» La Vente à Emporter  » – une solution d’attente pour ne pas couler et couvrir une petite partie des frais

 Beaucoup de restaurateurs indépendants « se sont mis à la vente à emporter «  non pas pour s’occuper, mais tout simplement pour sauver leur entreprise de la faillite. Souvent, leurs employés sont en chômage partiel, mais eux n’ont droit à rien ( en tout cas ce qu’ils touchent ne couvrent pas leurs frais, loin de là ), alors ils proposent leur cuisine à leur clientèle, qui emportent leurs préparations à domicile.

 

À situation exceptionnelle, adaptation exceptionnelle et rapide, changement de cap pour nombre d’entres eux, sur plusieurs jours par semaine ils ont imaginé des menus et des plats faciles à transporter, c’est une question de survie pour leurs commerces.

FranceTVinfo a mené l’enquête ( par YThomson)

Quand tu ne peux plus aller au P’tit Baudet, le P’tit Baudet vient à toi. A Hinges, commune de 2 500 habitants au nord de Béthune (Pas-de-Calais), le bar-tabac-brasserie situé en face de l’église s’apprête à reprendre vie, vendredi 24 avril. Pas question pour les clients d’y remettre les pieds, coronavirus oblige, mais l’activité de restauration va redémarrer avec un nouveau service de livraisons et de vente à emporter. Trois euros la petite quiche, cinq euros les lasagnes et six euros le cassoulet. Un service minimum, adapté aux contraintes du confinement et de la distanciation sociale.

« On n’a pas le choix », explique Martial Antoine, 25 ans, qui a repris l’affaire avec sa mère il y a trois ans et demi. Les charges et le loyer continuent de tomber pendant le confinement et cela a déjà bouffé notre trésorerie. Je me retrouve à découvert de 5 000 euros, malgré les 1 500 euros d’aide du fonds de solidarité. » Son unique salariée a bénéficié du chômage partiel mais le jeune gérant s’est retrouvé, comme sa mère, privé de revenus. Pour subvenir à ses propres besoins et à ceux de son fils de deux ans, il s’est tourné vers un hypermarché pour y faire de la mise en rayons en CDD.

C’est qu’il vaut mieux se montrer prévoyant. A ce jour, « aucune date » de réouverture des cafés et des restaurants n’a encore été déterminée, selon les mots du ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, jeudi, sur franceinfo. Le trio du P’tit Baudet a donc décidé de reprendre du service, avec de nouvelles mesures d’hygiène : masques en cuisine et des créneaux de retrait des commandes toutes les dix minutes pour éviter la foule. « Si on arrive à faire 2 000 euros pour payer le loyer et le salaire de mon employée, ce sera un bon début, dit Martial Antoine. J’ai bon espoir. On a déjà 114 plats commandés pour vendredi et samedi. Les habitants disent qu’on fait vivre le village et nous soutiennent. »

« Le meilleur moyen de sauver les meubles »

Les chiffres ne mentent pas : les 168 000 restaurants de France font partie des établissements les plus durement touchés par les mesures de confinement. Dans les entreprises de 10 salariés et plus, à peine 9% des salariés de l’hébergement et de la restauration se rendaient encore sur leur lieu de travail au 31 mars, selon une enquête du ministère du Travail. Le chômage partiel est largement utilisé. Emmanuel Macron doit se prononcer, vendredi matin, sur de nouvelles mesures d’aides destinées à éviter des faillites massives.

Sans attendre ces annonces, des chefs ont rapidement repris le chemin des fourneaux. Sur plus de 2 500 restaurateurs consultés début avril, l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (Umih) rapporte qu’ils « déclarent à 4,1% faire de la vente à emporter et à 2,3% de la vente en livraison ». Et chaque jour, leur nombre s’accroît, nous précise l’Umih.

Dans le centre de La Flèche (Sarthe), le chef de La Table de Laurène, Laurent Compain, fait figure de pionnier. Il a été l’un des premiers à rouvrir, le 17 mars, trois jours après l’annonce nationale de la fermeture. « Ce métier, c’est une addiction, dit-il. Surtout, j’ai voulu aller de l’avant et ne pas creuser ma tombe. »

Mon entreprise n’aurait pas pu survivre en restant fermée. Laurent Compain gérant d’un restaurant à La Flèche (Sarthe)

Sans ses salariés, mais avec sa femme, il prépare des burgers à 7 euros et un menu gourmand à 20 euros, sept jours sur sept. Une vingtaine de couverts sont servis les jours de semaine, le double pendant le week-end. Sans service en salle, évidemment. Désormais, tout se passe à la porte. « Je fais 15 à 20% de mon chiffre d’affaires, estime le chef. C’est le meilleur moyen de sauver les meubles. Cela paye mon loyer et maintient le bateau à flots pour qu’il renavigue dans quelques mois. »

Un drive au milieu des sapins

La vente à emporter se décline aussi loin des centre-villes. Depuis deux semaines, l’hôtel-restaurant Au Bois de la biche propose un drive perdu au milieu des sapins de la frontière suisse, à 5 km de la mairie de Charquemont (Doubs). Les menus à 25, 37 ou 49 euros ont disparu, remplacés par une carte de quatre entrées et cinq plats préparés par les deux propriétaires, sans le personnel habituel.

« Les gens viennent des villages alentours. Ils commandent la veille, nous attendent sur le parking et on sort de la cuisine, explique Joffrey Marcelpoix, qui seconde son père en cuisine. La clientèle suisse a disparu, mais on arrive à peu près à couvrir les frais fixes. »

Plus au sud dans le département, à Pontarlier, on peut emporter ses repas pour toute la semaine. Le restaurant-salon de thé Midi Treize s’est mis à vendre des lots de 12 à 24 portions salées, de 95 à 190 euros. « L’idée est de limiter au maximum les déplacements des gens, explique Léa Delgrande, la co-gérante. De toute façon, mon frère et moi ayant chacun des enfants, on ne peut pas travailler comme on le voudrait en semaine. On prépare tout le samedi et les retraits se font le dimanche. » Le carnet de commandes est complet pour les deux prochaines semaines, de quoi entrevoir une sortie du confinement « à l’équilibre ».

« Un trop gros risque de pertes » pour certains

Le salut des restaurateurs passe-t-il forcément par cette vente à emporter improvisée ? Le président de la branche restauration de l’Umih, principal syndicat patronal du secteur, est sceptique. « Si on est seul dans son périmètre géographique, avec un potentiel de clientèle, pourquoi pas, estime Hubert Jan. Mais il n’y a pas de vrai marché. »

Tout le monde a évoqué cette piste, même la secrétaire d’Etat. Je leur ai dit : ‘Calmez-vous. On ne trouve pas ses clients comme ça du jour au lendemain.’ C’est une fausse bonne idée.Hubert Janprésident de l’Umih Restauration

De nombreux professionnels abondent dans ce sens. « La vente à emporter implique des dépenses que je ne pourrais pas me permettre actuellement en produits frais et une incertitude quant à la vente de nos produits, admet la propriétaire de La Villa Vauban, à Langres (Haute-Marne), Annabelle Logerot. Cela représente un trop gros risque de pertes. »

L’horizon est particulièrement bouché dans les zones touristiques. Dans le Finistère, le président de la Fédération de la crêperie évoque « des trésoreries au plus bas » près des plages, alors que le mois d’avril marque normalement le lancement de la saison. La vente à emporter n’aurait que peu de chances de succès avec la seule clientèle locale, selon Gilles Stéphan, qui tient Le Champ des sirènes, à Plomeur : « Dans le pays bigouden, tout le monde a une crêpière et profite justement du confinement pour faire des crêpes ou des kouigns à la maison. » 

« Un boom dans les semaines et mois à venir »

Le président de la branche restauration du Groupement national des indépendants (GNI) se montre presque aussi réservé que son homologue de l’Umih. « Chacun doit faire ce qu’il a à faire pour sauver son entreprise, mais c’est potentiellement risqué, prévient Laurent Fréchet. Il faut le matériel pour assurer la sécurité sanitaire, les gens peuvent avoir peur de venir retirer des repas et l’option de la livraison n’est pas non plus une panacée si vous faites appel aux plateformes avec leurs commissions de 34%. »

J’alerte aussi les restaurateurs sur le fait qu’il pourrait être plus difficile de négocier leur loyer avec leur bailleur s’ils ont maintenu une forme d’activité, même minime. Laurent Fréchet président du GNI Restauration

Propriétaire de sept restaurants à Paris, ce représentant patronal estime que « d’autres voies sont possibles » et appelle les restaurateurs à « se battre pour obtenir un prêt garanti par l’Etat ». Ce prêt peut représenter jusqu’à trois mois de chiffre d’affaires et « doit sauver un grand nombre d’entreprises », souligne-t-il.

Pour autant, Laurent Fréchet reconnaît que la vente à emporter et les livraisons « vont connaître un boom dans les semaines et les mois à venir ». La réouverture des établissements se fera « avec des contraintes de distanciation, avec moins de touristes français et sans clientèle étrangère »« loin des taux de remplissage record ». D’où l’intérêt de trouver des parades.

« C’est un nouveau métier pour nous »

Dans les ruelles du Vieux Nice, les propriétaires du restaurant indien Mother India ont déjà une certitude : « Il faut réinventer quelque chose ». Avec des règles de distanciation, Jeganathan Kumaravelu et Catherine Walfard ne pourraient plus accueillir que « 7 à 10 clients », contre 30 auparavant. « Même avec ça, les gens ne voudront peut-être pas s’asseoir dans un restaurant à côté d’inconnus, c’est donc vital pour nous de développer la vente à emporter. »

A découvert mais avec le soutien de sa banque, le couple a déjà relancé son activité pour tenter de conquérir une nouvelle clientèle locale. Il imagine faire évoluer les missions de ses deux salariés, actuellement en chômage partiel, vers « moins de service en salle et plus de commandes ». Opposé aux grandes plateformes de livraison, il réfléchit à un rapprochement avec d’autres restaurants pour embaucher un livreur ou faire appel à des coursiers à vélo.

Au Havre (Seine-Maritime), on se réinvente déjà. Depuis qu’il s’est mis au drive et à la livraison, le restaurant Les Enfants sages s’est rebaptisé Les Enfants sages ont la bougeotte. « C’est un nouveau métier pour nous, on ne le faisait pas du tout avant, confie Léa Lassarat, la propriétaire. Il a fallu revoir la carte, acheter des barquettes et des frigos de livraison, mettre en place le paiement à distance, lancer une campagne sur les réseaux sociaux… »

La cheffe d’entreprise reconnaît perdre de l’argent, car la relance de l’activité a nécessité de mettre fin au chômage partiel de plusieurs salariés. « Mais on a de la trésorerie et c’est bon pour le moral de reprendre et de voir les clients contents, dit-elle. Et cela fait parler du restaurant localement. » Peut-être un bon investissement pour l’après-confinement.

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