Objet de toutes les attentions dans le Londres des années 2000, le restaurant Momo a tout juste rouvert, après plusieurs mois de rénovations (et 22 ans d’une existence bien remplie). Le but de ce rafraîchissement ? « Revenir meilleur que jamais », dixit le communiqué de presse. Pour caracoler toujours mieux parmi les place to eat du moment ; car après tout, pourquoi laisser tout le fun au Chiltern Firehouse, au Sexy Fish, à Gloria du groupe Big Mamma, et aux autres petits nouveaux de la capitale anglaise ? Au Momo London, donc, lieu historiquement socialite de la ville, on a mis les petits plats dans les grands, pour un retour en force réussi. Ce spot plein de good vibes, œuvre du restaurateur génialement fantasque Mourad Mazouz (qui est aussi le propriétaire et créateur de Sketch, ouvert avec Pierre Gagnaire, ainsi que de 404 et de Derrière à Paris), doit son succès à la combinaison de facteurs décisifs : un service impeccable, attentif et rythmé ; une cuisine d’inspiration marocaine, pleine de générosité et de saveurs ; et un décor chaleureux, morocco style, spacieux mais pas trop, avec juste ce qu’il faut d’espace et d’intimisme. Fort de cette formule imparable, Momo version 2019 a vu juste. On vous en dit plus ci-dessous.
Mardi soir, vingt heures. Me voilà évoluant dans un Londres radouci, où températures et heure tardive se réconcilient progressivement. Pas de doute, le printemps est là. En bout de la rue Heddon Street (qui abrite aussi un restaurant de Gordon Ramsay, le Heddon Street Kitchen), une adresse ne dort jamais, et ce soir moins encore : le flamboyant Momo. Ce restaurant, cela fait des mois qu’on m’en parle ; il fait partie intégrante de la cartographie des foodistes avertis. M’y voilà donc. Circonstances obliges, je fais connaissance avec la nouvelle version du Momo, la précédente ayant disparu sous les couches de peinture, troquant ses tons pâlissants contre des couleurs de caractère, et hébergeant le bar au centre du restaurant (avant, il longeait la façade, me dit-on.) Au milieu de l’ensemble, une oasis métallique découpe dans l’espace des impressions de voyage, que des palmiers prolongent symboliquement. En extérieur, le restaurant continue sur une jolie terrasse, où des braséros combattent les derniers frimas.
La carte, signée par le chef Hervé Deville (ancien chef exécutif du Sketch), déroule alternativement saveurs du Maghreb et plats méditerranéens, dont certains retwistés à la sauce londonienne (comme l’entrée au chou-fleur, par exemple.) Que les aficionados de cuisine marocaine optent pour la soupe Harira, fidèle reprise de la version originelle ; on en retrouve le goût, mais surtout la consistance, à mi-chemin entre épaisse et veloutée. Cette soupe, c’est des souvenirs intacts retrouvés. Accompagnée de chebakias, elle plonge le palais du mangeur dans un sentiment de retrouvailles.
À l’heure du plat, le conflit est rude : faut-il opter pour le couscous, qui est tout de même LA raison d’être initiale du Momo (Mourad Mazouz ayant décidé de créer Momo après avoir constaté que le couscous tel que servi à Londres n’était pas satisfaisant), ou pour la tangia, ce plat de viandes et d’épices si symbolique de Marrakech ? Allez, soyons fous : on prendra les deux. Et on fait bien ; car si le couscous est un sans-faute, servi dans des proportions on ne peut plus généreuses, la prouesse du lieu, c’est bien la tangia. De fait, réussir une authentique tangia marrakchia en plein Londres, et ce malgré l’absence de hammams dans la ville, ça relève du défi. (À noter, la tangia traditionnelle est mise à cuire dans un pot en terre, le tangia, placé dans les cendres du four du hammam ; il y mijote pendant six à sept heures). En lieu et place de hammam, donc, Momo dispose d’un four à braises Josper, qui restitue impeccablement le goût de la tangia. Rien que pour ça, le Momo a tout mon respect. Après tout, ce n’est pas tous les jours qu’on retrouve cette tendresse exacte de la viande, embaumée d’épices et de citron, à 3.000 kilomètres de distance du lieu dont elle est originaire.
Et puis, disons-le, l’espace cuisine du Momo est tout petit ; il s’agit d’une mince bande latérale de quelques mètres carrés, où s’entrecroise minutieusement une brigade alerte, rompue à l’organisation et à la souplesse des chats. Ce soir-là, plusieurs services ont été assurés, sans heurts ni faux-pas, sans longueurs ni attente. Vu la superficie de la cuisine, et la taille restreinte de l’équipe, chapeau.
Peu avant le dessert, une table voisine fête un anniversaire. Les lumières se voilent soudain, la musique se fait festive ; Aïda, la sympathique serveuse de chez Momo, louvoie entre les tables et fait retentir ses youyous, les bras chargés d’un gâteau illuminé de bougies. Tout le monde applaudit, l’ambiance est belle et les souvenirs, tangibles. On n’oubliera pas Momo de sitôt. Moi, fidèle pour toujours à mes souvenirs marrakchis, je commande une crêpe à trous (ou crêpe berbère traditionnelle), gorgée de crème d’Amlou et de bonheur. Le thé marocain est servi comme il se doit (c’est-à-dire, selon un geste d’équilibriste, très ample, maîtrisé, spectaculaire, qui voit le thé se jeter dans le vide en angle droit, avant d’atteindre, longtemps après, la tasse placée très en-dessous de la théière). On continue de se croire à Marrakech. Tout, de la forme des fenêtres, en passant par la bière Casablanca, rappelle la ville rouge – où Mourad Mazouz s’est souvent rendu, me dira-t-il en passant. Il y a emmené le chef, d’ailleurs ; qui, bluffé par les escargots mangés place Jemaa el Fna, en a fait une entrée ; elle figure désormais à la carte de Momo. Quand on vous disait que l’endroit est authentique…