C’est à Londres, au très chic et sélect Chiltern Firehouse, qu’Hélène Pietrini m’a donné rendez-vous. Dans cet hôtel de luxe où le calme respire, elle arrive souriante, s’installe posément, ouverte aux questions et ravie d’y répondre. Son train pour Paris l’attend ? Qu’importe ; pour la directrice du 50 Best, parler de ce sujet la captive plus que tout.
A quelques jours de la cérémonie qui révélera les World’s 50 Best Restaurants 2018, (prévue le 19 juin à Bilbao), l’effervescence est à son comble, et la mise au point, de rigueur. On a voulu tout savoir du 50 Best ; de son système de votes, à son panel de votants, en passant par les préjugés qui l’entourent, jusqu’à son rapport aux sponsors… Et sa relation compliquée avec la France. Découvrez ci-dessous un entretien-vérité avec Hélène Pietrini, entre franchise, humour et transparence.
F&S : Vous avez pris la tête du 50 Best il y a deux ans ; que faisiez-vous auparavant ? Et en quoi consiste votre poste actuel de directrice du 50 Best ?
Hélène Pietrini – J’ai travaillé plusieurs années pour Relais & Châteaux. Puis j’ai pris les rênes du 50 Best, à un moment où le groupe détenant le 50 Best (le William Reed Business Media) souhaitait agrandir l’équipe, et améliorer sa communication. En tant que directrice, je chapeaute toutes les activités : le digital, le commercial, les événements, la communication et l’éditorial.
F&S : Entrons directement dans le vif du sujet : vous n’ignorez pas qu’en France, justement, le 50 Best est assez mal vu par une partie des chefs.
HP – Oui, hélas… Je sais bien. Mais franchement, ce désamour est indu. Contrairement à ce que certains pensent, le 50 Best n’est pas du tout anti français ! C’est archi faux que de croire cela.
F&S : À quoi tient, alors, cette défiance des chefs français vis-à-vis du 50 Best ?
HP – À mon sens, il s’agit d’un problème de communication. Depuis sa création en 2002, le 50 Best a toujours organisé ses cérémonies en Angleterre, et était mené par une équipe constituée uniquement d’Anglais. Et puis, le 50 Best est anglais ; et comme chacun sait, les relations entre les Anglais et les Français n’ont jamais été fluides ! (Rires.) Ça, plus le fait que les Anglais n’ont pas la même façon de communiquer que les Français, a fait que certains chefs français ont pris en grippe le 50 Best. Mais cet état de fait ne peut que changer ; notre équipe est désormais multinationale (nos directeurs commerciaux sont l’un Espagnol et l’autre Portugais, moi-même je suis Française, et nous avons également une Italienne dans l’équipe). De plus, nos événements sont désormais organisés à l’étranger (New-York en 2016, Melbourne en 2017, Bilbao le 19 juin prochain…). Ainsi sort-on du caractère anglo-saxon.
F&S : Entendu. Mais outre cela, on remarque que les restaurants et les chefs français restent assez peu présents dans le classement du 50 Best et du 100 Best ; d’où leur grogne. Qu’en pensez-vous ?
HP – Il faut remettre les choses en perspective. Pour rappel, ce classement est un classement mondial, et non franco-centré, ou établi sur un panel limité de pays. Forcément, cela fait qu’à l’échelle mondiale, la France est moins présente qu’elle ne l’est dans le guide Michelin, par exemple, qui lui se concentre sur trente pays. De plus, il faut rappeler que le 50 Best est un classement de restaurants, et non pas de chefs ou de pays. (D’ailleurs, si on classait par pays, ce serait la France qui serait numéro 1 ! C’est en effet le pays qui reçoit le plus de votes de l’étranger…)
F&S : Revenons sur la méthodologie de vote des 50 Best ; comment fonctionne-t-elle exactement ?
HP – Une fois par an, 1.040 personnes votent. Ces 1.040 personnes sont composées de trois tiers : un tiers de chefs, un tiers de journalistes et critiques culinaires, et un tiers de foodistes voyageurs. De plus, tous les ans, nous renouvelons 25% de ce panel de votants, afin de garantir une fraîcheur dans le classement d’une année sur l’autre, mais aussi pour éviter la mise en place de potentiels copinages et autres petites stratégies de la part des votants, s’ils venaient à être institutionnalisés comme votants permanents. Avec ça, on est sûr d’être irréprochables.
F&S : Qu’avez-vous à répondre à ceux qui pensent que le classement est inique, ou faussé par des copinages, justement ?
HP – Honnêtement, ce n’est pas le cas ; et de toute façon, d’un point de vue stratégique, ce serait un non-sens complet que de faire un classement érigé sur la base de petites connivences ; on perdrait notre crédibilité, et donc nos sponsors (qui, je le rappelle, ne votent pas.) Non, vraiment, ce serait absurde. Je le répète : notre classement est fait avec grand sérieux, loin de toute tentative de cooptation.
F&S : Comment vous assurez-vous du caractère mondial de la liste des 50 Best ?
HP – Pour parvenir de facto à ce que le classement soit réellement global, nous divisons le monde en 26 régions. (À titre d’exemple, la France est une région à elle seule – c’est dire l’importance qu’on lui attribue, quand on voit que l’Espagne et le Portugal sont à deux pour constituer une région). Chacune de ces 26 régions a son propre panel de votants, constitué de 40 personnes, choisies selon la règle des trois tiers énoncée plus tôt (un tiers de chefs, un tiers de journalistes et critiques culinaires, et un tiers de foodies globe-trotter). Au total, cela fait 1.040 personnes qui votent (40 personnes par région, 26 régions en tout = 1.040 personnes). Toutes doivent répondre à la question suivante : quels sont les 10 meilleurs restaurants où vous avez mangé au cours de ces 18 derniers mois ? Pour renforcer encore le caractère mondialisé du classement, nos 1.040 votants doivent proposer chacun 4 restaurants sur 10 qui soient situés hors de leur région. Ce qui fait qu’un Français, par exemple, devra nommer dans son classement 4 restaurants localisés hors de France. Avec ça, on est sûr que le classement final sera 100% mondial, et non pas centré sur telle ou telle partie du monde.
F&S : Autre sujet qui fait débat, le prix de la Meilleure Femme Chef au Monde instauré par le 50 Best. Ce prix a été critiqué en France, jugé comme stigmatisant pour les femmes. Qu’en pensez-vous ?
HP – Ce classement a été créé pour rééquilibrer un état de fait ; comme chacun sait, les femmes sont les grandes absentes des métiers de la restauration. Au 50 Best, nous trouvons cela dommage, et la cause des femmes nous tient à cœur. Du coup, ce prix vise à mettre en lumière les femmes chefs, afin d’aider la gente féminine de cette profession à être mieux reconnue et récompensée. Tant que ce prix donne à ces femmes de talent le coup de projecteur qu’elles méritent, et qu’il est une source d’inspiration pour les autres femmes, alors il continuera d’exister. À ce propos, j’en profite pour mentionner qu’ici, au Royaume-Uni, personne ne polémique autour de ce prix… Ah, et à ceux qui croiraient encore que le 50 Best est anti-français : pour rappel, depuis ses 8 ans d’existence, le prix de la Meilleure Femme Chef au Monde a été dévolu trois fois à des chefs françaises ! (Anne-Sophie Pic en 2011, Hélène Darroze en 2015, et Dominique Crenn en 2016). Tout est dit…
F&S : Pouvez-vous mesurer l’impact du classement des 50 Best ?
HP – Tout à fait. Son impact est tel que du jour au lendemain de la publication du classement, les restaurants qui en font partie relèvent trois conséquences immédiates : une augmentation significative des réservations (surtout par internet, car ce sont les internautes qui sont les plus au courant du classement) ; une visibilité médiatique inédite, avec des demandes d’interviews qui affluent ; et une myriade de CV qui leur parviennent brusquement ! Concernant l’exposition médiatique soudaine, voici un exemple qui vous en dira long : la gagnante 2017 du prix de la Meilleure Femme Chef au Monde, Ana Ros, m’a confié l’autre jour avoir répondu à 500 interviews en un an… Ça vous donne une idée de l’ampleur du phénomène ! (Rires).
F&S : Comment vous situez-vous par rapport au Guide Michelin ? Est-ce un concurrent ?
HP – Non, pas du tout. Nous ne faisons pas la même chose ; le Michelin se concentre sur 30 pays, dans lesquels il établit un screening complet de tous les établissements, auxquels il attribue une note. En plus, l’évaluation se fait pays par pays. Nous, nous sommes dans un classement (et non dans un système de notation), et notre approche est mondiale. Et puis, le Michelin est un patrimoine qu’on ne remet pas en cause ; il fait partie de l’histoire de la gastronomie. À titre personnel, j’ai grandi avec, et je le consulte toujours. Ce n’est pas l’un ou l’autre, le Michelin OU le 50 Best ! Ce sont deux regards sur la gastronomie, tout simplement.
F&S : Le 50 Best est-il un guide ?
HP – Je ne dirai pas ça, car le mot « guide » renvoie vraiment à un objet (à un livre, en l’occurence). Je dirai plutôt du 50 Best qu’il est une photographie mondiale des meilleures expériences culinaires.
F&S : En ce qui vous concerne, avez-vous testé tous les restaurants qui figurent dans le classement ?
HP – J’en ai fait plus de la moitié (le temps manque pour tous les faire ! Et puis, je ne vote pas…) En tout cas, j’ai fait tous les restaurants français du classement !
F&S : Selon vous, quel est le continent (ou la zone géographique) où ça bouge le plus culinairement ?
HP – Je dirais que c’est l’Amérique Latine, où le Brésil a beaucoup bougé ; maintenant c’est le Chili qui a le vent en poupe. Sinon, en Asie du sud-est, les Philippines émergent vraiment. L’Australie aussi bouge beaucoup. Et la Turquie.
F&S : Si vous deviez citer 3 chefs qui sont au sommet de leur art aujourd’hui, qui seraient-ils ? (Outre, bien sûr, les trois premiers du 50 best, hein !)
HP – Et bien je citerai tous les chefs du 50 Best ! (Rires). Blague à part, les chefs qui font partie de ce classement sont forcément des chefs qui sont au sommet, car, une fois encore, ils font partie d’un classement mondial, ce qui veut dire qu’ils se distinguent d’une foule considérable de chefs.
F&S : Clôturons sur cette question : le fait que le 50 Best soit toujours associé à des marques a participé à fausser le ressenti de certains chefs, qui considèrent qu’il s’agit là d’un pur produit marketing. Votre avis ?
HP – D’une part, il faut bien que nous ayons des sponsors pour que 50 Best puisse vivre. Et d’autre part, les sponsors ne votent pas, ne voient pas les résultats du classement en amont, et ne sont en aucun cas participatifs de quoi que ce soit dans ce domaine. Ce sont tout simplement des marques désireuses de s’associer à nous et à l’univers des restaurants, afin de gagner en visibilité auprès de ces derniers. En dehors de cela, ils n’ont aucune intervention sur les votes. Point final.
Propos recueillis par Anastasia Chelini
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Bonne description d'un travail de classement qui cherche les meilleurs critères de transparence sélective