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F&S a interviewé Mauro Colagreco, nouveau trois étoiles 2019 : « cette triple distinction réaffirme les valeurs de la France »

03 février 2019  0  Chefs & Actualités
 

signature-food-and-sens Arrivé en France à 23 ans, puis à Menton à 29 ans, où il a repris le restaurant Mirazur, l’Argentin Mauro Colagreco s’est taillé en deux décennies un parcours des plus flamboyants. Premier chef étranger à recevoir en France trois étoiles Michelin, il dispose d’ores et déjà d’une reconnaissance bien assise, aussi bien en France qu’à l’étranger (il a été classé troisième du World’s 50 Best Restaurants 2018, et a été juge de l’émission Top Chef Italie 2018. Mauro Colagreco a également effectué du consulting à l’étranger, en Argentine notamment). Food&Sens l’a joint par téléphone, au lendemain de son triple sacre, pour un échange à bâtons rompus. À découvrir ci-dessous !  

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Lors de la cérémonie du Michelin 2019, Mauro Colagreco est porté en triomphe par Gérald Passedat, Emmanuel Renaud et Alain Ducasse

F&S : Bonjour Mauro Colagreco ; félicitations, tout d’abord ! Alors, ces trois étoiles, qu’est-ce que ça fait ?

Mauro Colagreco : On est tellement contents… C’est énormément d’émotion, c’est beaucoup de choses qui repassent devant nous au moment où on apprend qu’on a la troisième étoile ; beaucoup de souvenirs de nos débuts qui reviennent… Heureusement, on est chanceux que le restaurant soit fermé actuellement ; cela nous permet de digérer le choc, d’assimiler la nouvelle ! (Rires). Et de bien nous préparer avant la réouverture, qui aura lieu début mars.

F&S : Du point de vue émotionnel, est-ce plus fort de recevoir une première étoile, une deuxième étoile, ou une troisième étoile ?

M.C. : La première et la seconde étoiles étaient déjà des moments très forts ; mais là, c’est encore plus intense avec la troisième. La troisième étoile, c’est la consécration de toute une carrière ; c’est arriver vraiment au summum… Ceci dit, on ne travaille pas pour les étoiles, mais pour les clients, et pour se faire plaisir aussi. Quoi qu’il en soit, c’est une grande satisfaction d’être reconnu par ce guide, qui est la grande référence gastronomique. C’est très fort… Je me souviens, quand je suis arrivé en France, j’avais en tête quelques noms de chefs triplement étoilés ; ils étaient mes idoles. À cette époque, jamais je n’aurais rêvé être là où je suis aujourd’hui… Cette troisième étoile, c’est bien pour les équipes ; c’est réconfortant pour soi aussi ; non pas pour se croire mieux, mais pour voir que le travail de toutes ces années a payé. Ça confirme qu’on ne s’était pas trompé, que depuis tout ce temps on était dans le bon chemin, et qu’on a bien fait de tenir bon, et de croire en ce qu’on faisait. D’autant que notre cuisine est vraiment différente, avec une forte personnalité ; tout le monde n’y adhère pas. Avec la troisième étoile, on se sent validés dans ce que l’on fait, et ça nous donne encore plus envie d’aller de l’avant.

© A.Lanneretonne

F&S : Le fait d’être le seul (et le premier) chef étranger en activité en France à être ainsi consacré par trois étoiles Michelin, ça fait quoi ? Et surtout, qu’est-ce que ça veut dire du Michelin, de la direction que prend le guide ?

M.C. :  J’espère qu’on sera plus nombreux ; mais c’est vrai que ça va rester historique ! Cette triple distinction que j’ai reçue, ça marque un espoir pour les autres chefs étrangers ; et ça réaffirme les valeurs de liberté de la France, un pays dans lequel on peut vraiment réussir, même en étant quelqu’un qui a commencé tout seul, ne connaissant personne, et sans grosse fortune derrière lui pour le soutenir. Voilà qui peut donner de la motivation à des jeunes qui veulent se lancer. En voyant ça, ils comprennent que c’est possible. Il faut la volonté, la force, la passion et l’amour pour ce qu’on fait, ainsi que du respect envers les autres ; et avec tout ça, on peut y arriver. Ah, et il faut un peu de chance aussi ; il faut être là au moment où il faut être. C’est la chance du champion, comme dirait mon père. (Rires).  

F&S : Vous êtes le fruit d’un joli melting-pot (vous êtes Argentin, aux origines italiennes, vivant en France) ; est-ce que ces origines multiples influencent, d’une manière ou d’une autre, votre cuisine ?  

M.C. : Bien sûr, oui. Pour comprendre ça, il faut comprendre l’histoire du restaurant, le Mirazur, ainsi que ma propre histoire au Mirazur. Ce restaurant est situé à 50 mètres de la frontière italienne ; il est donc installé entre deux grosses cultures gastronomiques. Et en même temps, c’est un restaurant qui s’inscrit dans une géographique des frontières très brutale, entre les Alpes et la Méditerranée. Il s’agit là d’un contexte à la fois riche et difficile. Je me suis installé et ai ouvert le restaurant en trois mois. C’était la première fois que j’allais sur la Côte d’Azur ; à cette époque, le restaurant était fermé depuis presque 4 ans. Reprendre l’affaire était une belle opportunité ; je me suis lancé, jeune et un peu inconscient de ce que c’est que d’ouvrir un restaurant, qui plus est dans une ville où je ne connaissais personne, et dans une région que je découvrais. Ça a été très difficile ; mais le fait de ne pas être dans ma zone de confort, et d’être installé dans un endroit méconnu, ça m’a permis de développer une cuisine totalement libre. C’est une cuisine méditerranéenne, qui parle du terroir, mais selon une vision vierge du lieu. J’ai gardé cette vision longtemps, et je l’ai encore aujourd’hui, car je continue toujours de découvrir ce terroir. Si, au moment où j’ai repris Mirazur, je connaissais déjà ce terroir, j’aurais sans doute été moins surpris, et donc plus coincé ou structuré dans mon approche. C’est ce côté multiculturel qui m’a permis d’être vraiment libre dans mes créations.

Le jardin potager du chef Mauro à Menton

F&S : Avant de vous installer à votre compte, vous avez notamment travaillé pour Alain Ducasse, au Plaza Athénée ; qu’avez-vous appris auprès de lui ?

M.C. : En effet, j’ai eu la chance de travailler avec de très grands chefs, dont Alain Ducasse. C’était ma première expérience dans un palace. Auprès de lui, j’ai appris la rigueur, le fait d’avoir une démarche personnelle tendant vers la perfection. Sa cuisine était ultra-maîtrisée. Ensuite, j’ai eu la chance de travailler avec Bernard Loiseau, Alain Passard et Guy Martin. Tous les quatre sont des chefs extraordinaires, chacun avec une approche différente de la cuisine. Concernant Bernard Loiseau, je travaillais pour lui lorsque le drame est arrivé… Cet épisode tragique m’a beaucoup marqué… Il m’a aussi permis d’avoir une vraie réflexion sur le pourquoi de notre métier, sur les vraies raisons pour lesquelles on le fait. Quant à Bernard Loiseau, son travail sur les sauces était extraordinaire. À l’époque, c’était totalement avant-gardiste. C’est à cette époque que j’ai commencé à me plonger dans la cuisine française plus classique ; mes premières Pithiviers, je les ai faites chez lui. J’y apprenais chaque jour de nouvelles choses ; c’était extraordinaire. Suite à son décès, je suis parti à Paris, et j’ai eu la chance d’entrer à l’Arpège, le restaurant d’Alain Passard, où la cuisine était totalement différente. En plus, lorsque j’y suis entré, cela faisait deux ans qu’Alain Passard avait arrêté de cuire des viandes ; l’ambiance était totalement euphorique du fait de ce changement, on ne faisait que des légumes. Puis j’ai rejoint Ducasse ; et enfin, Guy Marchand au Grand Véfour. Là, j’ai découvert une cuisine très personnelle, différente, très goûteuse. Guy Marchand est celui qui m’a fait confiance, qui m’a donné confiance en moi.

Mauro Colagreco au marché

F&S : L’année 2018-2019 a été celle de votre consécration : vous avez reçu les trois étoiles Michelin, et avez remporté la troisième place du classement 50 Best 2018. En plus de cela, vous aviez déjà récolté auparavant de jolies récompenses (vous avez été nommé Cuisinier de l’année par le Gault&Millau 2009, fait chevalier des Arts et des Lettres en 2012, et décoré de l’ordre du Mérite en 2017). Avec tout ça, que peut-on encore vous souhaiter ?

M.C. : Je suis très heureux de toutes ces récompenses, c’est extraordinaire. C’est toujours gratifiant d’être reconnu. Mais comme je l’ai dit, suite au décès de Monsieur Loiseau, je me suis promis de ne jamais travailler dans une démarche de reconnaissances et d’étoiles. Je travaille pour faire plaisir aux clients, et pour me faire plaisir. Donc le mieux qu’on puisse me souhaiter, c’est de continuer à prendre du plaisir dans mon métier, et de continuer à pouvoir vivre de ce que je fais. Et de réaliser des projets dont j’ai envie, qui sont rendus possibles par toute cette reconnaissance et cette visibilité. Après, les classements, les reconnaissances, ça sert beaucoup pour les affaires, mais comme je dis toujours, comment comparer la cuisine d’Alain Passard à celle de Pierre Gagnaire, par exemple ? Peut-on vraiment dire que l’une est meilleure que l’autre ? Non ! Elles sont différentes.

Propos recueillis par Anastasia Chelini

 

Betterave et sauce caviar Osciètre. @lopezdezubiria


Huître au poire. @Eduardo Torres


Naranjo en flor. @Eduardo Torres


Tartelette d’Amanite de César. @lopezdezubiria

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