A quelques jours de Noël, Luc Dubanchet réunit les jeunes chefs pour les 15 ans d’Omnivore – Mais qui est vraiment Luc Dubanchet ?

 Alexandre Mazzia, David Toutain, Anne-Sophie Pic, Adeline Grattard, Jean-François Piège, Sébastien Bras, Giovanni Passerini, Pascal Barbot, Alexandre Gautier, Thierry Marx, Amélie Darvas, Taku Sekine, Grégory Marchand… ils étaient tous là hier à Paris autour de Luc Dubanchet pour fêter les 15 ans de Omnivore.

Mais qui est vraiment Luc Dubanchet, celui qui en un simple coup de téléphone est capable de réunir les plus grands chefs de France… allez, soyons fous … de la planète ! ?

F&S a déniché un article de 2016 du mag Time Out … vous allez tout comprendre !

LUC DUBANCHET – Agitateur Food et créateur d’Omnivore

Il fait partie de ces personnes que l’on reconnaît instantanément sans jamais les avoir rencontrées physiquement. A sa démarche particulière, sa façon de se mouvoir. A sa dégaine aussi, jean et t-shirt noir, lunettes rondes, avant-bras tatoués : à droite, un chevalier du peintre Alexander Calder, à gauche, l’esquisse de la poétesse russe Anna Akhmatova de Modigliani. On l’imagine ancien amateur de new wave, on le découvrira fan depuis toujours des requiems de Mozart.

ANNE SOPHIE PiC

Son enfance, Luc la passe dans les années 1970 à Chazelles-sur-Lyon, près de Saint-Étienne, une ville industrielle entourée de champs. Ses grands-parents sont cafetiers, son père industriel, directeur de la fabrication d’une usine de saucissons. Parmi les goûts de son enfance, il se rappelle des œufs et du beurre moulé au lait de vache, déposés sur les marches de la maison de sa grand-mère qu’il remontait en rentrant de l’école, des fritures de poissons dégustés chez des vieilles dames qui tenaient restaurant dans leur cuisine, des légumes et des fruits de son jardin. « Je n’ai pas vu de produits emballés et de supermarché avant mes 10-12 ans. C’est à cette époque qu’un Casino a ouvert. Ca correspondait à la mutation de la France avec les grandes surfaces. J’ai ressenti cette perte de goût d’une manière très forte. »

Il se souvient des dîners du dimanche que préparait son père, des langoustes en bellevue dans un grand plat en inox, du pâté en croûte et du saucisson brioché : « De la cuisine old school. » De sa mère aussi qui cuisinait « midi et soir un menu entrée-plat-dessert pour cinq personnes. » Et tout jeune, le plaisir de dîner au restaurant pour celui qui en fera, en partie, son métier quelques années plus tard. « Aller au restaurant m’a toujours excité. Dans ma famille, plutôt du genre taiseuse, toutes les grandes choses se passaient à table. » Excitation aussi lorsqu’il peut pour la première fois choisir le vin à La Poularde, alors restaurant mythique étoilé de Montrond-les-Bains. Ce sera un Corton-Charlemagne 86, « un vin blanc absolument prodigieux, je n’y connaissais rien, je l’avais certainement choisi à cause du nom. Je m’en souviens physiquement. » Le discours du jeune sommelier de l’époque, Eric Beaumard (aujourd’hui au Georges V) lui fait grand effet. « En tant que gamin, c’était magique, il racontait ça d’une façon complètement dingue. »

PASCAL BARBOT –

« Je me vivais un peu comme un plouc, ma relation aux autres était compliquée, c’est pour ça aussi que j’étais en cuisine. »

En classe préparatoire à Saint-Étienne, il se met aux fourneaux. Il bachote le concours de l’ESJ avec son ami Emmanuel Poncet (aujourd’hui rédacteur en chef chez GQ) en cuisinant « à l’aide de bouteilles de pinard piquées chez mon père ». Une fois reçus à l’école de journalisme lilloise, les deux amis transforment logiquement leur colocation en auberge improvisée pour tous les copains. « J’étais passionné de littérature, de musique classique, j’avais des cassettes audio avec Mozart et Bach, je n’avais aucune idée de qui était Miossec ou Bernard Lenoir. Je me vivais un peu en plouc. Ma relation aux autres était compliquée, c’est pour ça aussi que je me sentais bien en cuisine. » La cuisine déjà un vecteur de rencontre et d’échange donc, même si ce n’est pas toujours une passion facile à assumer intellectuellement à l’époque « mais j’adorais cuisiner, je ne pouvais pas le cacher, c’était en moi ».

Ce sera ensuite BFM, puis Europe 1, où il sera journaliste pendant cinq ans. A Paris, rue Cadet, il va acheter son vin chez le caviste (« J’étais super épaté, ils emballaient les bouteilles dans du papier de soie ! ») et ses poulets chez Ed l’Epicier (« Il y avait un poulet fumé horrible mais vraiment pas cher à 10 francs »). Dans son studio de 25 m2, ces amis sont nombreux à se presser pour dîner autour de l’ancienne table de bistrot de ses grands-parents.

TAKU SEKINE

« Pourquoi, vas-tu travailler chez Gault et Millau, tu es malade ? Tu es dépressif ? Tu ne vas pas bien ? »

Après un changement de direction à Europe 1 qui signe son départ et un passage d’un an dans une radio lilloise, Luc a une proposition pour bosser au Gault et Millau, guide gastronomique alors un peu poussiéreux, grâce à Nicolas Demorand, frère de son ami Sébastien, rencontré à Europe 1. A ce moment-là, la cuisine n’est pas à la mode. « Après la crise, la guerre du Golfe, les gens n’ont pas de pognon, la cuisine ronronne. » Ses amis s’étonnent de ce choix : « Pourquoi vas-tu bosser là-bas, tu es malade ? Tu es dépressif ? Tu ne vas pas bien ? » « La bouffe comme un sentiment de déclassement », résume-t-il. 

L’action prend place dans un hôtel particulier du 16e :« On était en costume, parfois même en cravate, on n’était clairement pas en train de faire la bulle Internet. » Mais le plaisir est là. « Henri Gault, un des deux fondateurs, nous a pris sous son aile, on est devenus ses chouchous, il nous promenait dans sa 405 coupé jaune à la rencontre des chefs. » Avec son partenaire de crime, Sébastien Demorand, il écume les restaurants : « Sébastien est un dingue de bouffe. On allait au resto midi et soir cinq jours sur sept. Je me souviens de ce menu au Pré Catelan qu’on a commandé en entier : vingt-cinq plats. On en était malades. » Il rencontre des chefs comme Pascal Barbot qui lance alors un restaurant de dix tables dans le 16e : « Une cuisine étonnante, on s’est dits que ça ne marcherait pas. » C’est devenu la super grande table que l’on connaît aujourd’hui, où les jeunes chefs rêvent de travailler : l’Astrance.

«  Il n’y a qu’à ouvrir le Guide Michelin de cette année pour lire ce vocabulaire délavé, cette platitude. »

Il ne s’agit pas que de « bouffer » évidemment mais de raconter la gastronomie, en sortant des poncifs habituels, du vocabulaire bourgeois, ennuyeux, attendu, à l’image de la cuisine de l’époque.  « Avec Sébastien on se challengeait, pour utiliser des mots qui avaient un sens. Pas les sempiternels « intéressant », « gourmet », « terroir ». Encore aujourd’hui, je dis à mon équipe : « Vous laissez de côté ce vocabulaire à la con, je veux qu’on comprenne le goût, l’origine du produit, d’où il vient, comment. Il n’y a qu’à ouvrir le Guide Michelin de cette année pour lire ce vocabulaire délavé, cette platitude. » Comment nomme-t-il son propre métier alors ? Journaliste gastronomique ? Critique culinaire ? Non. Journaliste tout court. « Ma position n’a jamais changé, j’ai couvert les matchs de foot pour la tribune de Saint-Étienne, les attentats parisiens de 1995 ou les chefs triplement étoilés de la même façon. Je ne suis pas dupe. C’est toujours l’envie de comprendre qui m’anime, faire accoucher une parole. »

GREGORY MARCHAND

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