Hier le chef trois étoiles s’est exprimé sur les ondes de France info au micros de Bernard Thomasson.
« Cultiver ses légumes, c’est un luxe absolu aujourd’hui », explique ce dimanche 20 juin sur franceinfo le chef étoilé Alain Ducasse. A la tête de 30 restaurants en France et dans une dizaine d’autres pays, il fait l’éloge du végétal et du poisson.
franceinfo : Les restaurants ont rouvert, les clients sont de retour… Ont-ils de nouvelles demandes ? Qu’est-ce qui a changé pour vous ?
Alain Ducasse : Ce qui a changé, c’est l’attention portée à comment on se nourrit mieux. Les hommes et les femmes sont précautionneux à l’égard de leur santé. Très clairement, c’est « naturalité » [concept qui bannit la viande et réduit au minimum le beurre]. Mais l’idée, c’est maintenant de descendre dans la rue et de donner à manger aux gens avec des additions extrêmement serrées, autour de 25 à 30 euros dans un réfectoire, un réfectoire qui ouvrira sous la marque Sapid [offre de street food à Paris]. Nous serons précautionneux de la planète, de ses ressources rares, des hommes et des femmes qui cultivent, qui pêchent, qui ramassent. Ce sera à 95% une nourriture végétale. Et l’assaisonnement sera de la protéine animale. Ça sera des poissons.
C’est important pour vous, star mondiale de la haute gastronomie, d’aller vers une cuisine de proximité, et sans viande ?
Depuis 1996, je fais un menu végétarien à Monaco. Il était naturel qu’on soit capable de démontrer qu’il est possible de faire un restaurant où seul le végétal soit référent. Avec juste un assaisonnement de protéines animales. Des poissons bleus, j’ai une passion pour eux. Ce sont des poissons marinés, séchés comme un condiment. Et, bien sûr, beaucoup de plats où il n’y a pas de protéines. Sincèrement, ça me satisfait. La protéine végétale suffit largement à satisfaire aux besoins nutritionnels d’un individu.
Le goût pour la cuisine vous est venu de votre enfance en Chalosse, dans les Landes ? C’était une vocation ?
Je suis né dans une ferme. Ma grand-mère cuisinait bien. À midi, on allait au jardin, ramasser les petits pois, quelques pommes nouvelles, un oignon frais. Il y avait au garde-manger un bout de lard des cochons de la ferme que nous élevions. C’était le goût originel. Ce qui constitue mon ADN référent. J’aime beaucoup mémoriser ce que je goûte partout dans le monde. Mais de ma ferme natale, j’ai gardé le goût de l’excellence d’une laitue qui saigne blanc, d’un petit pois croquant, d’une cuisine de l’immédiateté. C’était du jardin à l’assiette et d’une proximité absolue, puisqu’à 11h30, les petits pois étaient vivants, et à 13h30, ils étaient consommés. C’est pour cela que dans mes auberges, j’aime avoir des jardins. Les clients nous aident à ramasser les petits pois, à ramasser les herbes, à écosser. C’est une leçon de choses et sincèrement, de cultiver ses légumes, c’est un luxe absolu aujourd’hui.
Vous vous êtes recentré sur le Meurice, le palace parisien. Pourquoi ?
Parce que d’abord, nous sommes le palace le plus parisien, au cœur de Paris, à côté de la rue de Rivoli. Ces derniers mois, j’ai regardé Paris depuis la terrasse du dernier étage du Meurice. Je suis bien ici ! Et puis, j’ai décidé de porter un chef qui a beaucoup de talent, qui s’appelle Amaury [Bouhours]. J’ai créé une équipe de trentenaires, je crois beaucoup en la jeune génération, des jeunes chefs de talent. Au Meurice, on va réinventer une cuisine française contemporaine, toujours avec une grosse influence végétale, avec une jeune équipe. Ce que j’aime par dessus tout, c’est d’identifier et de réaliser des castings, d’aider les jeunes à se réaliser dans leur métier.
Vous avez été formé par Michel Guérard et par Gaston Lenôtre, qui sont des grands transmetteurs. Vous êtes à votre tour transmetteur. C’est important de continuer cette chaîne ?
Nous avons ouvert en plein confinement, au mois de novembre 2020, une école à Meudon qui s’appelle École Ducasse. A Glion-les-Roches, la célèbre école hôtelière suisse, nous avons neuf classes de cuisine contemporaine. Nous avons accueilli 62 nationalités, 240 élèves. Quand ils partiront formés à l’ADN de la cuisine française, ils seront des vecteurs puissants pour importer à leur tour des vins qu’ils auront goûtés en France. Et l’art de vivre à la française sera dans leurs veines puisqu’ils auront passé deux à trois ans à s’inspirer de ce qu’ils auront appris.