Tout a commencé aux alentours de 16 heures, tel qu’indiqué sur le rougeoyant carton d’invitation du Michelin. Dans les allées du parc du Hurlingham Club, au bout d’une route longeant des pelouses manucurées, se dressait un bâtiment accueillant la soirée Michelin. Ponctualité oblige, les conviés étaient à l’heure, souriant de toutes leurs dents pour un selfie amusé avec le bonhomme Michelin. La cérémonie débuta peu après, rondement menée par une Amanda Stretton (pilote de course et présentatrice de sport automobile) en grande forme. À ses côtés sur l’estrade, le directeur international des guides Michelin Gwendal Poullennec (que nous avons interviewé ce soir-là) annonçait le nom des récompensés, tandis que le chef français Raymond Blanc (du Belmond Le Manoir aux Quat’Saisons) remettait les vestes flambant neuves aux nouveaux étoilés.
Le ton de la cérémonie a été donné par le premier étoilé de la soirée ; ému et simple, le jeune chef Ben Crittenden est monté chercher son étoile, venue récompenser son restaurant Stark, table de dix couverts qu’il tient avec son épouse. Il a attendri tout le monde en confiant son trouble d’être le tout premier sur l’estrade ce soir-là ; puis en racontant que sa femme, restée à la maison, était en fait enceinte de leur enfant. Le second étoilé de la soirée, Laurie Gear, a lui aussi touché l’assemblée ; il recevait son étoile après 15 ans d’exercice à son restaurant Artichoke. (Comme quoi, tout arrive…) Un peu plus tard, ce fut le chef Endo Kazutoshi, du restaurant Rotunda à Londres, qui a reçu son étoile ; sans conteste le plus visiblement ému de ces chefs primo-étoilés, il a confié, sous des larmes pudiques, combien cette étoile était pour lui un rêve et un honneur. Un tonnerre d’applaudissements est venu accueillir son émouvante déclaration.
Du côté des nouveaux deux-étoiles, ce fut l’éruption d’euphorie quasi volcanique (et hilarante dans sa forme) du chef Mickael Viljanen qui a marqué les esprits ; le chef du restaurant Greenhouse, littéralement transporté de joie, débordait d’effusions, et a donné de multiples embrassades à un Raymond Blanc certes plein d’empathie, mais qui n’en demandait sans doute pas tant. Dans un ultime sursaut d’enthousiasme, Viljanen a soulevé Blanc de terre, et l’a fait tourner dans les airs, sous les vivas de l’assemblée. Cette valse peu commune leur a fait perdre l’équilibre, et les deux hommes sont tombés à la renverse – sous les rires bienveillants du public. Peu après, une autre réaction de chef a défrayé à son tour la chronique ; celle d’Alex Bond, du restaurant Alchemilla, qui s’est exclamé au micro de la présentatrice un « What the fuck ! » retentissant en recevant son étoile.
Parmi les grandes nouvelles de l’année, il y a d’abord eu le restaurant Aimsir, conduit par le chef Jordan Bailey et sa femme ; après une ouverture de seulement 4 mois et demi, cette toute jeune table a fait une entrée fracassante dans le guide, obtenant deux étoiles d’un coup. L’émotion légitime de la jeune épouse, tenant à peine debout sur l’estrade, a gagné la présentatrice, qui a déclaré : « vous allez me faire pleurer aussi ». Un autre joli moment d’émotion a eu lieu lors de la montée sur l’estrade de Luca Piscazzi, le chef de La Dame de Pic London. Cette table à la fois moderne et précise, signée par Anne-Sophie Pic, a remporté sa seconde étoile, remise à Luca Piscazzi. Celui-ci a déclaré « adorer travailler avec Anne-Sophie Pic », car « les saveurs et les combinaisons » qu’elle propose « sont incroyables ». À noter, la chef Pic comptabilise désormais huit étoiles en tout.
La cérémonie s’est clôturée sur une nouvelle inattendue (donc d’autant plus plaisante) : une troisième étoile pour Sketch. Pierre Gagnaire, actuellement à Hong Kong, n’était hélas pas présent ; mais on devine son émotion… À sa place, c’est le propriétaire de Sketch, Mourad Mazouz (en photo ci-dessus) et le chef du restaurant Johannes Nuding (à gauche sur la photo) qui sont montés sur scène chercher cette triple consécration.
À noter, Londres compte à ce jour trois restaurants triplement étoilés : Alain Ducasse at The Dorchester, Restaurant Gordon Ramsay, et Sketch (The Lecture Room and Library). Quant au restaurant The Araki, présent parmi les triplement étoilés de 2019, il a perdu ses trois étoiles d’un coup dans le guide 2020, suite au départ du chef-patron Mitsuhiro Araki, rentré au Japon au printemps dernier. Au total, la Grande-Bretagne et l’Irlande comptabilisent cinq restaurants trois étoiles en 2020 : les trois tables précitées à Londres, ainsi que The Fat Duck et le Waterside Inn, tous deux situés à Bray.
Pour aller plus loin : parmi les étoilés 2020, figurent des chefs ou restaurateur que nous avons interviewés récemment pour Food&Sens. Retrouvez ces interviews en cliquant sur les liens suivants : le restaurateur Mourad Mazouz, propriétaire de Sketch et de Momo London (ce second restaurant a été récompensé d’une assiette Michelin) ; la chef Clare Smyth, du restaurant deux étoiles Core, à Notting Hill ; le chef Raymond Blanc, dont Le Belmond Le Manoir aux Quat’Saisons a deux étoiles ; le chef Michel Roux Jr, que nous avions interviewé à sa table doublement étoilée Le Gavroche ; le chef Clément Leroy du restaurant étoilé The Square, à Mayfair ; et le récit de notre visite à La Dame de Pic London.