Pile un mois avant la cérémonie inaugurale du World Restaurant Awards, qui aura lieu à Paris et sera animée par Antoine de Caunes, Food&Sens a interviewé l’un de ses fondateurs, le Nord-Irlandais Joe Warwick. Critique culinaire du journal britannique The Guardian, et auteur du bestseller « Where Chefs Eat », Joe Warwick est revenu pour nous sur le caractère innovant de ces nouveaux Awards, et sur son rapport à la restauration. À découvrir ci-dessous.
F&S : Bonjour Joe Warwick ; la cérémonie inaugurale des World Restaurant Awards approche, qui aura lieu à Paris, au Palais Brongniart. Pourquoi avoir choisi cette ville pour lancer votre événement ?
Joe Warwick : Il y a plusieurs raisons ; d’abord, parce qu’IMG, l’un de nos sponsors, nous a suggéré Paris, où ils disposent d’une grosse équipe. Ensuite, parce qu’ayant été impliqué dans le 50 Best autrefois, je ne voulais pas implanter les World Restaurant Awards à Londres, ville où le 50 Best a historiquement pris place. Et puis, j’ai constaté que les Français considèrent le culinaire comme un élément culturel à part entière, et non pas comme un élément issu de la catégorie lifestyle – contrairement aux journaux britanniques, qui classent la catégorie food dans la rubrique lifestyle. De plus, le choix de Paris fait sens dans la mesure où le monde entier aime la cuisine française, les restaurants français, et Paris ; à ce titre, c’est le lieu idéal pour lancer notre événement. Et d’ailleurs, la France est bien représentée dans la shortlist des World Restaurant Awards, notamment dans la catégorie « Classique Intemporel », qui récompense des établissements ayant un bel héritage.
F&S : À propos de Paris et de la France, le guide Michelin France 2019 est sur le point de paraître ; un pronostic à nous partager, peut-être ? Ou un souvenir culinaire à nous raconter ?
J.W. : Le dîner le plus mémorable que j’ai fait en France était au Clarence. Le décor est luxueux mais confortable, et l’on s’y sent à l’aise. Sinon, j’ai de très bons souvenirs dans le Sud de la France, où je me suis rendu récemment. Mais je regrette de n’avoir pu visiter la France davantage, et plus à fond ; il y a tant à y voir !
F&S : Vous qui avez co-fondé le fameux 50 Best, quel regard portez-vous sur ce classement aujourd’hui ?
J.W. : Vous savez, je n’en fais plus partie depuis fin 2007. Ça fait plus de dix ans… Ceci dit, je pense que dans un monde où les gens s’intéressent surtout aux célébrités, à Kim Kardashian, au sport et à la politique, tout événement faisant parler du culinaire est une bonne chose ! (Rires). Une fois ceci posé, je trouve tout de même qu’il y a trop de listes culinaires en général. Surtout que toutes ces listes font des classements, et des prix récompensant le meilleur ceci, le meilleur cela. Mais au fond, je me le demande : qu’est-ce que ça veut bien dire, « le meilleur » ? Je pense plus approprié de classer les restaurants selon des catégories ; c’est ce qu’on a voulu mettre en place. Nous avons par exemple la catégorie « spécialité maison », la « nouveauté de l’année », la « destination off-map », etc. C’est une approche plus inclusive. Pour autant, je ne suis pas en train de dire que ce qu’on fait aux World Restaurant Awards est mieux ; c’est différent, et nouveau, dans la mesure où les World Restaurant Awards reposent sur la combinaison de catégories (sujettes à renouvellement d’année en année), et sur des nominations et inspections effectuées par un jury d’insiders globe-trotters. Et puis, les professionnels sont sélectionnés en fonction de leur expertise dans une catégorie précise.
F&S : Quelle est la caractéristique des World Restaurant Awards ?
J.W. : Le fait qu’ils reflètent la diversité des cuisines et des restaurants. Vous savez, on a tendance à parler toujours des mêmes restaurants, et du même type de restaurants (à savoir, les gastronomiques). Alors que, franchement, tout le monde ne peut pas se permettre d’aller dans les 3 étoiles. Qui plus est, on n’y va pas tous les jours non plus ; à la longue, ce ne serait pas possible de digérer tout cela s’il fallait y aller tous les jours. Donc on a souhaité élargir la sélection, pour qu’elle puisse correspondre au quotidien ; cela va du petit restaurant de hot dog à Hong Kong, en passant par un food market au Japon, jusqu’aux temples de la gastronomie. L’ambition consiste à montrer toute la gamme des restaurants. C’est exactement comme avec la mode : il y a bien sûr la haute couture, et il y a les vêtements du quotidien. Et puis, on a également pris en compte le besoin de variété des gens. On n’a pas toujours envie d’aller dîner dans un gastronomique. D’autant que les goûts ont changé ; et les clients sont désormais beaucoup plus impliqués dans l’alimentaire, beaucoup mieux renseignés aussi – il n’y a qu’à voir le nombre d’émissions culinaires qui passent à la télévision. Donc, quand les gens vont au restaurant, ils veulent non seulement la qualité, mais aussi (et c’est plus récent), l’informalité. D’où le succès du mouvement des gastro-pub au Royaume-Uni, et de la bistronomie en France ; ils sont la preuve que désormais, aller au restaurant n’est plus seulement réservé aux grandes occasions. De fait, les gens dînent dehors beaucoup plus souvent qu’avant ; c’est même devenu une mode d’aller au restaurant – ce qui est bien et mal à la fois, d’ailleurs, car en parallèle la jeune génération sait de moins en moins cuisiner. Pour en revenir aux catégories mises en place par les World Restaurant Awards, je dirais qu’on a essayé de ne pas être snobs, et de proposer un choix plus démocratique de restaurants. Tout le monde y trouvera quelque chose qui lui parle. J’espère que ça aidera à rendre l’industrie culinaire plus abordable.
F&S : Pour pouvoir exister, une liste comme la vôtre a besoin de support financier. Quel est le rôle de vos sponsors dans les votes ?
J.W. : Tout d’abord, si vous le voulez bien, j’aimerais rectifier l’appellation de liste ; le World Restaurant Awards n’est pas une liste ; il s’agit d’un ensemble de récompenses valorisant les restaurants. Pour ce qui est de votre question, oui, tout à fait, un événement comme le nôtre coûte beaucoup d’argent, donc il nous faut des partenaires. Ces partenaires sont désireux de nous soutenir car ils s’intéressent au contenu que nous avons créé, et souhaitent s’y associer –ces sponsors étant liés au culinaire, comme Gaggenau, le champagne Laurent-Perrier, le magazine Fine Dining Lovers, ou encore les chocolats CEMOI. Pour autant, ils n’ont rien à voir avec les votes. De plus, nous n’avons aucun award ou catégorie qui soit sponsorisé(e).
F&S : Envisagez-vous, pour les éditions futures des World Restaurant Awards, qu’elles aient lieu ailleurs qu’à Paris ?
J.W. : Nous sommes engagés avec Paris pour les prochaines années. Un jour peut-être, nous irons à Lyon par exemple ; cette ville aussi a beaucoup de liens avec la gastronomie. Mais pour l’instant, nous maintenons Paris.
F&S : Comment vous est venue votre passion pour la cuisine ?
J.W. : Quand j’étais jeune, j’étais dans un internat qui servait une cuisine horrible, et depuis, j’adore la bonne cuisine ! (Rires). Plus sérieusement, ma passion pour la cuisine a commencé lorsque j’ai travaillé dans un restaurant étoilé. J’y ai exercé d’abord en tant que serveur, puis comme commis, puis comme manager. J’ai également été serveur pendant un temps aux États-Unis. En tout, j’ai travaillé dix ans dans le monde des restaurants, que je connais donc de l’intérieur. Suite à quoi, j’ai commencé à fatiguer avec les longues heures de service, et c’est à ce moment-là qu’on m’a proposé de devenir journaliste. Ça tombait bien, car j’ai toujours voulu écrire. J’ai choisi bien sûr d’être critique culinaire, pour pouvoir continuer à graviter dans l’univers de la restauration. Ceci étant dit, si les grands restaurants traitaient mieux leur staff, et surtout nourrissait mieux leurs équipes, j’y serais peut-être encore. Rien de plus déprimant que de mal manger lorsqu’on travaille dans un grand restaurant…
F&S : En France, les gens ont tendance à penser que les Anglais ne s’y connaissent pas en cuisine, et qu’on mange mal en Angleterre ; vous qui êtes Britannique, et expert gastronomique qui plus est, qu’en pensez-vous ? Préjugé ou état de fait ?
J.W. : (Rires). Je vois ce que les Français veulent dire ! C’est vrai que la cuisine anglo-saxonne est plus restreinte en terme d’ampleur par rapport à la cuisine française, qui est très riche. Ceci dit, Londres est à dissocier du reste de l’Angleterre ; on y trouve désormais une offre extrêmement large et de grande qualité. Bien sûr, Paris se distingue par sa sophistication et sa finesse, mais Londres l’emporte en terme de diversification culinaire. Et puis, nous avons d’excellents produits aussi en Grande-Bretagne, comme par exemple nos fromages.
F&S : Quel est, selon vous, le meilleur endroit du monde où manger actuellement ?
J.W. : Le Japon. Les Japonais font preuve d’une attention au détail qui est vraiment magnifique. Leur culture de la perfection vis-à-vis de la nourriture force le respect. Et puis, leurs food markets, leurs vins et leurs whiskys sont incroyables. J’adore le Japon.
F&S : Allez, dernière question : d’après vous, quel est le guide culinaire le plus crédible ?
J.W. : J’aime le Michelin ; et les chefs aussi l’aiment. Ils ont du respect pour ce guide. Quant aux autres guides, comme je l’ai dit plus tôt, ils font parler des restaurants, donc c’est bien. Le seul que je déconseille, c’est TripAdvisor bien sûr ! (Rires).