Au fil des saisons, il construit une cuisine sans artifices, dictée par le respect du produit et la sincérité de l’expression. Avec lui, chaque plat raconte une histoire, chaque ingrédient est porteur d’un passé et d’un avenir. Dans cette interview, David Žefran nous ouvre les portes de son univers et de ses convictions.
Slovénie : entre traditions et renouveau culinaire
Perché au creux des Alpes juliennes, Milka n’est pas qu’un restaurant : c’est une vision. Celle de David Žefran, chef inspiré, qui conjugue l’héritage slovène avec une lecture contemporaine de la cuisine alpine. Entre introspection et engagement, il nous livre une réflexion brute sur son métier, son pays et la responsabilité du cuisinier moderne.
« Nous avons une cuisine hybride, et c’est notre force. »
La Slovénie gastronomique s’inscrit à la croisee des influences : l’Autriche, l’Italie, les Balkans, la Hongrie. Pourtant, elle peine encore à affirmer une identité propre. « Nous n’avons pas de plat totem comme la France ou l’Espagne, mais nous avons une richesse unique », affirme David Žefran.
Chez Milka, il ne s’agit pas de reconstituer un passé culinaire figé mais d’explorer la singularité de ce terroir mouvant. « Plutôt que d’imiter, je veux comprendre les produits et raconter une histoire qui nous appartient », explique-t-il. Cette hybridation assumée devient un terrain d’expression unique.
Sa cuisine se veut un dialogue constant entre tradition et modernité. « Chaque ingrédient raconte une histoire. Mon rôle est de la faire entendre sans artifices », résume-t-il avec conviction.
Les souvenirs d’enfance : une source d’inspiration
L’enfance de David Žefran est marquée par des souvenirs gustatifs profondément ancrés. « Je me souviens des matins où ma grand-mère préparait des pâtes fraîches, simplement assaisonnées avec du beurre et un peu de sucre. C’était un repas humble mais chargé d’émotion », raconte-t-il. Ces instants de partage autour de la table familiale ont forgé son approche de la cuisine, où l’émotion prime sur l’esbroufe.
Il évoque aussi les longues journées passées à observer sa famille transformer les produits de la ferme. « Nous n’avions pas de supermarché à proximité, tout se faisait à la main : le pain, le fromage, les confitures. C’est là que j’ai appris à respecter les ingrédients », confie-t-il. Cette immersion dans une cuisine simple et vraie se retrouve aujourd’hui dans ses plats, où chaque élément raconte une histoire sincère.
L’un de ses souvenirs les plus marquants est un dessert préparé par sa mère : une soupe de lait chaud avec des morceaux de pain et une pointe de miel. « Cela peut sembler anodin, mais ce goût de l’enfance est resté gravé en moi. Je l’ai réinterprété dans une version plus sophistiquée pour Milka, en jouant sur les textures et la douceur du lait », explique-t-il. Ces réminiscences deviennent ainsi la pierre angulaire de son identité culinaire.
Un apprentissage autodidacte, une vision sans compromis
Sans mentor, sans grand nom auquel se référer, David Žefran a tout appris sur le terrain. Ce parcours atypique lui a forgé une vision tranchée de la gastronomie. « Je ne veux pas d’un restaurant qui se plie aux codes pour exister. Milka doit être une réponse personnelle à mon parcours », affirme-t-il.
Les premières années ont été une lutte quotidienne. Apprendre à gérer une équipe, trouver son public, définir une offre : tout était à construire. « Être chef aujourd’hui, ce n’est pas seulement cuisiner. C’est aussi diriger, inspirer et défendre une éthique de travail », souligne-t-il.
Milka est donc une extension de lui-même, un espace où il traduit ses valeurs culinaires en expériences. « Si je perds cette sincérité, alors tout s’effondre », admet-il.
Entre radicalité et ouverture : un style affirmé
Loin des tendances éphémères et du sensationnalisme, David Žefran revendique une cuisine sobre, directe. « Je refuse d’ajouter pour le simple plaisir de complexifier. Mon travail consiste à épurer l’assiette, pas à la surcharger », explique-t-il.
Ce minimalisme assumé ne rime pas avec austérité. Chaque assiette révèle une intensité particulière, un travail de fond sur l’extraction du goût. « On doit ressentir une émotion, pas seulement admirer la technique », insiste le chef.
Cette recherche de sincérité se retrouve aussi dans sa gestion des produits. Il préfère valoriser les ingrédients simples, locaux, plutôt que d’aller chercher l’exotisme inutile. « Un bon produit n’a pas besoin de détour. Il doit s’exprimer par lui-même ».
Milka, un manifeste culinaire en perpétuelle évolution
À travers Milka, David Žefran redessine les contours d’une haute cuisine slovène contemporaine, libérée des dogmes et des modes. Son engagement, loin d’être un manifeste rigide, est une exploration continue. « Un restaurant n’est jamais achevé. Il doit être en mutation permanente pour rester vivant », confie-t-il.
Sa volonté de transmission et son désir d’impact à long terme font de lui un acteur clé de l’écosystème gastronomique slovène. Milka est bien plus qu’une adresse étoilée : c’est une pierre angulaire de l’avenir culinaire d’un pays en quête d’affirmation.
Propos recueillis par Guillaume Erblang