F&S : Vous avez reçu coup sur coup deux récompenses de taille ; celle du 50 Best en juin, puis celle du Gault & Millau en novembre. 2019-2020, c’est votre année ?
Jessica Préalpato : … (Rires, NDLR.)
F&S : Vous attendiez-vous à recevoir cette seconde distinction ?
J.P. : J’ai été très contente, et forcément étonnée. Je suis surtout contente de voir que notre pâtisserie, la desseralité, est reconnue ; comme elle est différente, ça n’était pas nécessairement évident. Voir que les gens s’y intéressent, ça me fait plaisir. Et puis, je suis très heureuse de partager ce prix avec quelqu’un d’autre ; d’autant que Max Martin et moi faisons une pâtisserie très différente. C’est très bien, ça mélange les styles. De plus, Max est une personne très sympa.
F&S : Pensez-vous que ces nouvelles distinctions auront un impact sur les clients ?
J.P. : Je ne pense pas. Ce qui a changé en revanche, c’est que depuis que j’ai été élue Best Pastry Chef 2019 par le 50 Best, certains de mes desserts sont désormais servis au Tea Time. Ça, c’est quelque chose auquel je tenais ; car ainsi, tout le monde peut venir goûter nos desserts, sans avoir à déjeuner ou dîner au restaurant gastronomique (ce qui représente tout de même une certaine somme.)
F&S : Les choses ont-t-elles changé pour vous depuis ces récompenses ?
J.P. : D’un point de vue médiatique, oui ; il y a beaucoup de choses qui arrivent depuis le 50 Best. Mais dans le quotidien, rien n’a changé. Je me trouve bien en pâtisserie, à faire la carte ; je n’ai pas envie d’autre chose, ni d’ouvrir à l’étranger. Je suis bien ici.
F&S : J’ai noté que dans toutes vos interviews, vous pensez toujours à remercier votre chef, Romain Méder.
J.P. : Oui, car je ne fais rien sans lui. Même si les desserts sortent de ma tête et de celle de Juliette, ma seconde, on a besoin du recul du chef. Je travaille toujours avec lui.
F&S : Cela fait 4 ans maintenant que vous travaillez pour Alain Ducasse. Quelle-est, selon vous, sa plus grande qualité ? Ce qui vous inspire chez lui ?
J.P. : Ce que j’aime chez lui, c’est qu’il a une vision très avancée sur beaucoup de choses. Quand je suis arrivée au restaurant, il m’a d’abord dit : « je ne veux plus de pâte ». La fois suivante, il m’a dit : « plus de crémeux non plus » ; la fois d’après, « je ne veux plus de mousse. » Au début, je n’y croyais pas vraiment ; et aujourd’hui, je ne me vois pas faire autre chose ! Monsieur Ducasse voit la pâtisserie de demain. Il imagine plein de choses, auxquelles on ne pense pas, nous qui sommes pourtant dans le métier au quotidien. C’est sa force : il prédit les tendances, en quelque sorte. Il est aussi très humain ; il me permet de maintenir ma vie privée, de rentrer chez moi le soir pour voir mes enfants en bas-âge. Quand on fait partie d’une brigade et qu’on part à 18h30, ce n’est pas anodin ; ça peut créer des tensions. Mais ça se passe très bien. Tout est clair. Je peux continuer mon métier, tout en profitant de ma fille nouvelle-née.
F&S : En quelques mots, comment définiriez-vous la desseralité ?
J.P. : C’est le fait de mettre au maximum le produit local en avant. Ne pas le dénaturer ; le sublimer au contraire.
F&S : Pensez-vous que la desseralité deviendra, à terme, un exemple et une tendance à suivre en pâtisserie ?
J.P. : Je ne pense pas ; ce sont des desserts de restaurants, donc pas forcément adaptables en format boutique ou Tea Time. De plus, ils prennent beaucoup de temps à être réalisés, et les recettes sont très complexes. Ceci dit, les desserts moins sucrés, c’est la tendance, ça c’est sûr. (Et ce n’est pas moi qui l’ai inventée !) Disons que la desseralité est un créneau, qui va intéresser.
F&S : Entrons dans le vif du sujet : quel est votre dessert préféré ?
J.P. : (Rires). De façon générale, ce que je préfère, c’est la tarte aux fraises. Quand elle est bien faite, je pourrais en manger des camions ! Des fruits bien mûrs, une pâte sablée très fine, de la crème d’amande, et voilà, je suis heureuse. Pour ce qui est de mes desserts au Plaza, celui que je préfère actuellement, c’est notre nouveau dessert au chocolat. Il s’agit d’un dessert sucré, bien qu’il n’y ait pas de sucre dedans. Il y a tout un travail effectué autour de la fève fraîche de cacao, et d’eau de cacao. C’est un dessert très intéressant ; quand on le mange les yeux fermés, on s’imagine tout sauf du chocolat !
F&S : Quelle est votre madeleine de Proust ?
J.P. : C’est le dessert de mon papa, que malheureusement il me fait trop rarement. Ça s’appelle la Sainte-Cécile ; il s’agit d’un feuilletage caramélisé, d’une marmelade de fruits rouges très acides, surmontés d’une crème chiboust à la vanille, brûlée au chalumeau. Le goût est incroyable.
F&S : Quel sera votre dessert-phare pour les fêtes de fin d’année ?
J.P. : On sera fermé du 22 au 31 décembre au soir ; mais pour le nouvel an, j’ai préparé un dessert au chocolat fumé, châtaigne, vodka et pamplemousse.
F&S : Ces temps-ci, la pâtisserie est partout, dans la presse comme à la télévision. D’après vous, en fait-on trop sur le sujet ?
J.P. : Je ne crois pas. C’est bien que ces métiers-là soient mis en avant. Vous savez, quand j’ai commencé en pâtisserie, avec mon bac littéraire en poche, tout le monde me regardait avec incompréhension. La cuisine, c’était un métier pour ceux qui échouaient à l’école… Aujourd’hui, les clients viennent en cuisine, ils font des photos, ils visitent, on leur montre la chambre froide. Ils adorent ! Je trouve ça très bien de mettre tout cela en avant. Pour ma part, je regarde Mercotte et Cyril Lignac sur M6. (Et à ce propos, je me demande souvent ce qu’ils font des desserts, une fois qu’ils ont été réalisés par les candidats ? Ce serait bien qu’on sache cela ; j’imagine qu’ils les mangent ensuite ?) Quoi qu’il en soit, les émissions de pâtisserie jouent un rôle, car elles mettent en avant les pâtisseries régionales. J’en découvre encore que je ne connaissais pas.