestin ne pouvait pas l’accueillir. Mais, au fur et à mesure de l’évolution humaine, on est devenu chasseurs. C’est grâce à la fermentation qu’on a pu manger de la viande, qu’on a pu avoir la capacité de manger de la protéine animale. Un cerveau et des muscles se sont ensuite développés. Donc, la fermentation est à l’origine humaine. Ici, j’ai retrouvé des réflexes qu’on avait perdu dans les pays surdéveloppés. La Corée est un pays développé mais elle a su garder, comme le Japon, des rites très forts. Nous (les Occidentaux) sommes partis dans un hygiénisme absolu, la pertisation et la congélation alors que la fermentation est un moyen écologique important pour conserver les aliments. On est en train de revenir là-dessus, grâce à la Corée d’ailleurs.
Avez-vous déjà incorporé des spécialités ou techniques culinaires coréennes dans vos plats ?
Oui, le kimchi. C’est un peu trop épicé pour le goût français. On a utilisé la même technique de fermentation mais en réduisant beaucoup le côté épicé. Le bibimbap, je l’ai servi dans mon restaurant gastronomique trois étoiles. Je l’avais appelé «plat en hommage à Lee Ufan» et l’accueil clientèle avait été extraordinaire !
A votre avis, comment la gastronomie coréenne pourra-t-elle se faire une plus grand place sur la scène gastronomique internationale ?
Je pense grâce au Michelin. C’est un pays qui est en train de s’ouvrir. Il faut se souvenir que, il y a 40 ans, les Coréens n’avaient même pas de passeport. La France à la chance d’être au centre de l’Europe. La cuisine française est riche des incidences étrangères. C’est pour ça qu’on a une telle diversité. Et la Corée est en train d’écrire sa propre histoire avec des chefs extrêmement talentueux comme les deux chefs trois étoiles (Kim Byeong-jin de Gaon et Kim Seong-il de La Yeon), qui sont formidables et qui vont à l’étranger pour montrer ce qu’ils savent faire. C’est important de montrer au monde sa façon de cuisiner.
Et concernant l’avenir la cuisine coréenne ?
Le fait de voir la lumière tel que le guide Michelin peut mettre sur les hommes de talent fera naître des vocations. Des jeunes auront envie de faire grand chef. C’est grâce à des événements comme celui d’aujourd’hui que des jeunes rêveront d’être reconnus à travers leur faculté de faire de la cuisine. Je prédis un bel avenir de la cuisine coréenne évidemment.
Visez-vous des étoiles au guide Michelin Séoul 2019 ?
Oui, je vise des étoiles (Michael Ellis, directeur international des guides Michelin, est présent à l’entretien). Quand j’ai commencé ce métier, j’avais un guide Michelin devant le pass au Meurice (il a été chef de partie à l’hôtel Le Meurice à Paris en 1992). Je nouais mes chaussures le matin et, tous les matins, je me disais que, un jour, j’aurai trois étoiles au guide Michelin. Cela a été mon moteur pendant toute ma carrière.