F&S. Bonjour Curtis ! Il y a presque un mois vous gagniez le prix du meilleur commis européen au Bocuse d’or de Turin. Ca fait quoi d’être le meilleur commis d’Europe et quelles ont été vos émotions lorsque vous avez entendu prononcer votre nom?
Curtis Mulpas – Bonjour. Oui, c’est certainement le prix le plus important de ma jeune carrière qui représente surtout la reconnaissance de mes pairs pour tout le travail et l’investissement dans le Bocuse d’Or. Etre jugé par les plus grands chefs représentant la diversité de la cuisine européenne c’est très impressionnant, j’ai vécu un grand moment d’émotion. Recevoir le prix des mains du chef Freedy Debecker (Président du Bocuse d’Or Winners), qui certainement était fier de le transmettre pour la première fois à un jeune compatriote belge, c’est juste magique.
F&S. Vous avez participé à cette compétition avec l’équipe italienne, qui était l’équipe à domicile. Comment avez-vous été accueilli par le comité, les chefs et les supporters italiens? Et surtout, comment vous sentiez-vous de devoir vous battre sous la bannière italienne contre l’équipe de votre propre Pays, la Belgique?
CM – J’ai un parcours un peu atypique entre ma scolarité en Belgique et mon apprentissage en France chez le Chef étoilé Christian Constant. C’est le destin qui m’a ouvert les portes de la sélection du Bocuse d’Or Italie, en intégrant les cuisines du Chef Yannick Alléno au restaurant Le Pavillon Ledoyen *** de Paris, dont Martino Ruggieri est le chef en second. Aujourd’hui toute l’Italie me considère comme un fils adoptif. C’est extraordinaire l’engouement autour du concours. Depuis octobre, j’ai pu apprendre la langue et la cuisine italienne auprès du chef Enrico Crippa *** à l’académie italienne du Bocuse d’Alba. C’est une expérience exceptionnelle de pouvoir vivre cette aventure culinaire. J’ai le sentiment de représenter toutes les identités culinaires que je traverse.
F&S. On sait que pendant les semaines qui ont précédé le concours, vous et Martino Ruggieri, vous vous êtes entraînés presque 24h/24, 7j/7. Comment ça s’est passé ? Quel est votre rapport avec le chef italien ?
CM – La communion entre le chef Martino et moi, c’est un peu la tête et les jambes. Cela fait presque deux années que je suis son commis dans la brigade du restaurant. Donc les automatismes sont déjà présents. C’est un peu comme un grand frère qui est là pour te faire dépasser tes limites. Les jours passés ont été très durs et intenses, à la limite parfois de la rupture physique et psychologique. Cette préparation était nécessaire et indispensable pour atteindre le niveau du concours.
F&S. Après les efforts de la semaine dernière, avez-vous déjà fait retour au travail ou vous avez prévu une petite pause ? Comment vous allez vous préparer pour la finale de Lyon ?
CM – Pour être précis, aujourd’hui, je suis rentré en Belgique pour une période de repos bien méritée. J’ai besoin de me ressourcer en famille auprès de mes amis. Cela fait quatre années que je ne suis pas revenu plus de trois jours consécutifs et les miens me manquent. En septembre, je reprendrai la direction de l’Italie au centre d’entrainement d’Alba pour préparer la finale de Lyon.
F&S. Qu’est-ce que vous a dit Yannick Alléno, votre chef, après cette belle victoire ?
CM – J’ai vécu un grand moment de respect quand, en attendant la proclamation de résultats, le chef Yannick Alléno est venu me féliciter dans le box de l’équipe italienne pendant plus de cinq minutes. C’est une marque de reconnaissance inoubliable. Lors de la remise des prix, j’ai ressenti le sentiment de fierté de la maison Alléno, porteuse de talent et de transmission.
F&S. Qu’est-ce que vous pensez qui a fait la différence dans votre façon de travailler par rapport à celle des autres commis ?
CM – Ce titre, je le dois en grande partie au chef Martino et à sa vision du concours qui aspirait à revenir à l’essentiel, à la « cuisine ». Donc, comme dans n’importe quelle brigade, le chef m’a confié à moi seul des responsabilités en dehors de son contrôle et cela m’a permis de me mettre en valeur pendant les 5 heures et demi du concours. Je crois que c’est ce travail qui a bien payé.
F&S. Souhaiteriez-vous refaire, un jour, cette expérience du Bocuse d’Or en tant que chef ?
CM – Ah, faire le Bocuse d’Or en tant que chef ! Oui, c’est un rêve de présenter sa cuisine et de défendre son pays mais, pour l’instant, il ne faut pas brûler les étapes. Il y a encore beaucoup de chemin pour passer de commis à chef.
F&S. A 21 ans, vous avez déjà eu un parcours exceptionnel. Vous avez fréquenté la célèbre école Ferrandi, vous travaillez dans l’un des meilleurs restaurants au monde et vous avez contribué à la fondation d’une start-up contre le gaspillage alimentaire. Sans compter tous les concours auxquels vous avez participé et avez fini par gagner : Meilleur Maître d’hôtel Junior en Belgique, Jeunes Talents Maîtres Restaurateurs, Concours Olivier Roellinger, Objectif Top Chef et Meilleur commis d’Europe et d’Italie au Bocuse d’Or 2018. Quels sont vos projets pour le futur après tant de succès ?
CM – Je ne recherche pas le succès médiatique. Ces récompenses sont tout simplement le fruit de mon travail. J’ai besoin de m’évaluer pour progresser et les concours représentent ma méthode de travail. Maintenant, je suis fière de défendre mes convictions et les vestes que j’ai remportés. La prochaine étape à court terme, c’est la finale du Bocuse d’or le 29-30 janvier 2019 à Lyon. Après, certainement, j’ai besoin de cuisiner… où ? Avec qui ? Demain le dira.
A long terme, je n’ai jamais caché mon ambition de me présenter au concours de Meilleur Ouvrier de France. Ceci quand j’aurai atteint la maturité culinaire. Une valeur me tient à cœur. J’ai un souhait. C’est de témoigner de mon expérience auprès des jeunes étudiants en restauration culinaire. Mais, je ne veux surtout pas être un exemple ou une icône. J’aimerais tout simplement apporter en Belgique cette notion « d’excellence » à la française qui est de rêver grand pour atteindre ses objectifs. Transmettre ce que j’ai reçu, c’est perpétuer le métier.
Eh bien, il ne nous reste que lui souhaiter de réaliser tous ses rêves. Merci beaucoup Curtis et bonne chance pour la suite !