Super-star des fourneaux, pape de la cuisine moléculaire, et chef de file de de l’expérience culinaire multi-sensorielle, l’Anglais Heston Blumenthal s’est créé une place unique dans la galaxie food internationale. On lui doit The Fat Duck, un trois étoiles situé à une heure de Londres, où les réservations, dit-on, s’entament des mois à l’avance pour espérer avoir une table, tant ce restaurant a fait office de game-changer au Royaume-Uni. C’est lui également qui est derrière le bien nommé Dinner by Heston Blumenthal au Mandarin Oriental London, où il a deux étoiles. Lui encore qui a signé la version australienne du même Dinner, situé à Melbourne. Et lui aussi qui officie régulièrement dans l’émission MasterChef Australie. Quelque peu en retrait de la scène médiatique européenne ces derniers temps, le chef Blumenthal a accepté de rencontrer Food&Sens, pour un échange aussi riche que brassé. C’est à la table du chef de son Dinner londonien que nous l’avons retrouvé, dans une atmosphère détendue et bonhomme, tout en simplicité. Un entretien à découvrir ci-dessous.
F&S : Parlons de votre actualité ; j’ai entendu dire que vous vivez désormais en France ?
Heston Blumenthal : Oui en effet, j’habite dans le sud de la France, du côté des Alpilles. Pour moi, vivre là-bas, c’est comme boucler une boucle, puisque je vis désormais à côté du lieu qui m’a jadis donné envie de devenir chef : l’Oustau de Baumanière. Quand j’avais 15 ans, mes parents m’y ont emmené déjeuner, et ce fut une révélation. J’ai eu le sentiment qu’un nouveau monde s’ouvrait à moi. Cette impression a été renforcée par la nature qui nous entourait ; j’avais le sentiment d’être au pays des merveilles. La cuisine, la lavande, les criquets, les paysages, ce fut un tout. J’habite désormais à 20 minutes de là. Et quand je suis chez moi, je ne souhaite être nulle part ailleurs. Ce sentiment est précieux… Vous savez, je voyage beaucoup pour mes affaires ; or quand je rentre à la maison, j’ai le sentiment d’être soudain comme en vacances, étant donné la nature qui m’entoure. Je suis dans ma cuisine, et je redécouvre ma connexion initiale avec la cuisine et l’environnement ; sans être distrait par les sollicitations extérieures. Justement, aujourd’hui nous sommes constamment dérangés dans nos tâches par tout un tas de distractions ; les téléphones portables, les emails, etc. À l’époque où le Fat Duck a ouvert, je n’avais pas de portable ; juste un téléphone fixe. J’étais uniquement occupé à tester, à questionner, à penser la cuisine. Et rien d’autre n’existait. De fait, en cuisine comme pour le reste, tout commence par la nature, d’une façon ou d’une autre. Le monde actuel nous en sépare de plus en plus. Ceci dit, on peut choisir d’être conscient à son environnement, aux arbres qui nous entourent, aux sons qui nous environnent. Il ne faut pas perdre contact avec notre environnement immédiat.
F&S : Étant donné votre ancrage dans le sud de la France, on se demande si vous y avez des projets professionnels ?
H.B. : Je travaille actuellement au développement d’un laboratoire culinaire (non-ouvert au public). En 25 ans d’activité en tant que chef, j’ai développé un vaste nombre de techniques culinaires, et avec ça, je vais pouvoir tout recommencer côté cuisine. D’autant qu’avec le temps, ma perception a changé ; autrefois, mon ingrédient favori était le sel, en raison de sa modularité. Maintenant, c’est l’eau qui m’intéresse le plus. L’eau porte en elle des informations et des souvenirs. Sans eau, il n’y a pas de vie. Dans ce laboratoire, donc, nous faisons des observations, des tests, de la cuisine ; on goûte, on essaie, on élargit nos connaissances. Vous savez, la cuisine et l’alimentation sont en fait des sujets qui couvrent toutes les autres disciplines ; la biologie, la physique, l’Histoire, la philosophie, les émotions, etc… Et puis, la nourriture a une fonction de lien. Elle est aussi multi-sensorielle. De plus, elle transforme le corps (le corps est impacté différemment selon ce que l’on mange.) Le nom d’un plat est également un élément très intéressant ; il influence la façon dont les gens vont l’appréhender. En définitive, il me semble que l’on n’accorde pas suffisamment d’importance à la nourriture en général. C’est un élément éducatif essentiel, pourtant.
F&S : Vous qui avez voyagé aux quatre coins du monde, serez-vous présent fin juin à la cérémonie du World’s 50 Best Restaurants 2019 à Singapour ?
H.B. : Oui, je vais y aller. D’autant que c’est une plateforme qui donne de la visibilité ; cela me permettra d’y partager avec un grand nombre de gens des choses qui me tiennent à cœur. Ceci dit, je ne pense pas qu’il y ait de « meilleur restaurant » au monde ; il faut prendre le 50 Best pour ce qu’il est : une chance d’être exposé, mis en avant. Ce n’est pas une vérité universelle.
F&S : Êtes-vous plutôt 50 Best ou guide Michelin, du coup ?
H.B. : Je pense que le Michelin est de plus en plus pertinent. Je dirais même qu’il l’est plus que jamais. Selon moi, les étoiles sont à prendre comme des indicateurs, tel que pensées à l’origine du guide, qui était un guide à destination des conducteurs. 1 étoile, cela indique un restaurant qui se trouve sur notre itinéraire ; 2 étoiles, c’est un détour à faire sur notre route ; et 3 étoiles, c’est un voyage en soi, à prévoir spécialement. Voilà. Ça ne dit pas que c’est mieux d’avoir 3 étoiles, mais que l’expérience est différente selon le nombre d’étoiles.
F&S : Vous avez un restaurant à Melbourne, le Dinner by Heston Blumenthal Melbourne ; par ailleurs, vous participez régulièrement à l’émission télévisée MasterChef Australie. Parlez-nous de votre attachement à ce pays ?
H.B. : Historiquement, l’émission MasterChef (qui a été créée initialement au Royaume-Uni), a été par la suite importée en Australie, où elle rencontre un très grand succès. J’y suis allé pour y juger une compétition, et j’ai aimé le pays. L’Australie étant déconnectée d’un point de vue géographique du reste du monde, elle a par conséquent développé sa propre cuisine. De fait, je n’ai jamais vu une explosion culinaire aussi rapide que là-bas. La clientèle y a des attentes très élevées. En 2015, nous avons même installé le restaurant The Fat Duck là-bas, pendant 6 mois, tandis que le lieu initial en Angleterre subissait une rénovation.
F&S : Récemment, vous avez enregistré une série de podcasts pour Apple ; racontez-nous comment ce projet est né, et quel est son propos ?
H.B. : L’idée est venue suite à plusieurs échanges entre moi, mon équipe et un ami producteur (Jay), avec lequel j’ai souvent travaillé. Au départ, nous avions en tête de créer un show pour la télévision, mais ça prend beaucoup de temps à mettre en place et à être diffusé. Donc l’idée du podcast est venue naturellement ; ça nous a paru à la fois plus simple, plus rapide, et novateur. Je n’en avais encore jamais fait, mais j’ai aimé le côté informel et relax de ce format, et le fait que ça réserve davantage de place à la parole elle-même. D’ailleurs, c’est le côté conversation des podcasts qui m’a beaucoup plu. Très vite, on s’est dit que ces podcasts seraient multi-sensoriels, car tout ce que j’ai fait dans la cuisine a toujours été pensé sous cet angle. Donc on s’est lancé dans ce projet ; chaque épisode propose d’en apprendre davantage sur les cinq sens, de manière simple et ludique. Je suis très content de ces podcasts, d’autant qu’ils ont rencontré un joli succès (numéro 2 des charts de podcasts d’Apple). De plus, ils nous ont permis de se retrouver Jay et moi, après tout ce temps. Ces podcasts, ça a été une très belle expérience, et on a beaucoup ri en se rappelant des choses folles que Jay m’a faites faire et manger lorsqu’on tournait des émissions de télévision. On prévoit d’ailleurs de faire d’autres podcasts bientôt…
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Monsieur Jambon
Connaissez vous la restauration ? Avez vous travaillé dans la restauration étoilée?
Il est vrai que des personnes ont été intoxiqués involontairement non pas par un manque de fraîcheur mais par un virus propagé par du personnel non conscient.
J’ai eu la chance de travailler auprès de ce Monsieur et dans toute ma carrière, ce fut la plus belle expérience, par sa richesse à la fois humaine, intellectuelle car ce Chef n’est pas un tyran et un mégalomane comme nous pouvons en rencontrer dans ce monde. Il respecte profondément ses collaborateurs et partage sa vision.
Ce que je n’ai jamais vu avec d’autres chefs.
Il y a quelques mois un dirigeant du guide Michelin m'expliquait que pour maintenir son étoile il fallait une assiette irréprochable !
Que la moindre odeur d'ammoniaque d'un poisson était rhédibitoire...
et pour un 3 étoiles qui empoisonne 529 de ses clients on fait quoi ?
Même épisode au NOMA meilleur restaurant du monde ...
Pour les cuisines de Famille comme aimait à le dire Mr Paul... tout va bien
https://lacuisineaquatremains.lalibre.be/2009/03/12/heston-blumenthal-contraint-de-fermer-son-trois-etoiles/