La voix est douce, les lèvres esquissent souvent un sourire, mais le propos est ferme. «J’attends des hommes qu’ils reconnaissent les femmes, leur travail. C’est nécessaire aujourd’hui pour la société», dit-elle à l’AFP entre deux gorgées de thé vert japonais.
«Ils le font de plus en plus: beaucoup de chefs masculins ont des femmes dans leur brigade. Mais il y a encore des comportements machos, misogynes, il ne faut pas le nier».
Entrepreneure avisée, Anne-Sophie Pic a bâti avec son mari David Sinapian, un groupe international qui emploie 250 salariés et réalise 17 millions d’euros de chiffre d’affaires.
Il compte quatre restaurants étoilés, deux Dames de Pic, à Paris et à Londres, le Anne-Sophie Pic, un trois étoiles à l’ambiance feutrée et végétale implanté à Valence où «son coeur bat», et le Anne-Sophie Pic au Beau Rivage Palace de Lausanne, mais aussi un hôtel cinq étoiles, une école «ouverte à tous» et des épiceries.
La cheffe vient aussi d’ouvrir un «Daily Pic» où ses célèbres verrines sont proposées à emporter, dans un passage dédié à la gastronomie et au bien-être, dans le VIIe arrondissement de Paris, Beaupassage.
Issue d’une lignée d’illustres cuisiniers de la région de Valence – son grand-père André et son père Jacques ont eux aussi décroché trois étoiles – elle a repris le restaurant familial en 1998 et obtenu sa troisième étoile en 2007.
Elle marche ainsi dans les pas de la Mère Brazier, formatrice de Paul Bocuse, première femme de l’histoire triple étoilée.
C’est d’ailleurs une femme, son arrière-grand mère Sophie, qui a mis la famille aux fourneaux en ouvrant en 1889 son restaurant l’Auberge du Pin en Ardèche – dont elle tient sa passion pour l’île flottante.
Ce n’est pas un hasard si le groupe Anne-Sopie Pic emploie aujourd’hui «80% de femmes» dont sa cheffe sommelière, l’Argentine Paz Levinson, qui depuis mars, déniche les crus de ses quatre restaurants – et bientôt cinq, puisqu’une Dame de Pic ouvrira à l’hôtel Raffles de Singapour, au printemps 2019.
– Ne pas s’autoriser la rupture –
«Avec mon mari, on est deux à penser que sur certains sujets, les femmes vont pousser un peu plus loin les choses. Comme les hommes, elles ont des qualités et des défauts, mais elles ont un esprit de bienveillance et ne s’autorisent pas la rupture».
Pendant vingt ans, cette autodidacte – elle n’a pas étudié la cuisine, mais la gestion -, s’est «totalement concentrée» sur la nécessité d’être «admise par les hommes». «Je me disais: tu es une femme, il faut que tu travailles, que tu avances, que tu aies ta signature culinaire, et que les hommes t’acceptent».
«Je ne me suis pas particulièrement occupée des autres femmes: mon souci premier, c’était cette intégration-là».
Participer au documentaire «A la recherche des femmes chefs» de Vérane Frédiani, sorti en salles en juillet 2017, est pour elle une «révélation».
«En France, il y a une certaine pudeur à parler de la difficulté que les femmes peuvent avoir à s’intégrer dans un métier plus réservé aux hommes. Je me suis aperçue que la parole anglo-saxonne était beaucoup moins complexée».
Au fil de sa carrière, Anne-Sophie Pic a formé des femmes en cuisine et certaines, parties travailler auprès d’autres chefs, reviennent lui demander conseil.
«Un lien s’est créé, de plus en plus fort. J’ai pris conscience de la difficulté qu’elles ont, assez similaire à celle que j’ai rencontrée», dit-elle.
Pour Anne-Sophie Pic, «les meilleures équipes, performantes, très créatives», sont les équipes mixtes. «Ce sont des caractères différents, des visions différentes qui se mêlent: ça amène de la force».