Paris, avril 2018. En cet après-midi béni par un printemps affirmé, la rue de Rivoli héberge un soleil dense. Parallèlement au jardin éponyme, se tient l’élégant Meurice, palace parisien du groupe Dorchester, où Alain Ducasse mène l’une de ses tables. Mes pas me conduisent vers les salons du Dali, autre restaurant du lieu, dont le décor signé Philippe Starck est propice au cérémonial du tea time. Dans cette salle spacieuse et grand siècle, dont les contours carrés encadrent des colonnes, l’heure est à la grandiloquence. L’espace est large, l’apparat de rigueur, et le plafond, coiffé d’une tenture/tableau qui rappelle les intérieurs d’un château dix-septième siècle.
Si le décor est avenant, le tea time l’est tout autant. Sur un plateau aux lignes pures, se bouscule une généreuse kyrielle de douceurs. On commencera, tradition anglaise oblige, par les finger sandwichs. Je l’avoue : pour ma part, je me presse d’en finir avec eux, car les desserts sont l’embellie vers laquelle je tends. Scones tendrement chauds, muffins alléchants, divins cookies (les meilleurs que j’ai mangés depuis un très long moment), tartes coco surmontées d’une arabesque crémeuse qui appelle aussi bien à la contemplation qu’à la dégustation… Rien à faire : niveau visuel, c’est entêtant comme un rêve. Les parfums y sont aussi, et les goûts suivent. Cerise sur le gâteau : l’étonnant « Citron Rouge », l’un de ces fameux fruits trompe l’œil qui ont fait la réputation de Cédric Grolet.
Le nec plus ultra de ce tea time ? La venue d’une commis tout droit issue des cuisines, qui passe de table en table les bras chargés de plateaux, sur lesquels brioches ou chouquettes se côtoient. Rien de tel pour infuser une touche d’authenticité au moment ; d’autant que le tea time est un exercice délicat, car comment être original dans un rituel consacré, mille fois rejoué de part et d’autre du globe, et dont les codes immuables sont difficilement malléables ? Nous avons là une réponse qui fonctionne. La jeune femme et ses desserts apportent ce raccord au réel tout en simplicité, dans un lieu qui par ailleurs se fait le chantre d’un décorum assumé.
Un premier événement viendra illuminer par hasard ce tea time déjà bien parti. Surgit soudain, et selon une décontraction exemplaire, la chef Hélène Darroze, solaire comme à son habitude, simple à l’extrême, porteuse d’un bon sourire qui illumine toute la pièce. Elle est venue fêter ce qui semble être un anniversaire. Sa présence (inespérée) donne lieu à un second événement, que toute la salle accueille avec un murmure de contentement : Cédric Grolet en personne déboule de ses cuisines, et s’en vient chaleureusement saluer Hélène Darroze. Il apporte à sa table un gâteau nimbé de bougies.
Après le tea time, je pars visiter la boutique de Cédric Grolet. J’y découvre un espace ténu, épuré à dessein, et dont le sol est serti d’un marbre profond. La jeune équipe assurant la vente me parle du quotidien de ce nouveau spot ; qui ce jour-là, a fermé à 17h30, une fois la dernière pâtisserie vendue. Ainsi est l’esprit du lieu : point de production à la chaîne, tout au contraire. Tout est fait le matin même, en quantité limitée, pour respecter une qualité intacte. Le concept est celui de l’excellence, pas celui du nombre. « L’autre jour, on a carrément fermé à 16h30 », me glisse l’une des jeunes femmes. Tout avait été vendu.
Benjamin, le directeur de la boutique, souligne le côté novateur du concept, encore tout frais en Europe : fermer dès la dernière pièce vendue. Un modo di fare qui a d’abord décontenancé quelque peu les clients du coin, habitués au système du service continu, selon des horaires fixes (et larges). Mais le fait de voir les pâtissiers en action, en train de confectionner devant les clients leur dessert, et de pouvoir échanger avec eux, voilà qui a définitivement emporté le morceau. « Cette boutique, c’est un atelier. Un lieu de fabrication en direct. En parlant avec les pâtissiers, on cesse d’être dans un achat banal ; on bascule dans une expérience, dans le partage. »
Et puis, les clients peuvent goûter les matières premières constitutives du gâteau qui leur plaît, afin de s’en faire une idée à l’avance. On leur explique les provenances des ingrédients, on les guide ; tout comme dans un atelier didactique, donc. Au final, ici la pâtisserie est devenue un objet d’art, ou presque ; un élément luxueux que l’on acquiert comme une quête. Bref, une vision en soi.