F&S : Récemment, la presse a beaucoup parlé de vous suite à l’ajournement de votre demande de résidence par l’administration anglaise. Où en sont les choses aujourd’hui ?
Claude Bosi : Ça y est, tout est réglé ; j’ai obtenu le permis de séjour à vie. En fait, c’était juste un problème administratif ; il manquait un papier à mon dossier. Mais j’avoue que sur le moment, ça a été un peu difficile quand j’ai reçu cette lettre de refus… Ceci dit, je n’ai quand même pas craint qu’on me mette dehors pour de bon ; je suis marié à une Anglaise, avec qui j’ai trois enfants, et j’habite en Angleterre depuis 23 ans ; ce n’est pas comme s’il y avait eu un vrai risque que ma demande soit durablement rejetée. Mais ça m’a fait tout de même bizarre, cette lettre ; voir que ma demande avait été rejetée pour un papier manquant… Ce qui m’a surtout gêné, c’est de me dire qu’il y a sans doute d’autres personnes qui se trouvent dans des situations similaires, mais qui ne sont pas connues, et qui ne peuvent pas faire bouger les choses grâce à l’attention médiatique. Moi-même, si je n’avais pas été une personne connue, j’en serais sûrement encore à me demander comment faire pour obtenir la résidence permanente…
F&S : De manière générale, le Brexit a-t-il déjà enclenché des retombées négatives sur votre restaurant ? Soit parce que les prix d’importation des denrées ont augmenté, soit parce qu’il y a moins de clients ?
C.B. : Pour commencer, on a beaucoup moins de personnel étranger depuis l’annonce du Brexit. Pour rappel, 85% des gens qui travaillent dans l’industrie de la restauration à Londres sont des étrangers, comme moi. Donc forcément, quand les étrangers ne viennent plus travailler à Londres, ça se ressent. Un autre inconvénient observé concerne cette fois les prix, qui ont augmenté – avant même la mise en place effective du Brexit, d’ailleurs. Le problème, c’est que de notre côté, nous ne pouvons pas augmenter nos tarifs ; cela ferait trop cher pour les clients, qui finiraient par ne plus venir. C’est donc à nous à nous réorganiser. Du coup, on continue à travailler la même qualité de produits, mais on ne travaille plus les meilleurs morceaux. Au lieu de travailler du turbot par exemple, on travaillera du barbu. Au fond, ce n’est pas si gênant ; notre métier consiste à s’adapter, alors on s’adapte. On n’a pas le choix, de toute façon…
F&S : La sortie du Michelin France 2020 a eu lieu il y a quelques semaines, entraînant dans son sillage les habituels débats autour de l’influence effective du guide rouge (est-il toujours aussi influent, est-il moins influent qu’avant, etc). Du côté de l’Angleterre et des chefs locaux, comment le Michelin est-il perçu ?
C.B. : Ces dernières années, c’est vrai que les chefs anglais se demandent un peu pourquoi l’Angleterre met si longtemps à être reconnue par le Michelin, alors que d’autres pays européens avancent, comme l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, la Suisse… Pour moi qui suis Français, le Michelin fait partie de mes racines ; c’est vraiment quelque chose de très important pour moi. Si j’en suis là où j’en suis maintenant, c’est par rapport à ce guide, à la reconnaissance qu’il m’a apportée, et qui a entraîné le suivi clients. Ceci dit, c’est bien que le guide vive avec son temps, qu’il s’adapte, qu’il prenne en compte les attentes des lecteurs. En revanche, dire que le Michelin est moins important qu’avant, je ne pense pas que ce soit vrai. Dans notre métier, le Michelin reste le premier guide de référence ; on ne peut pas lui retirer ça. Et puis, si ce n’était pas le cas, il n’existerait pas depuis plus de cent ans…
F&S : Vous qui avez repris la Michelin House à Londres, vous sentez-vous de ce fait d’autant plus lié au guide rouge ? Avez-vous le sentiment d’être dépositaire d’un héritage ?
C.B. : Quand j’ai repris la Michelin House, je voulais justement m’éloigner de cette pression. J’ai repris ce lieu parce que j’ai toujours adoré ce restaurant, l’immeuble ; au premier étage notamment, c’est vraiment magnifique ; la salle est inondée de lumière, l’endroit est unique. Je m’y sens chez moi ; j’y passe 18 heures par jour, sans voir le temps passer. Ceci dit, ce n’est pas parce que je suis dans l’ancien bâtiment Michelin que je me dois d’avoir une étoile Michelin. D’ailleurs, à l’époque où le Michelin tenait les lieux, le restaurant n’a jamais eu d’étoile. En ce qui me concerne, j’ai récupéré deux étoiles rapidement, parce que j’avais déjà deux étoiles dans mon restaurant précédent, le Hibiscus. Maintenant, est-ce que j’aimerais obtenir trois étoiles dans l’immeuble Michelin ? Oui, bien sûr ; ce serait magnifique. Mais l’essentiel, c’est que nos clients reviennent. Les gens ont toujours aimé l’immeuble ; il a une aura magnifique.
F&S : Depuis 23 ans que vous vivez en Angleterre, vous êtes devenu proche des top chefs locaux, comme Monica Galetti, Jason Atherton, Heston Blumenthal, Tom Kerridge…
C.B. : Tout-à-fait. Quand on se retrouve, on parle du métier ; on échange sur la façon dont le business évolue, comment s’adapter, les questions liées au personnel, le “day to day running”, ce qui se passe sur Londres. Notre génération de chefs est assez proche ; c’est bien. On est tous bien copains, solidaires. C’est comme ça qu’on fait avancer les choses.
F&S : Vous connaissez également la famille Roux, installée à Londres depuis trois générations, qui tient Le Gavroche depuis 50 ans (ce fut le premier restaurant trois étoiles de Londres, NDLR).
C.B. : J’ai beaucoup de respect pour cette famille, et pour tout ce qu’elle a fait pour la gastronomie en Angleterre. Leur restaurant Le Gavroche est là depuis 50 ans, c’est vraiment une preuve de réussite. Avant même de parler d’étoiles, ce devrait être le rêve de tout chef que son restaurant soit encore là cinquante ans plus tard. Les Roux ont vraiment marqué l’Angleterre ; et puis, ils sont très proches du métier. En ce qui me concerne, depuis le jour où je suis arrivé en Angleterre, ils ont toujours été très gentils avec moi.
F&S : Il y a un certain nombre de chefs français qui réussissent à Londres ; vous bien sûr, les Roux, Hélène Darroze, Anne-Sophie Pic, Alain Ducasse, Pierre Gagnaire…
C.B. : À mon avis, les Français qui réussissent ici sont ceux qui font preuve d’ouverture d’esprit. Pour réussir à Londres, il faut un état d’esprit différent. Anne-Sophie Pic, Pierre Gagnaire, Hélène Darroze, ce sont des gens qui voyagent énormément, et qui ont donc l’esprit ouvert. Ils savent s’adapter, et c’est pour ça qu’ils réussissent. Ce sont des gens qui sont venus sans dire « je suis Français, je sais mieux que vous la cuisine, je vais vous montrer » ; au contraire, ils savent s’adapter au pays, à la clientèle, au marché. Ils ont la modernité dans la tête. Ils savent qu’en France, c’est bien, mais qu’ailleurs c’est bien aussi. Peut-être que parfois, du côté de la presse anglaise, il y a un peu de réticence à parler des chefs étrangers installés ici ; peut-être qu’elle les met moins en avant. Et c’est sans doute normal, d’ailleurs, de soutenir d’abord les chefs locaux. Mais ces chefs étrangers sont toujours là. Regardez par exemple Monsieur Gagnaire ; quand il a ouvert Sketch, il a reçu parmi les plus mauvais articles ; le restaurant était notamment critiqué pour ses prix très élevés. Aujourd’hui, vingt ans après, non seulement il est toujours là, mais il a obtenu sa troisième étoile, et le Sketch tourne très bien. Le créateur de Sketch, Mourad Mazouz, a fait un endroit exceptionnel. Je leur dis bravo.
F&S : Selon vous, quelle est la particularité de la scène gastronomique londonienne ?
C.B. : La diversité de son offre. Ici, on peut manger de tout, n’importe quand, et de très bonne qualité. En Angleterre, les gens n’ont pas vraiment de racines culinaires fixes ; ils ont l’esprit ouvert, et sont très curieux vis-à-vis de la nouveauté. C’est bien, car ça nous donne la possibilité d’essayer de nouvelles choses. Du même coup, la difficulté de Londres réside dans le fait que rien n’est acquis.
F&S : En Angleterre, il y a beaucoup de vegans, de végétariens, de gluten free et autres dairy free. Incluez-vous ces régimes alimentaires à vos menus ?
C.B. : Oui, on s’y est mis. Vous savez, on est dans un métier d’hospitalité, ce qui suppose de s’adapter ; de plus, il y a énormément de restaurants qui ouvrent et qui ferment tous les jours ; si on ne s’adapte pas, on meurt. Au Bibendum donc, les végétariens ne sont pas un souci, on a toujours une offre au menu. Pour ce qui est des vegans, on peut s’organiser, à condition qu’ils nous préviennent à l’avance. C’est la seule chose que je demande : qu’ils nous préviennent en amont. S’ils ne préviennent pas, je leur fais trois plats, entrée-plat-dessert, plutôt qu’un menu dégustation improvisé, qui ne sera pas au niveau du restaurant. Donc voilà, il faut s’adapter. Chaque fois qu’on crée une nouvelle recette, on se demande toujours si on pourra la travailler selon des options végétarienne et/ou vegan. Ceci dit, je trouve un peu exagéré quand des vegans viennent manger chez moi et me disent que mon choix de plats vegans est restreint – alors même que mon restaurant n’est pas un restaurant vegan. Je leur réponds que quand moi je vais dans un restaurant vegan, je n’y trouve pas beaucoup de choix de viandes… Et ils rient (jaune). C’est comme si vous alliez voir le concert d’un artiste, et que vous lui demandiez de jouer la musique d’un autre artiste…
F&S : On dit souvent de Londres qu’elle est en avance niveau décor et ambiance. Qu’en pensez-vous ?
C.B. : Tout-à-fait. En ce moment, il ouvre beaucoup d’endroits huppés au décor de fou ; mais niveau cuisine, ça ne suit pas. Le décor et l’atmosphère, c’est très important, mais au final, le client paie assez cher, pour des plats très moyens. Alors qu’en parallèle, il y a des restaurants pas très chers et très bons, des bons bistrots avec le chef en cuisine, qui servent des plats à 20 pounds… Et puis, il ne faut pas oublier que l’atmosphère ne vient ni du décor, ni de la cuisine, mais bien des personnes avec lesquelles vous vous attablez. Si ce sont des personnes ennuyeuses, vous allez vous ennuyez, même si la cuisine est très bonne et le décor sympa. Ce n’est pas le chef qui apporte l’atmosphère sur la table ; ce sont les convives qui la créent.
F&S : Niveau produits, où vous fournissez-vous ?
C.B. : Étant en plein centre de Londres, je n’ai bien sûr pas de jardin sur le toit, avec mes abeilles, mon miel, mes légumes, etc. (Rires). Mais j’ai de très bonnes relations avec mes producteurs, avec lesquels je travaille depuis très longtemps. Cela facilite beaucoup les choses, car je n’ai pas besoin de leur repréciser le niveau de qualité que j’attends ; ils le savent. À l’année, je travaille avec environ 120 fournisseurs ; l’un nous fait les Saint-Jacques, l’autre les langoustines, un autre le pigeon, etc. Travailler ainsi nous donne davantage de liberté ; même si c’est plus compliqué niveau commandes. Côté prix, je ne discute jamais ; parce qu’au final, tout le monde doit pouvoir s’en sortir avec son métier. Si les prix sont trop chers pour moi, je ne prends pas, tout simplement.
F&S : Côté marges, les choses sont-elles flexibles ?
C.B. : Les marges sont très fines, donc j’y veille de près. D’ailleurs, avoir un seul restaurant n’est pas suffisant pour dégager assez de marge ; pour ma part, j’ai la chance d’en avoir deux dans le même immeuble (le Bibendum à l’étage, et le Oyster Bar au rez-de-chaussée, ainsi qu’une terrasse) ; sinon ce serait difficile, même si le restaurant marche très bien. C’est d’ailleurs pour ça que les chefs ouvrent plusieurs restaurants ; ils ne le font ni par goût du stress, ni par plaisir d’avoir beaucoup de restaurants ; mais bien parce que pour pouvoir faire le métier qu’on aime, tout en gagnant notre vie, il faut dégager davantage de marge. Si on n’a qu’un seul restaurant, on ne peut pas se permettre d’avoir tout le personnel nécessaire pour faire tourner la cuisine… Et on se retrouve à 50 ans, debout tous les jours du matin au soir derrière les fourneaux, sans avoir le temps nécessaire pour la partie création. Donc certes, la restauration c’est une passion, mais c’est aussi un business. Pour ma part, n’ayant plus à devoir faire mon jus et ma viande, je peux passer du temps à la création, et à la partie business du restaurant (les menus, la recherche, les marges, les goûts, les techniques, etc.) C’est cette partie du métier qui est la plus intéressante. Je fais tous les services, je dresse 80% des assiettes, mais le matin je suis à mon bureau, et je travaille à la partie administrative. Au fond, c’est une question de hiérarchie des tâches ; il faut savoir déléguer, pour pouvoir progresser plus rapidement. Dans un restaurant, chacun a sa tâche, qui permet à l’ensemble de bien fonctionner ; le chef doit veiller à acheter comme il faut, c’est-à-dire qu’il doit veiller à ne pas dépenser plus que le budget prévu pour faire son menu ; les serveurs doivent vendre comme il faut la carte et les menus ; la partie administrative doit bien gérer ses offres ; etc. J’ai 58 employés qui travaillent à la Michelin House, entre le Bibendum et l’Oyster Bar ; c’est une grosse responsabilité. Tous les mois, c’est une bataille ; j’ai les loyers à payer, les employés à payer, les fournisseurs à payer ; donc de grosses sommes à sortir rien que pour faire fonctionner le restaurant. Il suffit d’un mauvais mois, et l’équilibre tout entier est fragilisé.
F&S : À terme, envisagez-vous d’ouvrir un autre restaurant ?
C.B. : Pour l’instant, le Bibendum me prend énormément de temps ; donc je reste focus dessus. Le restaurant n’a pas encore trois ans, ça reste un peu tôt pour ouvrir autre chose. Ceci dit, j’aimerais bien, oui, dans un an ou deux. Si j’ai la structure, le personnel et la demande, pourquoi pas ?
F&S : Terminons sur vos bonnes adresses à Londres ?
C.B. : J’aime beaucoup Miên Tây, un excellent vietnamien ; Wild Honey, de Anthony Dimitri au Sofitel St James ; ou encore, Cornerstone par Tom Brown, à Hackney ; et Hakkasan. Si j’ai envie de manger français, je cuisine. Sinon, je vais parfois au Dorchester ou au Gavroche. J’aime bien aussi manger indien, au Gymkhana par exemple. Vous voyez, c’est pour ça que j’adore Londres : parce qu’on peut y manger de tout. Et notamment de la bonne cuisine asiatique. D’ailleurs, celle-ci a une grosse influence sur ma cuisine, qui a une fondation française, mais qui utilise le voyage. On revisite des plats français, auxquels on ajoute une touche de fraîcheur, d’acidité, et un peu de punch.
Par Anastasia Chelini
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Merci au Anglais de garder ce petit chef surfait chez eux
sa créativité n'a d'égal que son petit esprit et sa grande bouche
sa cuisine est prétentieuse et redondante empreinte de plagia notoire qui plus est sans âme
ce n'est d'ailleurs pas pour rien qu'il n'entreprend pas en France, les standards qualité de la haute gastronomie ne lui laisserai aucune chance
et n'allez pas croire qu'il aime le royaume unis : c'est juste un usurpateur opportuniste
Au royaume des aveugles les borgnes y sont ros et il en profite