Les Yeux dans les Yeux avec Oxana Ramat, cheffe de Cromagnon : « J’ai choisi un métier dans lequel je ne vais jamais m’ennuyer ! » 

Les Yeux dans les Yeux avec Oxana Ramat, cheffe de Cromagnon : « J’ai choisi un métier dans lequel je ne vais jamais m’ennuyer ! » 

A seulement 31 ans la jeune femme moldave Oxana Ramat a décidé de changer sa vie grâce à la cusine. Elle se reconvertie grâce à une formation au centre de formation d’Alain Ducasse et travaille aussitôt sur son projet de restaurant, Le Cromagnon ouvert il y a 11 mois en plein coeur de Bordeaux. Food&Sens a voulu lui poser quelques questions pour mieux comprendre son aventure. 

        

Comment avez vous commencé votre parcours de chef ? 

Oxana Ramat: J’ai commencé par un apprentissage avec le Chef Jean-Luc Molle et l’enseignant Stéphane Begu à l’école culinaire de Jean-Luc Molle à Blanquefort. J’ai été formé pendant 4 mois et après avoir validé mes examens, j’ai effectué mon stage de fin d’étude chez Jean-Luc Molle. J’ai aussi effectué un stage de quelques jours à l’École d’Alain Ducasse et en septembre 2017 j’ai commencé à prépararer l’ouverture du restaurant. 

Pourquoi vouloir devenir chef ? 

J’ai toujours aimé la cuisine, avec mon mari j’ai eu la chance de voyager avant d’avoir notre fille… Je me disais que devenir chef c’est déjà trop tard, j’avais déjà 31 ans, j’ai déjà fait mes études et c’était impossible de changer le cours de ma vie. 

Finalement on a décidé d’ouvrir un restaurant avec un chef, mais ça a été tellement compliqué que j’ai dit : Peut-être que c’est moi qui va devenir chef. Et c’est exactement ce qui s’est passé. Aussi, quand j’ai commencé à faire quelques plats et qu’il y avait des professionnels qui les goutaient et qui disaient que c’était peut-être pas trop mal, j’ai dis à mon mari que je veux être chef et il m’a soutenu. Ce qui a été le plus difficile c’est de se décider. Une fois la décision prise – j’avais l’impression d’être sous une bonne étoile, tout marchait très bien. Il faut juste se persévérer et ne pas faire attention aux obstacles sur le chemin. 

Nantua soupe d’écrevisses, jardin de légumes et champignons de saison

Avez-vous repris un restaurant ? 

Avant c’était une épicerie, un petit lieu pour les soirées entre copains, un peu comme un bar à vins. On a refait tout l’intérieur parce qu’il n’y avait pas grand chose pour faire vraiment de la cuisine. 

Pourquoi vouloir s’installer à Bordeaux ? 

Quand je suis arrivée en France de Moldavie il y a 12 ans, je me suis tout de suite installée à Bordeaux et j’ai toujours aimé cette ville. J’ai vu l’évolution de la ville et j’ai toujours voulu avoir quelque chose à moi à Bordeaux. 

Cuisine Parisienne ou cuisine bordelaise ? 

Je préfère aller rencontrer les chefs de Sud-Ouest, pour moi Paris c’est trop étouffant. 

Comment avez-vous préservé la régionalité de votre cuisine? 

Je travaille beaucoup les produits locaux et j’introduis pas mal d’influences dans ma cuisine. J’ai quelques influences japonaises, j’aime bien l’Italie et les influences de mon pays. Je propose du vin de Moldavie, je travaille la griotte comme on le fait chez nous, il y a aussi quelques pâtisseries où j’utilise la recette de ma maman. C’est un petit clin d’oeil aux origines. 

Jardin de thon

Mon père est moldave et ce qui m’avait bcp marqué en Moldavie, c’est la pastèque salée marinée. Vous n’avez pas encore ce plat sur votre carte? 

Pas encore mais c’est une bonne idée! Je vais y réfléchir. 

Vous étes plutôt sucré ou salé? 

Salé, absolument salé. 

J’ai regardé quelques photos de vos desserts qui sont assez originaux, est-ce que vous les créez vous-même ou vous travaillez avec un pâtissier? 

C’est moi qui crée les desserts de ma carte et j’avoue que pour l’instant je manque d’expérience et de connaissance dans cette branche, même si Stéphane Begu essaie de m’y donner le goût. J’espère qu’un jour je pourrais me permettre d’avoir un vrai pâtissier qui aura ma sensibilité. Je suis plus attirée par le salé, car ici on a pas de limites, tandis que la pâtisserie c’est assez stricte, assez pointu, il faut de vraies connaissances, de vraies techniques. Je me retrouve mieux dans le salé. La pâtisserie c’est un métier à part. Les desserts que j’ai sur ma carte, je les travaille plus comme des produits : qu’est-ce que je vais composer, est-ce que je vais les déstructurer, c’est là aussi où le métier du design produit me sert. Pour faire mes desserts je vais travailler les produits qui ne sont pas très sucrés. En général les desserts que je propose ont beaucoup d’acidité ou deы notes autres sucrées. 

Tataki de veau de Galice

Quel est votre dessert du moment sur la carte? 

Il y en a 3 que je suis en train de changer. Il y a un sablé breton avec un crémeux au miel et une ganache au chocolat blanc aromatisé aux pétales de roses de Damas produites en Dordogne. 

Je travaille également sur une glace au plancton pour faire un dessert salé d’après le conseil d’un client. Ce sera un dessert de chef plutôt qu’un dessert d’un pâtissier. 

Sinon, actuellement nous avons un mi-cuit au chocolat avec un crumble cacao amer, ganache au chocolat au lait et gingembre. Mon dernier dessert s’appelle salade de fleurs. Il est à base de chocolat blanc dans lequel on imprime différentes fleures, il est servi avec une glace au yuzu, un financier et thé vert. 

Vous avez dit avoir suivi un conseil d’un de vos clients pour modifier un dessert… Cela vous arrive souvent? 

Tout le temps. Je suis très sensible aux commentaires que les clients nous laissent. Parfois ce sont de vrais connaisseurs qui ont une expérience dans le domaine et leurs retours peuvent me donner des idées pour rajouter un nouvel élément ou en enlever un. Là c’était un client qui a pris le menu dégustation et qui m’avait dit qu’à la fin du repas on ne souhaitait plus un dessert très copieux mais plutôt de quelque chose d’acidulé, de léger. J’ai trouvé que c’est une très bonne idée et je vais l’appliquer. 

Quelle est votre clientèle habituelle ? 

Il y a des gens du quartier, il y a des gens qui viennent de loin, il y a des gens qui adorent découvrir, il y a des étrangers qui reviennent, notamment des russes qui sont venus déjà plusieurs fois. Nous avons des familles avec les enfants, des jeunes. Nous essayons de proposer une cuisine qui puisse satisfaire au plus grand nombre de personnes, après il faut aimer la cuisine avec les influences et ne pas vouloir rester dans le très traditionnel. 

Filet de bar au thé fumé et tobiko, feuille de cerisier Sakura

Vous êtes ouverts que les soirs, pourquoi le soir? 

Oui j’ai fermé les midis à partir du premier octobre parce que je suis maman et j’ai décidé de faire un compromis à ce sujet pour voir ma fille. 

Quelle est votre équipe aujourd’hui? 

J’ai un second, une dame qui nous aide avec la vaisselle et qui fait le ménage, j’ai aussi un maitre-d’hôtel. Mon bras droit Olga est ma copine d’enfance. Elle a changé de vie pour m’aider à vivre ma passion pour la cuisine. 

Quelles sont les avantages et les inconvénients d’être une femme chef? 

C’est juste un ressenti mais je trouve qu’on est pas souvent prises au sérieux quand on rencontre les collègues chefs. J’ai vu cette attitude de supériorité de la part de certains chefs hommes. C’est un peu gênant et ça peut couper l’élan. Mais d’un autre coté il y a une grande famille qui nous aide, qui nous encourage, qui nous donne des conseils, certains peuvent venir aider dans le restaurant, ce qui était le cas de Jean-Luc Molle, de Stéphane Bégu qui donnait des conseils sur l’évolution de la cuisine, sur la dégustation… Il y a des chefs qui sont plus accueillants et plus ouverts, il y en a d’autres qui sont plus enfermés. Je pense que c’est pareil dans tous les domaines. Après, ça dépend des générations. 

Est-ce que vous faites parti d’associations professionnelles ? 

Pas encore. Je pense que c’est tot, j’ai encore mes preuves à faire. J’essaie quand même de participer à tous les événements qui se passent à Bordeaux autour de la gastronomie, notamment S.O Good. Quant aux associations, j’en connais beaucoup mais je ne sais pas si c’est le moment d’y adhérer. 

Parmi les chefs il y a ceux qui adorent faire des concours et ceux qui préfèrent rester en cuisine. Allez-vous un jour essayer de participer à un concours? 

Oui, je vais essayer. J’ai une phobie folle du public mais j’essaye de m’améliorer. J’ai déjà fait quelques démonstrations, ça aide beaucoup pour se dépasser. J’aimerais absolument faire un concours. C’est aussi pour cela que je me suis dégagée un peu de temps pour trouver exactement ce que j’ai envie de faire. C’est vrai que les concours sont à priori reservés aux jeunes, je cherche encore un point d’entrée. 

Est-ce que vous avez prévu d’aller à l’étranger pour vivre une autre expérience professionnelle ? 

C’est sur que c’est important de faire une expérience à l’international. J’adore les influences, j’aimerais bien aller aux États-Unis et au Japon. Même si on dit qu’on mange très mal aux Etats-Unis, il y a une telle concentration des cultures! 

Pouvez-vous résumer votre cuisine en un mot? 

C’est surtout une cuisine de partage. J’adore partager les choses et j’aime surprendre. 

Si j’ai bien compris, la particularité de votre cuisine c’est que vous proposez une cuisson sur une pierre de l’Himalaya ? 

C’est ce avec quoi on a débuté. C’était un essai mais ce n’est plus ce qui me correspond aujourd’hui. Ce n’est pas quelque chose que je mettrais en valeur aujourd’hui dans mon restaurant. Ce seraient surtout les influences, les produits locaux qui sont assez connus mais qui arriveront à surprendre les clients grace aux influences étrangères que je vais trouver. 

Le produit que vous préférez cuisiner? 

Le poisson et les fruits de mer. 

Quel est le produit que vous avez découvert récemment que vous ne connaissiez pas encore?

Le produit que je connaissais mais que je n’ai pas encore travaillé c’est le plancton. 

Combien d’heures avez-vous passé en cuisine depuis l’ouverture de votre restaurant ? 

Ce serait plus facile de calculer le nombre d’heures que je n’ai pas passé en cuisine… Même quand je ne suis plus en cuisine dans ma tête j’y suis toujours. 

Vous cuisinez chez vous ? 

Je ne cuisine pas chez moi, je ne ramène pas le travail à la maison. Mais je suis toujours dans la recherche, à lire des magazines professionnels, à prendre des notes, si je vois quelque chose d’intéressant, je le note, j’ai des milliards de notes de partout. Si j’ai quelque chose que j’aimerais travailler, j’appelle Jean-Luc Molle pour lui demander des conseils techniques… C’est du non-stop. 

Pendant le service avec Olga, son bras droit. Photo prise par le client Francisco Echeverry

Quels sont vos principales sources d’inspiration ? 

Principalement les magazines et les livres de chefs qui émergent. Le dernier livre que j’ai lu c’est Aska de Frédérick Berselius. 

Aujourd’hui vous êtes épanouie, êtes-vous persuadé que c’est votre métier de la vie ? 

Oui, absolument. Je regrette parfois de ne pas l’avoir fait plus tôt. C’est sur que je voudrais faire ça toute ma vie. C’est un métier dans lequel je ne vais jamais m’ennuyer. Il y a tellement de choses à apprendre et j’apprends tous les jours. C’est ça qui est intéressant. 

Est-ce qu’il y a un chef avec qui vous aimeriez faire un diner à quatre mains ? 

Il y en a plusieurs. Il y a un que j’adore c’est Christopher Coutanceau à La Rochelle.

Une femme chef qui vous inspire ? 

Anne-Sophie Pic, sans doute. Je ne suis pas encore allée manger chez elle, mais je connais bien ses livres, ses plats signatures, c’est une femme que j’admire beaucoup. Un jour j’irai certainement manger chez elle, c’est prévu…

Copyright texte: Food&Sens – Irina Erblang-Rotaru / Photos: Justine Celle 

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