Taïwan – affirmer sa cuisine, c’est conforter sa différence avec la Chine

12 août 2023  0  F&S LIVE
 
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Taiwan – craignant une invasion par la Chine, l’île de Taïwan tant a affirmer son identité et sa différence avec son impressionnant voisin, mais l’île et la population résistent comme ils peuvent à cette uniformisation qui ferait perdre ses particularités à son territoire… et la cuisine à son mot à dire !

Article du magazine GEO transmis par un des internautes de F&S

Les tensions entre la Chine et Taïwan ont atteint un niveau rarement égalé ces dernières années, poussant l’île à se mobiliser, que ce soit pour sa défense ou dans ses cuisines.

Menacée par la République Populaire de Chine qui la considère comme une part intégrante de son territoire, l’île de Taïwan tente depuis plusieurs années de maintenir un équilibre précaire dans ses relations avec le continent.

La « République de Chine », qui dirige l’île, maintient une indépendance de fait qui n’est jamais expressément mentionnée, alors que la population se différencie peu à peu de la culture chinoise. C’est le cas des restaurants et chefs de Taïwan, qui construisent un patrimoine culinaire de plus en plus développé et divergent des coutumes chinoises.

Une histoire complexe faite de plusieurs occupations

Selon l’Université Nationale de Chengchi citée par nos confrères du New York Times, plus de 60 % de la population s’identifie comme Taïwanais, contre environ 30 % de Chinois et Taïwanais à la fois, et 2,5 % de Chinois.

Une identité taïwanaise qui peut cependant paraître complexe à définir : peuplée par des Austronésiens, l’île est colonisée par les Pays-Bas puis par l’empire Qing. Elle est ensuite conquise par le Japon puis rattachée après la Seconde Guerre mondiale à la République de Chine, dirigée par Tchang Kaï-chek.

Mais la guerre civile chinoise voit ce gouvernement se réfugier sur l’île, tandis que la République Populaire de Chine s’approprie le reste du pays. Cette dernière considère la province comme une part sécessionniste de son territoire et désire la réintégrer à terme, une volonté mise en avant de manière exacerbée depuis la prise de pouvoir de Xi Jinping.

La séparation de la Chine communiste ne marque cependant pas la fin de l’identité chinoise de l’île. Le Kuomintang au pouvoir a durement réprimé pendant plusieurs décennies les élites taïwanaises et revendique le contrôle de toute la Chine dans ses frontières de l’empire Qing, Mongolie et région du Tuva comprise. Ce passé liant le pays à la Chine communiste explique l’ambivalence concernant l’identité de Taïwan : peuplée à 95 % par l’ethnie han, dominante en Chine, l’île a cependant été fréquemment séparée du continent.

Une cuisine insulaire qui renaît

Mais la cuisine de l’île, de plus en plus reconnue à l’étranger, constitue un des nouveaux piliers de l’identité taïwanaise. L’ascension de la cuisine de l’île a été longue : considérée comme une particularité régionale de faible prestige, la cuisine taïwanaise prend de l’ampleur après la fin de la loi martiale en 1987, avec des recettes comme les nouilles à l’anguille ou la mangue taïwanaise. Des snacks taïwanais sont servis lors de banquets présidentiels dans les années 2000, tandis que la cuisine des groupes minoritaires est mise en avant avec l’imposition progressive de la démocratie.

Ian Lee, qui gère le restaurant HoSu de Taïpei, juge que la cuisine peut augmenter les chances de résistance taïwanaise face à la Chine. Son restaurant propose par exemple une recette de poisson grillée venant du peuple Atayal, tout en servant des plats appréciés en Chine comme à Taïwan tels que la soupe de nouilles de riz Dingbiancuo.

Ces choix de plat illustrent justement le problème de la cuisine du pays : qu’est-ce qui distingue la gastronomie taïwanaise ? Les restaurants du pays s’inspirent de recettes des populations indigènes comme des populations arrivées plus tardivement sur l’île, tout en reprenant des plats issus de l’ère coloniale.

La soupe de miso, un vestige de l’occupation japonaise, est par exemple toujours consommée avec des nouilles froides ou des boulettes de viande, un mélange qui n’est pas répandu au Japon. Des plats typiquement chinois, comme le très épicé mapo tofu, sont également consommés, sans qu’ils ne soient considérés comme étrangers.

La synthèse culinaire des cultures

« La réinterprétation crée de nouveaux plats intégrants à la cuisine taïwanaise », explique Ching-yi Chen, une critique culinaire à Taïpei interrogée par le New York Times. Une cuisine basée sur l’héritage qui rend cependant ambivalent la position de l’île par rapport à son histoire chinoise.

Le mandarin est toujours dominant, bien que le dialecte taïwanais gagne de l’importance, alors qu’on peut manger de la cuisine traditionnelle du Sichuan dans tout Taïpei. Mais cet héritage chinois définit justement une identité taïwanaise perçue comme inclusive : l’île est une démocratie, la première d’Asie à reconnaître le mariage pour tous, et accepte son histoire.

Ces le cas du Mountain and Sea House, un restaurant de luxe ouvert en 2014, qui reprend les recettes taïwanaises viennent d’un siècle. « Nous devons aider les personnes à s’identifier à se payer pour faire émerger une identité nationale », explique de son côté Ian Lee.

Et cet art culinaire taïwanais est d’autant plus important à cultiver alors que la situation alimentaire mondiale se dégrade et que la Chine renforce ses positions en prévision d’une hypothétique invasion. Le régime communiste a mis de côté des réserves de blé pour 18 mois, sans parler d’autres aliments, tandis que le gouvernement a diffusé pour le 96ème anniversaire de son armée un documentaire mettant en avant la volonté de ses soldats de se sacrifier pour la réunification.

Face à la possibilité d’une invasion, il semble donc autant nécessaire pour Taïpei de se préparer militairement que de mettre en avant ses particularités qui en font un État distinct de la Chine, y compris dans les assiettes.

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