C’est à l’hôtel Raffles de Singapour, luxueux palace de la cité-État, que nous avons interviewé la chef multi-étoilée Anne-Sophie Pic. S’inscrivant dans le sillage de la cérémonie annuelle du 50 Best (qui se tenait cette année à Singapour), Madame Pic a ouvert en avant-première sa toute nouvelle table, La Dame de Pic Singapour, à une poignée de femmes chefs et de journalistes venues découvrir ce restaurant raffiné.
Pour ce nouvel opus de 42 couverts, dont c’est ici la troisième déclinaison (après la version initiale à Paris, puis celle de Londres au Four Seasons Ten Trinity Square), Anne-Sophie Pic a pensé un espace tout en douceur, où tons rose poudré et luminosité font de la salle un écrin délicat. Le restaurant, dont l’ouverture officielle est prévue pour le 1er août, propose une carte agréable et fédératrice, où l’on retrouve les fameux berlingots de la chef (ici fourrés au Comté), suivis d’un plat emblématique de Jacques Pic (le loup au caviar et sa sauce champagne), ainsi que le dessert signature de la dame, le mille-feuille blanc. C’est au terme de ce déjeuner très spécial que nous avons pu interviewer la chef, seule femme française à détenir trois étoiles au guide Michelin. Un entretien à découvrir ci-dessous, auquel s’est joint son époux, David Sinapian, directeur développement du groupe Pic et président de l’association des Grandes Tables du Monde.
F&S : Comment s’est passé ce premier déjeuner à La Dame de Pic Singapour ?
Anne-Sophie Pic : De mon point de vue, ça s’est plutôt bien passé, sachant que pour un premier déjeuner, ça pouvait difficilement être mieux. À ce titre, il ne faut pas que je sois trop exigeante non plus ! (Rires).
F&S : Parlez-nous de ce nouveau restaurant.
A-S.P. : C’est comme un rêve. Je vis chaque moment de cette pré-ouverture avec bonheur. De fait, je ne suis jamais blasée, je suis toujours émerveillée de tout ce qui m’est offert. Ouvrir un restaurant ici, au Raffles Singapour, c’est une grande chance. D’autant qu’ici en Asie, je me sens comme un poisson dans l’eau. Ce continent me stimule beaucoup du point de vue culinaire, je m’y sens très à l’aise. China Town, le food market, tout cela suscite ma créativité.
F&S : Quelle a été la genèse de ce projet ?
David Sinapian : Nous avons reçu une demande de la part du Raffles en décembre 2017, qui souhaitait savoir si nous serions intéressés par la perspective d’y ouvrir une Dame de Pic. Bien sûr, nous avons dit oui, parce que ce lieu est mythique d’une part, mais aussi parce qu’il est chargé d’histoire pour nous. En effet, Anne-Sophie et moi y sommes allés en 1990, lorsque nous étions étudiants. Nous y sommes revenus en 2000, pour un événement qu’elle y a fait. Et 19 ans après notre première venue, nous y ouvrons un restaurant. C’est incroyable.
F&S : Singapour est connue pour être une destination food très vivante, qui bénéficie déjà d’une offre de restaurants aussi riche que variée. Du coup, craignez-vous que La Dame de Pic ne trouve pas sa clientèle ?
A-S.P. : Une nouvelle ouverture fait toujours peur. À Londres, lorsque nous avons ouvert La Dame de Pic London, j’avais peur au début, d’autant que le restaurant a mis du temps à démarrer la première année. Mais depuis, il a trouvé sa clientèle, et désormais il marche vraiment bien, nous sommes très contents. Au final, les choses se font… Ici à La Dame de Pic Singapour, j’apporte une touche française avec un peu d’Asie, dans ce cadre magnifique qu’est le Raffles. Je pense que ça plaira.
D.S. : Singapour ne nous a pas attendu pour être une destination très dynamique en terme de restaurants. Nous y apportons notre propre touche, notre singularité, en toute modestie. Disons que Singapour est un territoire gastronomique bien rempli, que l’on vient compléter.
F&S : Que pensez-vous de l’ouverture imminente au Raffles d’un bistrot par Alain Ducasse (le BBR by alain ducasse) ?
A-S.P. : J’en suis très très contente. Le Raffles est immense, et à ce titre les restaurants de l’hôtel ne seront pas en concurrence. J’ai d’ailleurs aperçu le restaurant Yì du chef Jereme Leung, dont le décor est très beau.
D.S. : Ce n’est pas de la concurrence, car même au sein de l’hôtel, ces différentes tables offrent une vraie complémentarité. À La Dame de Pic, nous serons dans la veine du chic décontracté ; tandis qu’Alain Ducasse sera dans celle du bistrot. Et puis, son établissement est situé dans les jardins, tandis que la Dame de Pic est dans le lobby de l’hôtel.
F&S : Cette Dame de Pic est votre première ouverture en Asie. Quelle est la prochaine étape ou destination du groupe Pic ?
D.S. : Nous n’avons pas d’objectif prédéfini en terme d’ouvertures. Les compagnies font appel à nous car notre fonctionnement et notre ADN sont désormais bien connus ; nous traitons les demandes au cas par cas. En tout, nous avons 350 personnes qui travaillent pour le groupe Pic, et nous sommes présents en France, en Angleterre, en Suisse au Beau-Rivage Palace à Lausanne, et ici à Singapour. La croissance du groupe prend aussi en compte nos collaborateurs et leurs envies ; à l’intérieur du groupe, nous faisons bouger ceux qui souhaitent changer de destination. Kevin Gatin du restaurant Anne-Sophie Pic en Suisse, par exemple, est venu ici. Quant à Anne-Sophie, elle se concentre sur la création, et incarne la figure du groupe ; les équipes et moi gérons le reste (la partie administrative, opérationnelle, etc.) J’essaie de protéger Anne-Sophie des soucis du quotidien, afin qu’elle puisse se consacrer entièrement à la cuisine.
F&S : De vos trois Dame de Pic, laquelle est votre préférée ?
A-S.P. : Je ne peux pas le dire ! (Rires). Plus sérieusement, je dirais que ce restaurant-ci est le plus féminin des trois. Il me plaît beaucoup, en tout cas. Mais les autres aussi.
Par Anastasia Chelini
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Très sympathique