C’est au fameux palace The Connaught, l’une des plus luxueuses adresses de Londres, qu’Hélène Darroze fait parler d’elle outre-Manche. Dans cet établissement cossu de Mayfair, la cheffe française a décroché une troisième étoile en 2021, devenant ainsi la seconde femme triplement étoilée en Angleterre. Nous sommes allés sur place.
Depuis sa récente rénovation, le Hélène Darroze at The Connaught est plus que jamais en phase avec sa destination. Les lieux, désormais tendus de tons pastels, de rose doux et sertis de canapés en demi-lune, reflètent le décontract-chic en vigueur à Londres ; tout en continuant d’incarner les classiques de la gastronomie française. En salle, le service ultra soigné laisse respirer le client ; tandis que le décor ne confond pas élégance et solennité. Le déjeuner, rythmé par le passage du coquet chariot dévolu aux Armagnac, offre aussi au café son grand moment ; cette boisson chaude disposant également de son propre chariot ciselé. À l’heure du dessert, une vaisselle Hermès au bleu profond sert d’écrin idéal aux mignardises, qui font suite au pigeon, au foie gras, ainsi qu’à l’oignon des Cévennes. Ultime particularité de l’adresse ? Elle s’est dotée d’une chef’s table, au sous-sol, avec vue plongeante sur la cuisine et son îlot central ; garantissant à ceux qui y siègent un vrai échange avec la brigade. Sur place deux fois par mois, Hélène Darroze était en Angleterre lundi dernier, pour assister à la cérémonie annuelle du guide Michelin Grande-Bretagne et Irlande. Nous avons pu échanger avec elle.
F&S : Votre restaurant Hélène Darroze at The Connaught a conservé ses trois étoiles dans l’édition 2023 du guide. Un commentaire ?
Hélène Darroze : On est très contents. Je dis bravo à mes équipes, et les remercie pour leur travail.
F&S : Quelle est l’intention culinaire de cette table londonienne ?
H.D. : Elle est la même que dans tous mes restaurants ; il y a d’abord une volonté de respecter les produits, les terroirs. Ensuite, la volonté de traduire mes émotions dans ma cuisine – d’y mettre ce que je suis. Ceci dit, mon restaurant du Connaught a une particularité ; comme il est dans un palace, on y sert une cuisine peut-être un peu plus sophistiquée que dans mes autres restaurants. D’ailleurs, les expressions de ma cuisine sont différentes dans chacun de mes restaurants ; ce qui est très bien pour moi et mes équipes (rires).
F&S : Où sourcez-vous vos produits ?
H.D. : Un peu partout en Grande-Bretagne et en Irlande. Il y a certains produits, toutefois, que je continue de sourcer en France, comme la volaille par exemple, qui me vient du Sud-Ouest ; je n’ai pas encore trouvé en Grande-Bretagne ce que je cherche en terme de qualité équivalente. Mais pour ce qui est du poisson, on n’utilise que de la pêche locale. Et de manière générale, on essaie le plus possible de travailler avec des circuits courts. Ceci demande une recherche permanente de qualité, et un grand respect des saisons.
F&S : En salle comme en cuisine, une bonne partie de votre équipe au Connaught est française. Est-ce une volonté de votre part, ou les choses se sont-elles faites organiquement ?
H.D. : Plus encore que de Français, il y a beaucoup d’Italiens qui travaillent avec moi au Connaught. Il est vrai qu’avec les Italiens comme avec les Français, nous avons ce sens commun de l’art de vivre, cette même réflexion sur l’art de recevoir. Un Français ou un Italien comprendra très facilement cet art du bien manger, ce sens du partage autour de la table. Chez les Latins, ces choses sont vraiment bien comprises. Ceci dit, la scène gastronomique britannique a énormément évoluée depuis 14 ans que je suis ici.
F&S : Justement, comment percevez-vous la scène culinaire londonienne d’aujourd’hui ? Comment la caractériseriez-vous ?
H.D. : C’est une scène très hétéroclite ; très cosmopolite. À Londres, on trouve aussi bien un très bon restaurant de cuisine grecque, qu’un très bon restaurant de cuisine vietnamienne, et ainsi de suite ; il y a toujours le meilleur restaurant de chaque expression culinaire à Londres. C’est cela qui m’avait séduite dans cette capitale, quand j’y suis arrivée il y a 14 ans. À cette époque, quand on comparait le meilleur japonais de Londres avec le meilleur japonais de Paris, il y avait un gros gap entre les deux. Et puis, Londres, c’est aussi une ville qui donne beaucoup de place au concept. C’est là que certains concepts très marquants sont nés ; Zuma, Hakkasan, Roka. C’était tellement novateur et réussi, ces tables ! Enfin, je dirais que l’ambiance est assez incroyable dans les restaurants de Londres.
F&S : L’effet Londres continue de s’exercer sur les chefs français ; outre ceux qui y sont installés depuis des décennies (comme Alain Ducasse, pour ne citer que lui), on y voit de jeunes chefs y mettre un pied à leur tour, comme Jessica Préalpato avec son Afternoon tea au Carlton Tower Jumeraih, Cédric Grolet au Berkeley, et Yannick Alléno cet été. Pourquoi cet engouement, d’après vous ?
H.D. : Premièrement, c’est une super ville. J’ai même dit, à un moment donné, que Londres est la capitale du monde – bien que, suite au Brexit, ce soit peut-être un peu moins vrai. C’est tellement central du point de vue géographique, et c’est une scène internationale à tous les niveaux ; celui de la finance, celui du commerce, celui de la gastronomie. Je dirais même presque qu’il ‘faut’ passer par Londres. C’est aussi une ville très décomplexée, où l’on sort volontiers ; une ville un peu excentrique également. Les gens ont moins de retenu quand ils veulent se faire plaisir ; ils n’ont pas honte de se faire plaisir.
F&S : Avez-vous remarqué une différence dans la façon de consommer entre vos restaurants français et votre restaurant londonien ?
H.D. : Oui ; la clientèle à Londres dépense plus. Les gens n’hésitent pas à s’offrir de belles bouteilles, par exemple. Soit ils ont davantage de pouvoir d’achat, soit c’est leur rapport à la dépense qui est plus décomplexé. Autre chose, aussi : les gens mangent plus vite à Londres. Tout va plus vite, d’ailleurs. De fait, je reçois tous les jours le rapport de tous mes restaurants, et le premier qui arrive est toujours celui de Londres, malgré le décalage horaire en sa défaveur…
F&S : Concluons sur Top Chef, dont la 14e édition est actuellement diffusée ; comment avez-vous trouvé cette nouvelle saison ?
H.D. : Cette année était un peu différente des précédentes, car j’avais un autre rôle : celui de repêcher les perdants, et de choisir à qui donner une seconde chance. J’ai trouvé ça génial. J’ai pris beaucoup de plaisir à rencontrer les candidats comme ça, et à les voir revenir dans le concours. De plus, le tournage en lui-même était très sympa ; on a une belle complicité avec l’équipe de tournage.
Crédit Photo – Justin De Souza – Jérôme Galland
F&S / Hélène Darroze at The Connaught / Londres / Mars 2023