À Marseille, Ludovic Turac se confie à F&S : « je suis flatté de faire partie des chefs étoilés de Marseille »

 Marseille, son Vieux-Port. Est-il cliché plus radieux, plus consensuel que celui-là, lorsqu’on pense à la cité phocéenne ? Depuis Une Table, Au Sud, le restaurant étoilé qui surplombe cette vue typique (mais authentique), on pourrait facilement s’en convaincre. C’est au premier étage d’un immeuble d’angle que le restaurant se déploie ; la cuisine, signée Ludovic Turac, mêle quête des saveurs et coloris étudiés. L’ancien protégé du chef Lionel Lévy (le premier a racheté cette table au second, depuis parti à côté, à l’Intercontinental) s’applique à donner vie à sa propre vision, récompensée d’une étoile en 2015. En salle, c’est Karine Turac, l’épouse du chef (et ancienne sommelière de Lionel Lévy) qui officie, s’assurant que les choses prennent la forme souhaitée.

La vue depuis Une Table, au Sud. Au loin, la Bonne Mère de Marseille se profile à l’horizon.

Depuis cette table enlevée, où il fait bon contempler la mer, le temps reste en suspens. La salle, elle, bruisse de conversations. Derrière moi, une table accueille une réunion de famille. « Je pense que les Marseillais ont adopté l’adresse », me confiera plus tard Ludovic Turac. Et ça se voit. « Le dimanche, ce sont eux surtout qui viennent déjeuner ; ils fêtent une communion, un baptême, un grand événement… » Une table locale, donc, qui conjugue emplacement optimal et prisme moderne donné à la cuisine du sud. Pour Food&Sens, le jeune chef est revenu sur sa vision culinaire, dans une interview à retrouver ci-dessous. 

Karine et Ludovic Turac

F&S : Marseille est votre ville de cœur. De fait, pourriez-vous vous installer ailleurs que dans le Sud ? 

Ludovic Turac : Non ; je suis très attaché à ma région, à ma ville. J’ai grandi dans ce bain marseillais, avec le marché aux poissons, cet instinct du sud, cette façon franche de cuisiner, et ces légumes phares comme la tomate et la courgette. J’ai travaillé un temps à Paris (le Bristol, Guy Savoy, l’Hôtel du Castellet) ; j’aime beaucoup cette ville ; mais la mer et ses embruns m’ont manqué. Je ne me vois pas vivre ailleurs qu’à Marseille. Et puis, notre terroir est très fort ici.

F&S : Parlez-nous de votre cuisine ?

L.T. : Elle est très axée sur la Méditerranée. J’y conjugue deux éléments : la performance, et le sentiment. J’y inclus des souvenirs d’enfance, des choses qui m’ont touché. J’adore l’aïoli, par exemple, dont j’ai fait un de mes plats signature.Mon but, c’est de proposer les meilleurs produits de Marseille. 80% de ma cuisine est centrée sur Marseille et sur la Méditerranée. 

 

F&S : L’importance donnée au visuel se remarque à Une Table, au Sud ; la vue sur le Vieux-Port bien sûr, mais aussi la vaisselle, et le côté coloré, architecturé de vos plats. Qu’en pensez-vous ?

L.T. : La couleur dans les plats, c’est très important ; on mange d’abord avec les yeux. Pour ce qui est de la vaisselle, je suis un passionné de gastronomie, donc de tout l’univers qui va avec (ce qui inclut la vaisselle, les fleurs, etc.)

F&S : Où vous voyez-vous dans cinq ans ?

L.T. : Ici, sur le Vieux-Port ; avec une cuisine encore plus poussée. Ce que je souhaite, c’est avancer, évoluer, porter haut les couleurs de ma ville. Voilà pour le court-terme. Pour le long-terme, j’aimerais proposer une offre plus large ; dans un hôtel par exemple, ou bien ouvrir aussi une boulangerie/pâtisserie, voire même un restaurant de pizzas, pourquoi pas. En tout cas, j’ai envie d’offrir aux gens de la belle qualité.

F&S : De plus en plus, Marseille semble vouloir s’inscrire comme une destination culinaire à part entière. Qu’en pensez-vous ?

L.T. : La ville a connu une incroyable évolution depuis 2013, année où elle a été élue Capitale Européenne de la Culture. Depuis, beaucoup d’infrastructures ont changé ; ça a fait un énorme boum. Niveau gastronomie, de plus en plus de jeunes chefs ouvrent ici, et osent. Il y a beaucoup plus d’adresses qu’avant. Nous avons maintenant une quinzaine, voire une vingtaine de noms de chefs connus à Marseille ; et c’est génial. Pour ma part, je suis flatté de faire partie des chefs étoilés de Marseille, qui est la seconde ville de France. Et puis, cette évolution concerne aussi les autres villes de Provence. Tout cela favorise bien sûr le tourisme. D’autant que les gens développent un intérêt de plus en plus marqué pour la cuisine. Actuellement, il y a comme un engouement pour ce secteur. De leur côté, les chefs s’attachent à rendre la gastronomie plus accessible. Pour ma part, je veille à proposer un menu très accessible, à 39 euros, qui comprend amuse-bouche, entrée, plat et dessert. Avec ça, je suis plein tous les jours. J’ai beaucoup d’habitués, des clients qui réservent de très grandes tables. Ça me fait plaisir, forcément, de voir que les gens reviennent.   

F&S : Gérald Passedat et Alexandre Mazzia sont deux des chefs qui participent à faire de Marseille une food destination ; quels rapports entretenez-vous avec eux ?   

L.T. : Alexandre et moi sommes très amis. J’ai beaucoup de respect pour lui. Quant à Gérald Passedat, c’est quelqu’un que j’admire. Sa façon de cuisiner le poisson est unique. Marseille a de la chance de l’avoir. 

F&S : Vous avez décroché votre étoile à 26 ans, devenant ainsi le plus jeune étoilé de France. Qu’est-ce que ça fait ?

L.T. : C’est une très grande fierté. Mais je me dis : oui, mais demain ? Donc certes, je suis satisfait du moment, mais je pense aussitôt à la suite. Demain, il faut recommencer… Ceci dit, c’était le plus beau jour de ma vie professionnelle. Et c’est quelque chose que je voudrais revivre.

Par Anastasia Chelini 

 

 

 

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