Dai Jianjun, activiste du terroir chinois – épisode 8 : le canard séché

Nous sommes encore au cœur de l’hiver dans les montagnes du Zhejiang, Chine du Sud, environs de Suichang, district de Lishui, village de Huang Ni Ling et ferme expérimentale de Dai Jianjun, que vous commencez maintenant à connaître. La semaine dernière, nous avions assisté à la fabrication, du petit matin au début du soir, de gâteaux de riz gluant par tout un village. Et comme je l’avais précisé, ces journées de fabrication collective sont fréquentes. Il y a ainsi des jours à doufu (tofu), des jours de pressage de l’huile de théier, des jours où l’on tue le cochon, etc. Et il y a des jours pour le canard séché, jiang ya.

Une journée ne suffit pas à régler le sort du canard séché. C’est une affaire de plus d’une semaine. La recette de cette spécialité de Chine du Sud diffère selon les provinces. On le fait partout : dans les restaurants, chez les particuliers, dans les fermes pour vendre au marché. En Guangdong, le canard est séché avec un mélange de sucre et de sel et de quelques épices. En Zhejiang, on voit partout devant les façades, dans les jardins, dans les cours, des rangées de canards suspendus à des cordes comme du linge, en train de se momifier lentement à l’air froid de l’hiver.

C’est qu’on se caille, l’hiver, en Zhejiang. On se caille un peu partout en Chine, exception faite des régions très méridionales. À Huang Ni Ling, comme dans tous ces petits villages où souffle la bise, on sort les chaufferettes portatives. Les vieux et les enfants se baladent avec ces corbeilles suspendues aux poignets, remplies de braises. Un grillage protège les mains. On se les prête, on se les passe. C’est un sujet de conversation.

C’est le temps aussi où l’on fait sécher dans la cour le manteau de pluie ou de neige en paille tressée.

Jing, bien équipée pour l’hiver, admire un intérieur de ferme à impluvium serti de galets. Il fait un froid de canard. Un temps de canard. Un temps à canard.

Canard que l’on a plumé, vidé, ouvert et mis en jarre. On utilise pour cela le canard bruyant, c’est-à-dire le canard domestique qui fait coin coin. L’autre sorte de canard, le canard tranquille, autrement dit la sarcelle domestiquée, garde la basse-cour silencieuse. Il semble que la recette diffère un peu entre Gong Geng Shu Yuan, en pleine cambrousse, et à Hangzhou, au Manoir de Long Jing. À la montagne, il m’a semblé qu’on utilisait moins de sauce de soja. Quoi qu’il en soit, voici la recette que Zhu Yinfeng m’a donnée.

Plumer et vider les canards. Ouvrir largement la cavité ventrale. Préparer un mélange de sauce de soja du Zhejiang, de sucre candi et des épices suivantes : poivre du Sichuan, anis étoilé, écorce de cassia, feuilles de xiang ye (Daphne odorae ou daphné d’hiver), graines d’anis, écorce d’orange séchée (ingrédient cantonais que Zhu aime bien ajouter à sa marinade).

Frotter les canards de ces épices et les disposer dans une grande jarre, les couvrir de la marinade, poser sur le tout des lattes de bambou entrecroisées et une lourde pierre de granit pour garder les canards immergés. À Long Jing (photo ci-dessus), les gésiers des canards sont ajoutés à la marinade.

Au bout de deux jours de marinade, les canards sont égouttés et suspendus à l’air libre. Le séchage prend, selon le temps qu’il fait, entre cinq jours et une semaine.

J’ai vu ce cuisinier du Manoir de Long Jing couper les pattes de quelques canards en début de séchage. Peut-être avait-il besoin de pattes de canard pour un bouillon ou une soupe.

Plus longtemps le canard est séché, plus il est parfumé. Il est aussi plus dur.

Pour consommer, c’est très simple : découper le canard avec un couperet et le faire cuire vingt minutes à la vapeur.

Sous la dent, il est encore résistant, mals la peau grasse et élastique est tout imprégnée des parfums des épices. La chair résiste juste ce qu’il faut. C’est absolument délicieux. Je donne cent canards laqués pékinois pour un canard séché de Suichang au déjeuner. (Pour l’oie laquée cantonaise, des négociations sont à prévoir.) Si vous aimez le canard, c’est du concentré, de la quintessence de goût de canard. Soit dit en passant, ce plat est encore un bon exemple du goût de la cuisine du Jiang Nan pour l’extrême simplicité : plus la présentation est simple, plus la dégustation promet de luxe et d’extase.

C’est délicieux, mais c’est consistant. De quel légume va-t-on l’accompagner pour rafraîchir le palais ? Dans les jardins potagers de Gong Geng Shu Yuan croissent ces belles petites celtuces, toutes givrées par le grand froid.

Il suffit de les pocher et de les servir telles quelles, sans aucun ornement, avec un peu de sauce de soja. C’est le légume des dieux.

Rien n’empêche de les faire sauter avec plein d’ail. Mais il en est des celtuces d’hiver à Gong Geng Shu Yuan comme de tous les légumes qu’on y cultive et mange : ils découragent le végétarisme. Je m’explique : une fois qu’on a quitté ce lieu, il devient assez difficile de se contenter des légumes qu’on trouve ailleurs.
(À suivre… La série continue.)

À la petite cuillère
Textes et photos : Sophie Brissaud

Si vous voulez découvrir cette série depuis le début ou relire les épisodes précédents, voici les liens :
Dai Jianjun 1
Dai Jianjun 2 
Dai Jianjun 3
Dai Jianjun 4 
Dai Jianjun 5
Dai Jianjun 6
Dai Jianjun 7

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