Le restaurant Ducasse Baccarat n’a pas décroché d’étoile au dernier Michelin. Il vient pourtant de recevoir une récompense qui parle au même public, mais par un autre angle : celui du lieu. Ouvert depuis septembre 2024 dans l’ancien hôtel particulier de Marie-Laure de Noailles, au sein de la Maison Baccarat, il a été distingué par le Prix Versailles, lors d’une cérémonie organisée un lundi 4 décembre au siège de l’UNESCO, à Paris. Le trophée ne salue ici pas une partition culinaire. Il consacre une architecture et un design.
Le Prix Versailles, chaque année, distingue des réalisations dans plusieurs catégories d’équipements et de lieux recevant du public. Les restaurants en font partie. Cette logique replace la table dans une évidence souvent oubliée : avant même la carte, il y a une scène. Et cette scène, lorsqu’elle est bien pensée, dicte une part de l’expérience.
Une vitrine de Baccarat conçue comme un cabinet de curiosités
Ducasse Baccarat a été conçu par Aliénor Béchu et les équipes de Volume ABC, en lien avec Alain Ducasse. Le résultat revendique une intention claire : créer un espace où la cristallerie n’est pas un décor secondaire, mais un langage à part entière. Le restaurant prend ainsi la forme d’un cabinet de curiosités, organisé autour d’éléments signatures, au premier rang desquels un “ciel” de gouttes de cristal imaginées par Aliénor Béchu et façonnées par les artisans de Baccarat.
Plusieurs artistes ont produit des œuvres spécifiques pour le lieu, dont Jean-Guillaume Mathiaut et Pierre-Yves Le Floc’h. L’ensemble vise une sensation de densité visuelle, comme si le regard était volontairement occupé, guidé, retenu. Il ne s’agit pas uniquement de “faire beau”. Il s’agit de construire une atmosphère, donc une promesse.
Un prix d’architecture, une lecture de l’époque
Cette distinction arrive dans un moment où la restauration haut de gamme assume un glissement. Le restaurant n’est plus seulement un espace fonctionnel au service d’une cuisine. Il devient un objet complet, pensé comme un récit, parfois comme une exposition. Le Prix Versailles ne vient pas arbitrer le goût. Il vient légitimer une vision : celle d’un lieu dont la cohérence esthétique est, en elle-même, un argument.
La déclaration de Laurence Nicolas, directrice générale de Baccarat, va dans ce sens. Elle parle d’art de vivre à la française, d’audace et de liberté créative, et revendique l’émotion comme une finalité. La communication n’est pas anodine : elle confirme que le projet est aussi une vitrine de marque.
Une cuisine portée à plusieurs mains
Dans cet écrin, la cuisine se présente comme un travail collectif, porté par Alain Ducasse, Christophe Saintagne, Robin Schroeder en cuisine mais aussi Claire Sonnet en salle le tout avec leurs équipes. Le lieu, ici, est une signature autant que la carte et que le service.
Alain Ducasse évoque une “hospitalité qui résonne avec l’époque” et une proposition destinée à “réenchanter l’expérience de la table”. La phrase dit tout de cette ambition. Elle en dit aussi la contrainte : quand le décor prend autant de place, la cuisine et le service doivent aller non pas contre le lieu, mais avec ce dernier.
L’absence d’étoile Michelin n’est pas un détail dans la lecture publique. Elle crée un contraste. Elle permet aussi une clarification : la récompense obtenue ne relève pas du guide, mais du design. Et ce design n’est pas neutre. Il fabrique une destination. Il attire un public sensible à l’objet, au cadre, au geste décoratif, au Paris “expérience”.
Ducasse Baccarat s’inscrit ainsi dans une catégorie précise de restaurants contemporains : ceux qui misent sur une construction totale. Le lieu n’accompagne pas la table. Il la conditionne. Et l’on vient y chercher, autant qu’un repas, une mise en situation.
Photos by Guillaume Erblang / Food&Sens